Responsabilité pénale pour les commentaires des internautes: gare à l'abus de modération
La chambre criminelle de la Cour de cassation revient, dans deux arrêts du 30 octobre 2012, sur la responsabilité encourue par les sites web pour les commentaires mis en ligne par les internautes dans un espace de contributions personnelles.
Je m'abonneMaître Mathieu Prud'homme, avocat et directeur du département Internet contentieux au cabinet Alain Bensoussan, et Maître Katharina Berbett, avocat.
Dans le premier arrêt, la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d'appel qui avait condamné le responsable d'un site, pris en sa qualité de producteur du site, pour diffamation envers un député, car les juges n'avaient pas recherché s'il avait eu connaissance du message litigieux laissé sur l'espace de contributions personnelles par l'internaute. Ce faisant, la Cour fait une application conforme à la position du Conseil constitutionnel: si le producteur ne peut s'exonérer des sanctions pénales qu'il encourt qu'en désignant l'auteur du message ou en démontrant que la responsabilité pénale du directeur de la publication est encourue, il ne peut voir sa responsabilité pénale engagée à raison du seul contenu dont il n'avait pas connaissance avant la mise en ligne. La condition de connaissance du message litigieux s'applique donc au producteur et au directeur de la publication. Dans le second arrêt du même jour, la Cour de cassation confirme, en revanche, la condamnation pour injure publique du responsable d'un blog, en tant que directeur de la publication, pour un commentaire déposé par un internaute qui qualifiait un syndicat de «sectaire, extrémiste, intolérant et inquisiteur», car il n'avait pas retiré promptement ce commentaire alors qu'il en avait connaissance. En effet, l'article 93-3, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dispose qu'en ce qui concerne les infractions de presse (diffamation, injure, etc.) résultant du contenu d'un message adressé par un internaute et mis à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles, le directeur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. L'apport de cette jurisprudence est que le responsable du site a été condamné parce qu'il avait reconnu qu'il vérifiait les commentaires postés sur son blog à intervalles réguliers: les juges ont estimé qu'il avait nécessairement eu connaissance du commentaire litigieux.
Ce sont donc toutes les pratiques de modération a priori mais également de modération systématique a posteriori qui (re) deviennent une source de responsabilité pénale.
Ces arrêts illustrent ainsi l'écart de régime qui subsiste entre l'hébergeur au sens de la LCEN et le directeur de la publication ou le producteur à raison des contenus mis en ligne par les internautes, qui créé un véritable risque pour les responsables de site.
Lorsque le responsable du site a la casquette d'hébergeur, la Cour de cassation ne cesse de rappeler que la connaissance du contenu illicite suppose qu'une notification lui ait été préalablement adressée, que cette notification soit conforme aux nombreuses conditions énoncées par l'article 6.I-5 de la LCEN et que le contenu doit être manifestement illicite.
En revanche, lorsque le responsable du site répond du statut de producteur ou de directeur de publication, ce qui est toujours le cas en matière de diffamation et d'injure, il ne bénéficie ni de ce formalisme protecteur, ni de la condition du «manifestement» illicite pour échapper à sa responsabilité. Autre difficulté, la LCEN précise que les hébergeurs ne sont pas des producteurs au sens de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982: impossible donc, a priori, de s'abriter derrière le statut d'hébergeur.
Comment limiter le risque pénal dans ces conditions? Tout d'abord, le responsable du site aura tout intérêt à mettre en place un système de collecte et de conservation des données permettant d'identifier les internautes qui mettent en ligne les contenus (pour les hébergeurs, il s'agit d'une obligation légale dont le non-respect est pénalement sanctionné).
Surtout, il devra s'assurer que ses conditions générales d'utilisation et de publication, ses politiques et chartes de modération, ainsi que ses politiques de notification de contenus illicites sont adaptées aux spécificités des délits de presse. La manière dont ces documents sont rédigés impacte le champ de responsabilité: c'est toute la différence entre effectuer une modération a priori et écrire dans les conditions d'utilisation qu'il y a une modération a priori. Enfin, il faut savoir maîtriser la délicate articulation de ces différents éléments avec les conditions générales de service et les fonctionnalités des plateformes de réseaux sociaux de type Facebook et autres, qui ne permettent pas toujours une gestion optimisée des contenus pour limiter le risque juridique.