Noms de domaine : attention, le oo vous guette !
Ils sont apparus avec les débuts de l'Internet et ne cessent d'envahir la toile. Les noms de domaine finissant par "oo" prolifèrent sur le réseau. Mais à trop tirer sur la cord...
Je m'abonne
«Choisir un nom, ce n'est pas comme concevoir une publicité ou imaginer un
packaging. Le nom d'une marque doit être pérenne et ne pas changer tous les
deux ans. » Cette remarque de Murielle Bessis, directrice R&D au sein de Bessis
Marques, société spécialisée dans la création de noms de marques, devrait
alerter certains fondateurs de sites Internet. Car les noms de domaine ne
dérogent pas à la règle des modes du Web. Depuis deux ans, la terminaison en
"oo" fait fureur. Quelle que soit l'activité de la société ou la nature des
produits proposés, toutes les sonorités en "ou" se transforment en un double o
prononcé de la même manière aux quatre coins du monde. « Le oo est devenu très
nettement un indicateur de l'Internet, avec une prononciation internationale.
Cela devient un code et même une mode », constate Murielle Bessis. Tous les
pays sont touchés par cette frénésie des marques Internet en oo. On recense en
effet plus de 23 000 noms de domaine génériques (les .com, .net, .org, etc.) et
environ 6 000 noms de domaine géographiques (.fr, .de, .uk, etc.) qui se
terminent par le double o.
Un peu de Web, beaucoup de sympathie
Si autant de créateurs de sites ont opté pour la même
terminaison, c'est en partie sous l'influence des pionniers du Net. La
réputation internationale du moteur de recherche Yahoo!, créé en 1994, puis le
lancement en France du fournisseur d'accès de France Télécom, Wanadoo, en 1995
ont largement contribué à instaurer la mode. « Alors qu'au tout début de
l'Internet, il fallait affirmer sa présence sur le Web en utilisant les
syllabes "net", "surf" ou "cyber" dans son nom, à partir de 1995 des noms plus
ludiques sont apparus. Yahoo! puis Wanadoo ont en fait assis une grammaire de
marque », explique Christian Bertolino, directeur de création au sein de
l'agence Demoniak. Les acteurs de l'Internet reconnaissent sans hésitation le
rôle des pionniers. « Ce serait mentir que d'affirmer que nous ne nous en
sommes pas inspirés, explique Michel Safars, P-dg de Keeboo. Même si le choix
de notre nom n'a pas été dicté par la notoriété de ces deux marques. » Si le
double oo séduit autant de sites, ce n'est pas simplement dû à un effet
d'imitation des premiers arrivés sur la Toile. Cette lettre jumelle porte
nombre de valeurs positives. Les noms de domaine ne sont d'ailleurs pas les
seuls à utiliser l'astuce du double o. Des noms de produits du monde réel,
comme Kangoo, Daewoo ou encore Tatoo, en sont la preuve. Plus de 16 300 noms de
marques se terminant par oo ont été déposés dans le monde, dont plus de 1 200
en France. Quels sont les atouts de cette double lettre ? Tout d'abord, son
côté exotique et universel. « Très souvent, les terminaisons ont une couleur
géographique, remarque Marcel Botton, P-dg de Nomen International. Le "off" est
russe, le "e" français, et le "o" ou le "a" espagnol. Le "oo", lui, est
international. Lorsque nous avons travaillé sur le nom de Wanadoo, nous nous en
sommes rendus compte. Les personnes qui ont testé le nom citaient en pays de
référence aussi bien la Californie qu'une île du Pacifique ou qu'un pays
d'Afrique. » Le second atout du "oo" vient de son efficacité visuelle. Sur
Internet comme dans le réel, le premier contact du client avec un marchand est
son no... à la différence près que l'internaute va forcément écrire ce nom
lui-même en le tapant dans son navigateur. Il vaut donc mieux qu'il attire
l'oeil du client et qu'il soit aussi beau à voir qu'à dire. « Le oo est un
accident visuel, explique Marcel Botton. Deux o qui se suivent, c'est une
anomalie complète qui étonne et retient l'attention. Car les lettres sont aussi
des formes. Le double o évoque l'enfance, la rondeur. Il a un côté régressif.
C'est un contre-pied à la technique plutôt symbolisée par le "x" qui rappelle
le croisement, l'intersection, la précision. » Un avis partagé par Christian
Bertolino : « Le double o est une symbolique parfaite. Il évoque la plénitude,
la bouche ouverte, la communication, le lien. Même si ce suffixe n'est pas
signifiant, il est très évocateur. »
Le oo bientôt démodé ?
Des valeurs positives et une coloration Web assurée, le oo
rallie les suffrages. Mais pour combien de temps encore ? « Le risque, c'est
que ces noms vieillissent vite et qu'ils n'apparaissent plus comme innovants.
Aujourd'hui, choisir un nom en double o, c'est un peu facile. C'est un
trompe-l'oeil », prévient Murielle Bessis. Abuser des mêmes astuces risque en
effet de lasser, et ce qui au départ était une force, pourrait se transformer
en faiblesse. Les premiers utilisateurs du double o en terminaison l'ont
compris. « Nous avons créé notre nom parmi les premiers en 1997. Mais
maintenant, l'utilisation du oo est excessive. Cela nous déplaît forcément car
cette multiplication crée une confusion entre les différents sites existants »,
explique Michel Safars de Keeboo. La terminaison en oo a-t-elle vécu ? Sans
doute, car de nouvelles générations de noms commencent à voir le jour. « Les
premiers noms conviviaux de l'Internet correspondaient à l'ambiance de ses
débuts. Mais avec le développement du commerce électronique et des échanges
marchands, on revient à des noms plus sérieux et directement liés à la nature
de la société », note Murielle Bessis, que cette tendance surprend néanmoins, «
car la démarche est inverse dans le monde réel. Aujourd'hui, un nom de marque
doit être évocateur, offrir un imaginaire, être à lui tout seul un univers, et
non pas un simple descriptif. » Pour ne pas tomber dans le piège de la banalité
c'est avant tout la nouveauté qu'il faut rechercher. « Demandez-vous ce qui va
surprendre vos interlocuteurs, conseille Marcel Botton. Nous avons par exemple
relevé aux Etats-Unis le nom "Ask-Jeeves!" qui pourrait être traduit par
"Demande à Firmin". Construire son nom comme une phrase très courte, comme dans
ce cas précis, est une idée à creuser. »
Les recettes d'un nom réussi
Pour trouver un nom de domaine accrocheur et retenir
l'attention des internautes, l'essentiel est avant toute chose de définir les
valeurs de sa marque. Et d'estimer les attentes de sa cible. Le grand public,
encore novice dans l'utilisation de l'Internet, préférera un nom simple et
rassurant. Contrairement à un public de professionnels qui plébiscitera
davantage une marque forte, porteuse d'un vrai univers. Quelle que soit la
cible visée, il ne faut pas oublier les principes des débuts d'Internet :
l'objectif est de dénicher un nom court, facile à mémoriser et sans risque de
confusion orthographique. En sachant que la pénurie de noms commence à se faire
sentir, surtout pour les noms les plus brefs. Une fois le nom trouvé, il faut
s'assurer qu'il est disponible non seulement dans son pays d'origine, mais
aussi dans tous les pays visés par l'entreprise. Bien souvent, le choix du nom
s'apparente à un parcours du combattant. Avant de choisir le nom de Kelkoo, les
fondateurs de l'entreprise avaient opté pour "liberty-market". « Nous avions
déposé le nom en .com dans tous les pays européens, relate Jérôme Mercier, le
directeur marketing. Mais nous nous sommes rendus compte que le nom était déjà
utilisé au Japon par un site marchand. Il nous a donc fallu repartir de zéro.
La seconde tentative s'est également soldée par un échec. Après une nuit de
brainstorming interne, nous avons lancé l'idée de Kelepok. Mais après avoir
déposé le nom dans toutes ses déclinaisons, nous avons appris le lancement du
magazine Epok de la Fnac, qui nous coupait l'herbe sous le pied. » Bien que
considéré comme une affaire sérieuse, le choix d'un nom peut parfois connaître
une genèse surprenante. Le nom Yahoo!, qui évoque une exclamation de joie,
s'explique en réalité par une expression bien moins ludique. Car le nom du
portail symbole de l'Internet constitue les initiales de Yet Another
Hierarchical Officious Oracle, en référence à la base de données Oracle. Si
vous restez désormais persuadés que votre nom de domaine doit forcément se
terminer par oo, faute de ne pas être considéré comme une marque Internet,
rappelez-vous que le marchand électronique le plus réputé dans le monde
s'appell... Amazon.
Wanadoo.fr
Activité :
Fournisseur d'accès à Internet de France Télécom. Genèse du nom : Le nom
Wanadoo a été créé en juillet 1995. A cette date, le nom de Yahoo! n'était pas
encore diffusé en France. L'équipe de Wanadoo a fait appel à l'agence de
créations de noms de marques Nomen. Le choix du nom est parti de la
transcription phonétique de "I wanna do", "je veux le faire". Pourquoi le oo
? : « Le double o est une sono- rité exotique. Cela évoque la Polynésie, les
Antilles. A l'époque, imposer ce nom très dissonant n'a pas été facile auprès
de la direction. Par la suite, il a fallu limiter les tentations de décliner le
suffixe Wana pour d'autres produits. Mais aussi d'utiliser à outrance le oo
final. » Daniel Sainthorant. D-ga FT Multimédia services. Atout du nom :
Une signification qui dynami- se la marque et qui positive son image.
Breizhoo.fr
Activité : Annuaire dédié aux informa-
tions et aux sites bretons. Genèse du nom : Le site a ouvert au début de
l'année 1998. Le nom a été choisi par son créateur. Depuis, plusieurs
entreprises bretonnes l'ont contacté en lui proposant de racheter le nom.
Pourquoi le oo ? « Je voulais un nom à consonance régionale, Breizh
signifiant Bretagne, mais avec une terminaison Internet. Car le site devait
être un symbole, un petit Yahoo! breton. Une seconde raison m'a incité à
choisir ce nom : quand on dit de quelqu'un en breton qu'il est un breizhou,
cela signifie qu'il est dépassé, démodé. Changer le ou en oo, c'était aussi un
pied de nez, une inversion de significations. » Jean-Michel Prima, créateur du
site. Atout du nom : Pour le public breton, le nom est très vite identifié
et retenu. Faiblesse du nom : Une orthographe spécifique, favorisant les
erreurs de frappe.
Keeboo.com
Activité : Diffusion
du logiciel du même nom. Téléchargeable gratuite- ment, l'outil permet aux
inter- nautes de collecter et d'orga- niser des pages web, mais aussi des
documents créés avec des applications bureau- tique classiques. Genèse du nom
: Le nom Keeboo a été choisi en interne et déposé début 1998. Des
orthographes voi- sines, comme Kibou par exemple, ont également été déposées.
Pourquoi le oo ? : « Notre logiciel est une méta- phore du livre. Keeboo est
le verlan du mot Book. » Michel Safars, P-dg de la société. Atouts du nom
: Un choix de lettres visuelle- ment très dissemblables : le k, les deux e et
les deux oo. Faiblesse du nom : Une signification floue pour un Français.
Kelkoo.com
Activité : Guide d'achat et de comparai-
sons de prix destiné au grand public. Genèse du nom : Le nom a été choisi en
interne en octobre 1999 et toutes les orthographes avoisinantes ont été
déposées. Pourquoi le oo ? : « Kelkoo est parti d'un jeu de mots : quel coût
! ou encore quel coup ! Les deux K nous permettaient de nous différencier, et
les deux oo d'être dans la signature des marques web. » Jerôme Mercier,
directeur marketing. Atout du nom : renvoi aisément au métier du site :
comparer les prix et trouver les meilleures affaires.
Paspartoo.com
Activité : Système d'impression de
documents via Internet. L'internaute conçoit et com- mande ses cartes de
visite, tee-shirts ou posters sur le site. Un imprimeur du pays de provenance
de la com- mande la réalise et la livre. Genèse du nom : Le nom Paspartoo a
étéchoisi en octobre 99 par les quatre fondateurs de la société. Pourquoi le
oo ? : « Notre nom est parti du per- sonnage de Jules Vernes, Passe Partout.
C'est le valet qui mène la danse et qui aide à faire progresser les choses.
Ce nom exprimait notre mode de fonctionnement. Car nous sommes un site
mais nous sommes également partenai- res de sites divers à l'occasion
d'événements, comme les prix sportifs. Le double o équilibrait le nom. »
Benoît Cornet, responsable marketing. Atout du nom : Original, ce nom se
démarque des sites d'impression qui uti- lise souvent le mot "print" dans leur
appellation. Faiblesse du nom : Le rapport entre le nom et les valeurs
portées par l'entre- prise n'est pas évident.
Bijoo.com
Activité : Vente en ligne de bagues,
colliers et boucles d'oreilles de la marque Bijoo. Genèse du nom : Le nom
a été choisi par les deux fondateurs, à la création de la société, en décembre
1999. Pourquoi le oo ? « Nous avons voulu garder le terme générique de bijou,
ainsi que sa sonorité française. La terminaison en oo est une petite
extrapolation, prononcée de la même manière dans tous les pays que l'on vise. »
Gilles Aknin, cofondateur du site. Atouts du nom : Une identification
immédiate, du moins pour les clients fran- çais, de l'activité du site. Un nom
très facile à prononcer. Faiblesse du nom : On n'associe pas spontané- ment
le terme bijoo à de la joaillerie de haute gamme. Alors que les prix des
produits vendus en ligne s'échelon- nent entre 1 000 F et 10 000 F.
Choisir un nom : quelques règles à connaître
1. Apprendre la grammaire de l'Internet
Un nom de domaine est avant toute chose une adresse à mémoriser. Or sur Internet, contrairement au monde réel, toutes les adresses sont à la même enseigne, globale et locale : celle du Web. Entre vous et votre concurrent, c'est le nom qui fera la différence et tout ce qui contribue à améliorer la mémorisation est très précieux. Choisissez un nom bref en allant au plus court pour réduire les risques de fautes de frappe. L'idéal pour un nom de domaine est d'être composé de deux syllabes. Evitez les confusions : un site se nommant wizin peut aussi bien s'écrire within ou ouizine. Les orthographes univoques sont de nombreuses sources d'erreur, de la même manière que les noms comportant des chiffres. Posez-vous également la question du nom composé qui provoque un questionnement : faut-il mettre un tiret entre les deux parties du nom ou agglomérer l'ensemble ?
2. Sachez communiquer Web
Comment se faire comprendre de tous ? Coca-Cola, Mac Donald, Chanel, Levis, Marlboro, ou Apple : peu de marques de réputation mondiale sont réellement signifiantes. La compréhension mondiale du nom n'est ainsi pas forcément nécessaire. L'anglais devient plus facilement le dénominateur commun entre les différents pays, d'autant que le lexique commun entre les langues occidentales -anglo-saxonnes, latines et slaves- est déjà largement utilisé donc déposé. Recherchez d'abord un nom simple : il vaut mieux trouver des noms qui fonctionnent sur l'évocation. Les noms signifiants sont a priori à éviter, d'autant qu'ils sont déjà déposés en domaines ou en marques. Adaptez vous à la géographie du Web. L'origine du marchand est déjà identifiée grâce au suffixe du nom : .fr, .de, .uk, etc. Cependant, les sites de vente de vins français ont des noms bien de chez nous, pour revendiquer leur origine, leur statut et se différencier des vins californiens ou australiens. D'un autre côté, le .com d'une vitrine marchande reste délocalisée. Il vaut mieux ainsi parfois décliner le .com dans les autres suffixes locaux afin de rassurer les consommateurs. D'après Christian Bertolino, directeur de création au sein de Demoniak.