Musique et Internet : une story pas très love
Bousculées par l'apparition des graveurs de CD, des sites de téléchargement de fichiers MP3 et du logiciel Napster, les majors du disque ont déclaré la guerre au piratage. De leur côté, les radios ouvrent des sites pour capter les internautes fans de musique. Enfin, les "pure players" se multiplient, les acteurs européens se disputant le marché. Et tout ce petit monde attend le haut débit pour diffuser (et vendre) de la musique numérisée sur tous les supports possibles. Bref, la planète musique est en pleine effervescence.
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Sus à Napster ! Ce logiciel de partage de fichiers fait la joie des
étudiants américains et le désespoir des majors du disque (1). Apparu il y a
quelques mois aux Etats-Unis, ce programme permet de rechercher sur le Net un
morceau de musique au format MP3 (2) dans la base de données personnelle
Napster d'un autre internaute et de le télécharger. Après le standard de
téléchargement MP3, ce soft représente "l'horreur économique" aux yeux des
majors. En effet, il ne s'agit plus ici d'une banale reproduction à usage
domestique mais de piratage à grande échelle. Les étudiants américains
bénéficient de lignes à haut débit sur leurs campus. Rien ne les empêche donc
de passer leurs nuits à "downloader" des albums entiers, sans reverser le
moindre écot aux maisons de disques. Celles-ci ont réagi en engageant des
procès qui pourraient changer la donne. La RIAA (Recording Industry
Associations of America) réclame contre Napster des amendes allant de 500 à 100
000 dollars par titre copié illégalement ! Le juge chargé du procès vient de
déclarer que Napster était responsable des transferts et non un simple
intermédiaire, comme le clamait l'éditeur. MP3.com, célèbre site de
téléchargement, est poursuivi pour avoir copié plus de 40 000 albums sur son
serveur sans l'accord des grandes maisons de disques. Il aurait accepté de
verser 100 millions de dollars à la RIAA à titre de dédommagement. Et la jeune
société s'en sort plutôt bien, puisque l'association lui réclamait 6 milliards
de dollars ! Enfin, le groupe de hard rock Metallica a récupéré une liste de
317 377 noms d'internautes qui se sont servis de Napster pour télécharger les
morceaux du groupe sans autorisation. Après intervention de l'avocat du groupe,
Napster va bloquer l'accès de son site à ces surfeurs. Bref, entre les maisons
de disques et les sites de musique, la guerre est déclarée. Les premières
avancent leurs frais (promotion, marketing, édition) au service des artistes.
Les secondes défendent un Internet libéré des contraintes économiques.
Les majors françaises réagissent
La situation française
n'est certes pas comparable à celle des Etats-Unis. Mais l'on sait bien que ce
qui se passe outre-Atlantique finit toujours par nous rejoindre. Ici, les
choses bougent également, quoique plus lentement. Les étudiants français ne
passent pas de nuits blanches à télécharger de la musique. Les autres non plus
d'ailleurs, vu l'état de la bande passante en France. Télécharger un simple
morceau de trois minutes avec un accès en 56 Ko, peut prendre une heure, ce qui
revient plus cher que d'acheter le CD complet chez un distributeur physique.
Chez Universal France, Sophie Bramly, responsable des nouveaux médias, estime
que « la législation française protège mieux l'artiste et le propriétaire du
répertoire. Si le site pirate est basé en France, nous avons les moyens de
résoudre le problème ». Grâce notamment à la SCPP (Société Civile des
Producteurs Phonographiques), qui regroupe les majors plus quelques
indépendants, mais aussi au Snep (Société National de l'Edition
Phonographique). Par exemple, le département antipiratage de la SCPP, composé
de quatre personnes à temps plein, traque les sites en infraction. S'il s'agit
d'un particulier, une simple menace suffit la plupart du temps. Pour les sites
commerciaux, une procédure judiciaire est enclenchée. « Sur des sites pirates
de Mylène Farmer, le dernier album entier était en ligne avant même qu'il ne
soit commercialisé », se rappelle Sophie Bramly. Plus grave encore est la
menace des graveurs de CD. Ces appareils, disponibles dans le commerce,
permettent de se livrer à une reproduction à grande échelle, créatrice de
trafics juteux. « Les CD se vendent 10 francs dans les cours d'école. C'est
très préoccupant », estime Sophie Bramly. Pour Benoît d'Hau, directeur général
de Besonic.fr, site de musique en ligne, « le vrai problème se situe ailleurs,
dans les pays où les faussaires mettent des batteries de graveurs en ligne et
copient les CD à grande échelle. »
Les maisons de disques se préparent
Face à ce phénomène, ce sont les états-majors
internationaux qui se chargent de diligenter des avocats spécialisés dans la
défense du droit d'auteur. Sophie Bramly juge l'offensive des sites de
téléchargement alarmante, sans toutefois la dramatiser. « Sur les sites de MP3,
99,9 % des morceaux viennent d'artistes non signés. Aucune maison de disque ne
donne ses disques gratuitement. Bien sûr, cela peut sembler très cool de
trouver de la musique gratuite sur le Net. Mais en réalité, le site récupère 50
% des éventuelles royalties avec ces artistes non signés. Il dépose le titre et
il attend. De notre côté, nous engageons des frais importants pour les artistes
que nous soutenons. » Comme d'autres majors, Universal se prépare à vendre ses
propres références en ligne. Un système de téléchargement sécurisé devrait être
prêt à l'automne. Ces fichiers multimédias pourront comporter de la musique,
mais aussi des photos, des biographies, des dates de concert, des informations
diverses, etc. Ils seront placés sur les sites musicaux, mais l'internaute, en
cliquant, ira télécharger son fichier sur celui d'Universal. Le paiement
pourrait se faire grâce à un porte-monnaie électronique maison. La première
étape concerne la mise en ligne des singles (3), puis ce sera au tour des
albums entiers. Pour l'instant, le site www.universalmusic.fr propose de
l'information et quelques échantillons à écouter. Chez Sony, le projet n'est
pas aussi avancé mais la réflexion est lancée. La major vient d'embaucher une
responsable des nouveaux médias, Julie Marlois, qui confie que Sony va
forcément se mettre à la vente en ligne. « Aux Etats-Unis, le site sony.com
propose déjà une cinquantaine de morceaux en téléchargement. C'est un banc
d'essai. Mais, quoi qu'il en soit, nous respecterons le choix de nos artistes,
selon qu'ils sont favorables ou non au téléchargement de leur oeuvre. »
Un métier qui change radicalement
Le site sony.fr, lui,
reste très classique pour le moment, en attendant les résultats de l'expérience
américaine. Il privilégie l'information et les liens vers les artistes maisons.
Toujours aux Etats-Unis, EMI (Time Warner) va placer en juillet prochain une
centaine d'albums et quarante singles à télécharger sur son site en format
Windows Média Player. Néanmoins, Julie Marlois, comme sa collègue d'Universal,
est consciente que la profession est contrainte de s'adapter à la nouvelle
donne engendrée par l'Internet : « On ne peut pas se voiler la face. Napster
existe. Et quel que soit le niveau de sécurisation que l'on installera, les
pirates mettront moins d'un mois pour trouver la parade. Nous pouvons néanmoins
gagner un peu temps. Et surtout apprendre. Le métier est en train de changer
radicalement, et nous devons réfléchir et sensibiliser les gens qui travaillent
dans cette industrie. » Côté radio, on ne reste pas inerte devant ces
bouleversements. NRJ vient de prendre 15 % du capital du site FranceMP3. Fun a
lancé eFun. Le groupe Lagardère (Europe 2, RFM) a créé Mcity.fr qui se veut la
"troisième oreille" du Net. « Nous bénéficions de deux savoirfaire, explique
Arthur Millet, responsable marketing du site. Europe 2 apporte le contenu et la
logistique ; Lagardère Net les compétences techniques pour monter des sites et
mettre la musique en ligne. »
Un portail de radios on line
Mcity se veut un véritable "portail de radios on line" avec
une dizaine de thèmes pour l'instant, trente à terme. Le site a choisi le
standard Real Audio et la technique utilisée est le streaming. Pas de
téléchargement pour l'instant, même si la filiale de Lagardère y réfléchit
comme ses confrères, car la radio en France, comme la télé aux Etats-Unis,
risque fort de voir son audience érodée par les radios en ligne. Mcity.fr veut
être le premier site à se positionner sur ce créneau. L'accord avec Real Média
Player lui permettra, par exemple, de figurer dans le bouquet de ce logiciel
d'écoute audio et vidéo. Des tractations sont d'autre part en cours avec
Windows Media Player, le produit concurrent de Microsoft. Autre outil dans la
stratégie du groupe : Mcity Pro, filiale chargée de commercialiser les
contenus, texte comme musique, auprès des opérateurs de téléphone mobiles, les
sites de e-commerce, les communautés et les portails. Coût du programme : à
partir de 200 000 F pour un abonnement annuel. Une campagne de communication on
et off line est prévue pour bientôt, ainsi que la possibilité d'acheter des
canaux personnalisés. Six studios radio et vidéo dédiés au site ont été
construits à la Villette, dans l'Est de Paris. « Nous ne sommes pas une
start-up. Nous voulons créer une marque et l'installer sur le long terme »,
affirme Arthur Millet. Bref, le groupe Lagardère confirme sa volonté de devenir
un acteur majeur du Net et des médias en ligne et a visiblement peaufiné son
business model. Volontairement légaliste, Mcity attend néanmoins que les majors
aient réglé les problèmes juridiques pour les accueillir sur son site. C'est
également le voeu d'Eric Legent, P-dg de France MP3 : « Dès que nous avons
monté le site, en septembre 1999, nous avons opté pour la légalité. Nous avons
d'ailleurs signé le premier accord avec la Sacem. FranceMP3 reconnaît que la
création musicale mérite une rémunération. Si les majors veulent mettre des
titres en ligne pour augmenter la notoriété de leurs artistes, nous sommes tout
prêts à les accueillir. »
Un nouveau concept : le one stop shop
France MP3 se présente comme un "one stop shop", un mall à
l'américaine, différent du portail attrape tout. Le site a constitué une base
de données numérisées de 16 000 titres (80 000 fin 2000), que l'on peut écouter
en streaming (4) ou bien télécharger. L'internaute peut aussi réaliser son CD
sur mesure. Pour 50 F, il peut choisir jusqu'à vingt titres et le CD lui sera
envoyé par la Poste. Seuls 5 % de ce catalogue sont payants. Mais FranceMP3 se
dit prêt à faire du e-commerce. La société a pour cela installé sur son site un
logiciel américain de micropaiement (ipin). « Pour l'instant, 90 % des artistes
présents sont autoproduits, c'est-à-dire non signés par les maisons de disques.
A la fin de l'année, j'espère bien qu'il y aura 80 % de labels », prévoit Eric
Legent. FranceMP3 revendique 14 000 visites par jour, dont 11 000 écoutes et 2
000 téléchargements. Mais la concurrence est vive sur ce créneau des sites
musicaux. Chaque acteur européen tente de marquer son territoire. Dans
l'Hexagone, FranceMP3 est leader et préfère rester sur son pré carré plutôt que
tenter une aventure européenne risquée. « S'implanter dans un pays nécessite un
investissement de 10 MF par an, auxquels s'ajoutent 15 MF pour le marketing
local. Etre présent dans quatre ou cinq pays en même temps, c'est un
investissement de 125 MF. Mieux vaut donc consolider notre place de numéro un
en France », analyse le P-dg de FranceMP3. D'autres ont fait le raisonnement
inverse. Vitaminic, leader en Italie, s'est installé en France. De même que
l'anglais PeopleSound ou BeSonic.fr, qui est une déclinaison française d'un
site allemand. Benoît d'Hau, son directeur général, insiste sur l'aspect
communautaire de son site : « D'un côté, les internautes vont écouter les
morceaux et font part de leurs commentaires. De l'autre, les artistes se
référencent eux-mêmes s'ils le désirent. » Ce côté communautaire intéresse les
maisons de disques qui peuvent se servir de ce genre de site pour lancer de
nouveaux talents. « Il y a déjà une success story sur le site allemand. Un
groupe de rap a été signé par Edel, un gros label indépendant », raconte Benoît
d'Hau. Quant à réaliser des profits autrement qu'avec des bandeaux de
publicité, il faudra attendre quelque temps. « Nous ferons de la vente en
téléchargement quand il y aura du haut débit pour tout le monde »,
annonce-t-il. Sachant que les acteurs du marché se positionnent pour être
prêts dans deux ans, il reste aux opérateurs et aux techniciens à tenir les
délais. (1) BMG, Sony, Time Warner/EMI, Universal. (2) MP3 ou Mpeg-1 Audio
layer 3, format de fichier son compressé de qualité CD audio. (3) Mini-CD deux
titres. (4) Streaming : écoute ou visionnage en continu.
Rémi Bouton (Naïve) : « Avec Internet, tout le monde essaie de faire le métier de l'autre »
La maison de disques indépendante Naïve a été fondée il y a deux ans par Patrick Zelnick, l'ex-patron de Virgin France. Rémi Bouton, responsable communication et nouveaux médias, analyse les rapports tendus entre le milieu de la musique et Internet. « Les compagnies de disques se sont créées autour d'un support physique qui est le disque. Aujourd'hui, elles voient arriver des technologies nouvelles qui menacent leur business. La majorité de leur revenu provient de la distribution de leur fond de catalogue. C'est pourquoi elles sont bien décidées à devenir des acteurs majeurs de l'Internet, en faisant payer les téléchargements de morceaux. Mais, avant que les gens acceptent de payer, il faudra d'abord éradiquer les sites pirates. Plus inquiétant est, à court terme, le gravage des CD. Pour enrayer la progression, les maisons de disques tentent d'imposer de nouveaux standards comme le Super Audio CD de Sony ou le DVD, qui bénéficient d'un meilleur son et, surtout, permettent de se protéger du piratage. Car le véritable enjeu est bien de savoir comment développer de nouveaux formats sécurisés, on et off line. Quand tout le monde disposera de lignes à haut débit, on pourra envisager un abonnement à des sites de téléchargement ou même du streaming. Les Français dépensent seulement 200 F par personne et par an en disques. Envisager qu'ils payent au moins autant avec le droit de puiser dans une discothèque de plusieurs dizaines de milliers de références n'est pas déraisonnable. D'autant que la musique se consommera à travers de nouveaux canaux, comme le téléphone portable. Pouvoir sélectionner sa musique et l'emmener partout avec soi va bouleverser la chaîne de production et de distribution de la musique. Avec Internet, tout le monde essaie de faire le métier de l'autre. Il y aura donc forcément de la casse. Reste à savoir sur quel maillon de la chaîn... »
Musiwap fait swinguer les portables
Ecouter de la musique depuis son téléphone portable va désormais être possible grâce à Musiwap. Cette toute jeune start-up, créée il y a deux mois par d'anciens collaborateurs de la Web agency Absolut, veut offrir un service complet via le standard WAP (Wireless Access Protocol). Le bouquet proposé par France Télécom, partenaire exclusif, comprendra de l'achat à distance de CD ou de places de concert, de l'écoute et du téléchargement de morceaux. « Avec les nouvelles technologies comme l'UMTS (1), qui autorise un débit de 2 mégabits par seconde, streaming et téléchargement vont très vite fusionner », estime Gilles Babinet, un des fondateurs de la société. Grâce aux hauts débits que promet l'UMTS (mais sans doute pas avant deux ans), le coût de la transmission devrait être comparable à celui de l'ADSL (2) pour le Web, c'est-à-dire très bon marché. Aujourd'hui, la technologie GSM est encore peu performante. C'est pourquoi Musiwap propose aux abonnés de ce service d'aller télécharger la musique sur leur site web, MP3.fr. Le succès est quasiment programmé, puisque Gilles Babinet annonce 500 000 pages vues alors que le site n'est pas encore véritablement opérationnel. Parallèlement, le site Musiwap.com va être lancé fin juin. Il proposera "toute la musique", sous entendu celles des majors, à condition que celles-ci signent des accords, tandis que MP3.fr continuera d'offrir des morceaux d'artistes non signés. Un premier terminal téléphonique produit par Samsung, associant MP3 et WAP, devrait sortir prochainement. Objectif : vendre via ce nouveau support tous les produits dérivés de la musique. Novateur mais peut-être un peu prématuré, le projet a néanmoins séduit un des grands acteurs de la vente de musique, le groupe Pinault, propriétaire de la Fnac, qui a pris une participation minoritaire dans le capital de Musiwap. (1) Universal Mobile Communications System. (2) Asymetric Digital Subscriber Line.
L'arrivée de l'instant commerce
La numérisation fait travailler les imaginations. Après la musique sur le téléphone via le WAP et bientôt l'UMTS, voilà "l'instant commerce". Ce concept a été développé par la société Mobiclick. Le principe est simple : vous entendez un morceau à la radio qui vous plaît ? Pour connaître l'auteur et les références du disque, il vous suffit de composer le numéro de Mobiclik sur votre portable. Le service identifie la musique et renvoie un message écrit SMS (1) avec les coordonnées du titre. « Il s'agit d'une technique que nous avons développée nous-même, proche de la reconnaissance vocale mais adaptée aux sons. C'est ce que l'on appelle la reconnaissance à l'empreinte », explique Frédéric Bruel, cofondateur et ancien de Dialogic (filiale d'Intel qui fabrique des cartes vocales). La seconde étape concerne l'achat. En cliquant sur une icône, on peut commander le disque, qui sera envoyé par un partenaire distributeur ; Mobiclick finalisant actuellement des tractations avec différents réseaux de distribution. Un accord de partenariat exclusif avec un opérateur de télécom est également en négociation. La société se rémunère en prélevant un pourcentage sur les ventes. La base de données de Mobiclick recense pour l'instant 20 000 morceaux. D'après Frédéric Bruel, ce nombre est représentatif de la quasi-totalité de ce qui passe en radio. Sachant que près de 40 % des ventes de CD ont lieu suite à une écoute radio, le potentiel du service est considérable. Mobiclick a d'ores et déjà séduit le groupe Bolloré, qui a pris une participation à hauteur de 9 millions de francs sur les 13 du capital total. Le service Mobiclick ainsi que le site web www.mobiclick.com seront lancés tous deux durant l'été, Frédéric Bruel s'étant fixé comme objectif de générer 100 000 appels par mois et en convertir 8 % en achats. (1) Mini-messages de 160 caractères maximum en norme GSM.
Les sites des sociétés citées dans cette enquête
www.besonic.com www.franceMP3.fr www.mcity.fr www.mobiclick.com www.MP3.com www.musiwap.com www.universalmusic.fr www.sonymusic.fr