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Modèles économiques L'épopée du réseau Internet

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En dix ans, le Net a engendré de nouveaux modèles, différents de ceux de l'économie traditionnelle. En s'appuyant sur une logique centrée sur les effets vertueux du réseau, Internet bouscule l'ordre établi et élargit quotidiennement ses propres frontières.

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Avant de se pencher sur l'économie de l'Internet, encore faut-il ne pas perdre de vue la dimension technologique native du réseau. Le Web, application de l'Internet au même titre que l'e-mail, est utilisé tout d'abord par les universitaires avant de s'imposer comme un nouveau canal, doublé d'un nouveau média dans le monde de l'entreprise. Certains n'ont pas hésité à comparer la révolution des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) à celle des chemins de fer. Remémorons-nous l'époque de l'avant-Web. L'informatique grand public démarre, alors qu'en 1976 Steve Wozniak conçoit l'Apple I, symbole de l'ordinateur personnel, et en vend, avec Steve Jobs, 200 exemplaires ! Une victoire de taille pour l'époque. Quelques années plus tard, en 1981, ce sera au tour d'IBM de lancer son PC (Personal Computer). La suite, nous la connaissons. Les ordinateurs grand public se généralisent, un phénomène dopé à la fin des années 90 par l'ascension du World Wide Web. Pourtant, c'était hier. Et, en l'espace de dix ans, bien des choses ont changé. Communication d'un genre nouveau entre les gens d'abord, entre les consommateurs et les marques ensuite, mais aussi nouvelle forme d'implication de chacun au quotidien et comme citoyen…

Virtuel mais bien réel

En dix ans à peine, donc, Internet a dessiné un nouvel ordre, régi par ses propres règles. « Il est évident que la logique économique, l'application des principes économiques élémentaires, n'est pas la même sur le réseau et hors du réseau », soulignait déjà en 1994 Rishab Aiyer Ghosh, à l'origine de nombreuses études sur les logiciels open source et auteur de La montée d'une économie fondée sur le troc de l'information. Premier constat donc, les règles de l'économie numérique lui sont totalement propres. Mais pourquoi cette adoption sans précédent de l'Internet ? Au sein des entreprises, les promesses d'économies véhiculées par le réseau prévalent. L'information circule à la vitesse grand V , la logistique et les circuits d'information vivent de profonds bouleversements, entraînant l'émergence et la disparition de nombreuses activités.

Le gratuit érigé en modèle

Pour le grand public aussi, Internet est la perspective d'une immense base de données, ouverte sur le monde et gratuite ! Autant de raisons expliquant cet engouement, sans précédent, au sein du grand public… (cf. le graphique “Médias : les vitesses d'adoption p. 36). « La généralisation du modèle publicitaire sur Internet renforce encore la nécessité de créer rapidement du trafic pour faire payer les espaces publicitaires et, du même coup, rend difficile la fixation d'un prix, en vertu du principe selon lequel “on ne paie pas pour entrer dans un magasin” », souligne dans un article intitulé “L'avantage du pionnier dans la nouvelle économie” (Les Échos), Emmanuelle Le Nagard-Assayag, professeur de marketing à l'Essec. La monétisation de l'audience prenant le dessus, la gratuité s'impose vite comme l'un des fondamentaux d'Internet. « Les modèles économiques des mass media se réfèrent à ceux de la société de l'énergie et des matières premières, c'est-à-dire l'économie d'échelle pour une production de masse, des réseaux de distribution massifs et des consommateurs inconnus qui partent avec leur produit et que l'on ne peut plus suivre », indique Joël de Rosnay, auteur de La révolte du prolétariat (Fayard, 2006), dans un entretien publié dans Le Monde. « Les médias de masse s'appuient sur les blogs, le téléphone gratuit de type Skype, les wikis, le podcasting, les journaux citoyens s'appuient sur un modèle économique qui n'est plus celui de la gestion de la rareté mais celle de l'abondance informationnelle, typique de la société d'information par rapport à celle de l'énergie. Ces nouveaux modèles se fondent sur l'équation suivante : flux plus buzz = bizz (business !) », poursuit- il. L'équation est parlante, illustrant le basculement progressif induit par les médias de masse…

Les illusions perdues

Et pourtant, malgré ses promesses, la Net économie connaît à partir de mars 2000 les moments les plus noirs de son existence. L'asymptote des valeurs de l'Internet, selon ATKearney, est alors atteinte. Le modèle inflationniste, les spéculations boursières, la survalorisation des projets provoquent l'éclatement de la bulle Internet. Résultat ? Un déficit de confiance et l'opprobre jeté sur cette économie. La déroute entraîne le dépôt de bilan de nombreuses entreprises du Net. Les années noires commencent. Pourtant, le monde est déjà entré dans l'ère de la dématérialisation et Internet a sa place à jouer dans ces évolutions. Quand bien même malmené, le Net, autour de ses acteurs emblématiques, continue d'innover. Alors que le lancement du premier programme d'affiliation sous la houlette d'Amazon est daté de 1996, l'expansion de ce nouveau métier, basé sur la capacité des sites à se rémunérer, par recommandation, se poursuit malgré la crise. Et avec succès. Autre modèle ayant fait son apparition sur Internet à la fin des années 90, le commerce entre particuliers (C to C) commence à obtenir, aux États-Unis, des résultats de plus en plus retentissants. Pierre Omidyar, fondateur d'eBay, parvient en deux ans seulement à atteindre 10 millions de membres à la fin 1999. Et part à la conquête de l'Europe et de la France en 2001. Car Internet est bel et bien entré dans les moeurs. Parallèlement, l'économie “tous azimuts” des start-up des débuts laisse la place à un vivier d'entreprises assainies qui consolident leurs modèles et bâtissent avec l'avantage des pionniers des succès durables. Au sein de ce panorama, les moteurs de recherche, emmenés par Google, n'en finissent pas de prendre leur envol. « Sans l'éclatement de la bulle, Google aurait peutêtre adopté l'approche plus traditionnelle de la publicité sur Internet », indique John Battelle, dans l'ouvrage La révolution Google (Éditions Eyrolles, 2006). Ironie de la conjoncture, le modèle Google séparant les résultats naturels, des mots-clés payants (peu chers) aurait émergé dans un climat de crise pour ensuite s'avérer particulièrement performant…

Nouveaux modèles

Avec la démocratisation d'Internet et l'augmentation du nombre d'internautes, de nouveaux concepts voient le jour. Déjà utilisé empiriquement mais jamais modélisé, le concept de la “Long Tail”, détaillé par Chris Anderson (Wired Magazine) fait de nombreux émules dans la communauté des entrepreneurs du Net. Le “niche marketing” est né ! Internet permettant de faire une multitude de transactions sur des besoins ultra-ciblés, en touchant une audience très large… Autre innovation liée à l'interactivité native du média, des sites émergent donnant toujours plus de liberté d'interagir à l'internaute. Le Web 2.0, in fine, ancré dans l'esprit même du réseau, arrive en force ! Popularisée par Tim O'Reilly, cette nouvelle génération trouve de nombreuses déclinaisons. My Space, Flickr, YouTube, Wikipédia, etc., autant de sites lancés dans l'esprit collaboratif d'Internet qui, aujourd'hui, dessinent les potentialités des modèles de demain.

1989

Naissance du modèle World Wide Web, inventé par Tim Berners- Lee.

1992

Le secteur commercial et médias arrive sur Internet.

1996

Lancement du premier programme d'affiliation par Amazon.

1997

Larry Page et Sergey Brin annoncent la naissance de Google à la communauté scientifique

Interview. Godefroy Dang Nguyen > Professeur d'économie à l'École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne. « La question de la gratuité porte sur une conception de l'équilibre social »

Sur Internet, la gestion de l'abondance et la gratuité présentent-elles, selon vous, des limites ? L'information est un bien “public” au sens économique du terme. Une fois produite (et numérisée), elle devient consommable par tous. Mais, évidemment, un tel système n'incite pas à produire de l'information, car cela représente un coût fixe. Les copyrights, brevets et droits d'auteur sont là pour régler ce problème en affectant un droit de propriété, ce qui permet de créer, par la suite, un marché. Cependant, on voit bien que tout est question de conventions sociales. Et des questions se posent. Qui bénéficie des droits ? Pour combien de temps ? Il y a une contradiction entre le bénéfice privé de l'ayant-droit et l'utilité sociale pour les consommateurs. Plus l'information se développe, plus cette contradiction sera criante. Je pense qu'à long terme (vingt ou trente ans), tous les mécanismes de protection s'affaibliront, car ils ne sont pas socialement satisfaisants. La licence globale est une piste dans cette direction. La question de la gratuité porte donc sur une conception de l'équilibre social. Ce dernier tend vers le consommateur, pas vers le producteur, mais entre-temps, il y aura beaucoup de batailles, dans le contexte juridique du moment, la loi étant amenée à évoluer. En va-t-il de même pour les services ? Outre l'information, les infrastructures et les services peuvent également être gratuits, mais il s'agit d'une attitude délibérée des producteurs qui résulte d'un calcul économique consistant à faire payer par d'autres biais. La différence est que seule l'information numérique est un bien public. Le reste (les services, les infrastructures) représente des biens collectifs, exception faite des ondes radio. C'est d'ailleurs pour cela que le Wifi et le Wimax ont vocation à être gratuits ou à être payés au forfait. Vous parlez de nouvelles formes de coopération liées à l'économie d'Internet. De quoi s'agit-il ? Je fais référence aux communautés qui sont des producteurs collectifs d'information, de “corpus” en quelque sorte. Amazon, eBay et les autres utilisent cette production qui prend la forme de jugements critiques, de notations et qui a une valeur marchande alors même que leur auteur n'est pas rémunéré. On constate que ce système encourage le commerce en ligne, dont il est un élément essentiel. Enfin, si désormais tous les commerçants ont intégré cette dimension, il est piquant de noter que le commerce en ligne s'est développé – à la marge – dans des activités dont on n'aurait jamais imaginé l'expansion sérieuse : objets d'occasion (eBay), rencontres (Meetic), fleurs (Aquarelle), vente privée, vins (Chateauonline), alors que les gros postes de dépenses (automobile, vêtements, alimentaire) n'ont pas encore véritablement décollé sur Internet.

 
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Martine Fuxa

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