M-commerce: les stratégies gagnantes
Le marché du m-commerce se structure peu à peu. Les poids lourds du e-commerce y voient un levier de croissance désormais incontournable, et sont nombreux à investir ce canal de vente. Le point sur les stratégies mobiles alliant pérennité et viabilité.
Je m'abonneEst- il pertinent ou non de vendre ses produits ou ses services sur mobile? Il y a peu, ce questionnement était encore légitime pour tout e-commerçant en quête de nouveaux leviers de croissance... Aujourd'hui, ça n'est plus qu'une question rhétorique, obsolète de surcroît. Pour preuve, un chiffre: 462 millions. Il s'agit du nombre de smartphones vendus dans le monde en 2011, selon une étude Gartner (octobre 2011). A titre de comparaison, le cabinet de conseil a estimé les ventes mondiales de PC en 2011 à 364 millions d'unités. Ainsi, peu à peu, l'accès à Internet depuis un téléphone mobile va rattraper l'accès via les ordinateurs dits «traditionnels». Un constat qui se vérifie aussi à l'échelle de la France, puisque, selon Médiamétrie, l'Hexagone comptait pas moins de 19 millions de mobinautes au quatrième trimestre de l'année 2011 (+ 23 % en un an) , pour 39,4 millions d'internautes. Pour autant, les détracteurs s'attachent à dire que le taux d'équipement en smartphones, la progression des connexions et de la navigation sur Internet via un terminal mobile, ne sont pas systématiquement synonymes de ventes. Un dernier chiffre devrait pourtant les convaincre: entre 2010 et 2011, le chiffre d'affaires du m-commerce a crû de 250 %, selon les dernières estimations de la Fevad, pour atteindre 1,3 milliard d'euros au total (étude Kelkoo, janvier 2012).
A l'échelle mondiale, le peloton de tête des m-commerçants affichent des résultats à donner le tournis: Amazon génère 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires depuis le mobile ; Apple, près de 708 millions d'euros ; le groupe d'hôtellerie de luxe Marriott, 110 millions d'euros, et le distributeur Wal-Mart n'enregistrerait pas moins de 96 millions d'euros de chiffre d'affaires issus du m-commerce (source: The Mobile Commerce Top 300, Internet Retailer) . C'est aussi la preuve que tout, ou presque, peut être vendu par mobile, du produit physique aux services dématérialisés. Dès lors, la véritable question aujourd'hui n'est plus de savoir à quel moment il faut investir le canal du m-commerce, mais plutôt de quelle manière.
Jérôme Stioui (Ad4Screen)
« Les modèles qui fonctionnent bien sont ceux qui contiennent une logique d'achat d'impulsion comme les sites de ventes aux enchères, de ventes privées ou de ventes événementielles. »
François Coumau, directeur général France, eBay
« Un article est acheté toutes les trois minutes et demie via une application mobile eBay»
Interview...
Depuis combien de temps avez-vous investi le m-commerce, et pourquoi avez-vous fait ce choix?
La première application mobile date de 2008. Le m-commerce s'inscrit dans la stratégie développée par John Donahoe, le p-dg d'eBay, autour de quatre piliers: local, social, digital et mobile. Ce choix répond à l'évolution du comportement des utilisateurs, qui deviennent de plus en plus nomades. Aujourd'hui, en France, un article est acheté toutes les trois minutes et demie via une application mobile eBay.
Le montant des transactions mondiales sur mobiles d'eBay devrait atteindre cinq milliards d'euros en 2011. Quelle est la recette d'un tel succès?
Nous attribuons cette réussite à la performance de nos plateformes pour mobile. En effet, l'application eBay est très complète, puisqu'elle comprend le suivi de commande, la recherche, l'achat, la vente et le paiement. Elle est multisupport et fonctionne sur BlackBerry, Android, iPhone et iPad. Nous devons également cette réussite aux acquisitions de RedLaser, une application gratuite de scan sur iPhone et Android permettant de comparer les prix des produits à partir de leurs codes-barre, et de Milo.com, une application qui permet de trouver des produits dans les boutiques physiques proches de soi et qui offre au consommateur la possibilité de comparer les prix dans les boutiques.
La majorité du chiffre d'affaires mobile d'eBay provient-elle du site mobile ou de ses applications?
Les applications représentent la majorité du chiffre d'affaires, car elles offrent une expérience utilisateur optimisée. Cependant, la mise à jour de l'application mobile demande une action proactive de la part de l'utilisateur. De plus, une application, par définition, demande à être connue des utilisateurs, contrairement au site mobile qui peut être trouvé plus spontanément grâce à des moteurs de recherches type Google.
Comment appréhendez-vous le canal de vente tablettes, qui devient un enjeu majeur pour les e-commerçants?
En effet, le m-commerce via les tablettes est un enjeu important. Notre équipe mobile a imaginé l'expérience sur tablette en exploitant pleinement le confort visuel offert par un grand écran. Cet aspect est particulièrement important pour les catégories «visuelles» comme la mode, la décoration, etc.
Peaufiner sa stratégie mobile
De l'avis de nombreux experts opérant sur le secteur du e-commerce, le mobile comme canal de vente à part entière doit faire l'objet d'une réflexion menée en amont, afin d'établir une vraie stratégie sur le long terme. « Nous travaillons depuis un moment sur la manière dont nous devons investir le mobile, explique Pierre Trémolières, fondateur du site Delamaison.fr, mais nous ne souhaitons pas être en position de suiveur et sortir une énième application. Nous devons trouver le moyen d'apporter une valeur ajoutée. Cela peut passer par l'intégration de la réalité augmentée. »
Emerger face à une concurrence forte, même sur le mobile, est un objectif indispensable, dont la réussite peut être conditionnée par le modèle économique du site. « Les modèles qui fonctionnent bien sont ceux qui contiennent une logique d'achat d'impulsion, estime Jérôme Stioui président du groupe de conseil en stratégie mobile Ad4Screen. Cela comprend notamment les sites de ventes aux enchères, de ventes privées ou de ventes événementielles. » En effet, qu'il s'agisse de Vente-privee.fr (100 millions d'euros de CA issus du m-commerce en 2011), d'eBay (3,8 milliards d'euros de transactions via les mobiles en 2011), ou encore de Groupon et de son modèle de deals quotidiens, c'est la notion d'instantanéité dans la conclusion d'un achat qui prévaut. Quoi de plus facile que de remporter une vente aux enchères sur eBay dans les transports en commun, d'un simple clic depuis son smartphone? Ou d'accéder à une vente privée sur mobiles, dont la spécificité est d'avoir une très courte durée de vie dans le temps? Voire même, dans le cas de Groupon, de conclure un deal proposé par un commerçant situé près de chez soi...
Ici, l'idée est clairement d'adapter sa présence sur mobile en fonction des usages qu'il permet. La dimension temps-réactivité est donc prépondérante.
Europe: plus de 500 % de croissance pour le m-commerce en 2012
A l'échelle européenne, les dépenses des internautes en m-commerce devraient continuer de croître à un rythme soutenu en 2012. En effet une étude Kelkoo, réalisée par le Centre for Retail Research (janvier 2012), révèle une croissance accélérée de 510 %, pour atteindre 14,6 milliards d'euros fin 2012, et représenter 6,1 % des dépenses consacrées au commerce électronique. Il en ressort notamment que les consommateurs britanniques devraient être les plus dépensiers en matière d'achat sur mobile en Europe, en déboursant 5,4 milliards d'euros via leurs appareils mobiles en 2012, soit 7,9 % du marché global. La France devrait se classer sur la troisième marche du podium, avec une dépense estimée à 2,2 milliards d'euros, derrière les consommateurs allemands, qui devraient générer 3,2 milliards d'euros au titre du m-commerce. L'Espagne ferme le classement avec une dépense prévisionnelle cette année de 230 millions d'euros, juste derrière les Danois (300 millions d'euros).
Concernant la part des dépenses e-commerce réalisées depuis mobile, les Britanniques sont également en tête (7,9 %), et à l'inverse le Danemark (5%), la France (4,6 %) et la Pologne (4,1 %) devraient représenter les proportions les plus faibles par rapport au marché global.
Benoît Sineau (Happytime)
« L'exhaustivité est la clé. Il faut absolument proposer tous les produits du catalogue du marchand sur le mobile. »
Un contenu marchand riche
Pour les sites dont le modèle ne s'inscrit pas dans l'un de ces cas de figure, « c'est la nature du produit vendu qui est importante, assure Benoît Sineau, directeur général du site Happytime, une agence d'évasion et de loisirs. L'exhaustivité est la clé, il faut absolument proposer tous les produits du catalogue du marchand sur le mobile. »
En effet, de nombreux observateurs estiment qu'il faut en terminer avec l'idée reçue selon laquelle le mobile ne doit proposer qu'une sélection de produits, comme les best-sellers. C'est la complémentarité du canal web traditionnel avec le canal mobile qu'il faudrait avant tout favoriser. Au sein de Fnac.com, c'est d'ailleurs la stratégie retenue. « Pour la billetterie et les produits culturels, l'intégralité de nos catalogues est disponible sur mobile, note Bertrand Gstalder, directeur général de Fnac.com. Ce canal nous autorise plus facilement à vendre des produits culturels que des produits high-tech comme des ordinateurs. »
Le cybermarché Houra.fr va plus loin encore. Accessible sur iPhone via une application dédiée, le site propose à ses clients d'accéder à l'ensemble des produits de la version Internet, soit près de 50 000 références, y compris les produits frais. Tout le défi, ensuite, est de permettre au mobinaute d'accéder simplement au produit qu'il souhaite acheter. Dès lors, qu'il s'agisse d'Houra, de la Fnac ou d'un géant comme Amazon, une formule semble être particulièrement plébiscitée pour son efficacité: l'intégration d'un moteur de recherche. « Cela permet aux clients de trouver rapidement un produit et de l'ajouter facilement à leur liste de courses », souligne Nicolas le Hérissier, directeur marketing d'Houra. Autre fonctionnalité à forte valeur ajoutée, le scan code-barres. Houra, mais aussi Wal-Mart, Amazon, ou encore la Fnac l'ont adopté. Cela permet au consommateur, grâce à l'utilisation de l'appareil photo de son smartphone, de photographier le code-barres d'un produit directement en point de vente, et ainsi d'en connaître le prix chez les concurrents de l'enseigne. Quitte, pour l'acheteur, à réaliser son achat sur Internet plutôt qu'en point de vente, si celui-ci y est moins cher. Cette fonctionnalité, très appréciée des utilisateurs, présente en revanche la particularité de n'être utilisable qu'à travers une application mobile, car un site mobile ne permet pas d'exploiter l'appareil photo d'un smartphone.
Romain Voog, directeur de la catégorie électronique grand public, Amazon
« Nos applications sont plus que de simples copier-coller de notre site »
Interview...
Amazon est numéro un mondial du m-commerce. Depuis combien de temps avez-vous investi celui-ci, et quels leviers avez-vous mis en place pour performer autant sur le mobile?
En France, nous avons lancé notre site internet mobile en novembre 2006. L'application iPhone a été proposée au public en mars 2010, l'application iPad en décembre de la même année, et enfin l'application pour Android a été lancée en février 2011. Elles ne sont pas de simples copier-coller de notre activité en ligne. Nos clients ont accès à des fonctionnalités spécifiques aux mobiles, comme l'outil de numérisation de codes-barres grâce auquel ils peuvent trouver instantanément les articles ou les cadeaux qu'ils souhaitent acheter sur Amazon.fr, mais aussi les listes d'envies, construites par l'internaute pour aiguiller ses proches sur le cadeau idéal, dont la spécificité est d'être partageables par e-mail et sur les réseaux sociaux.
Quels arbitrages avez-vous effectué quant à la nature des produits que vous mettez à disposition des mobinautes? Y a-t-il des différences notables entre les produits proposés à travers les applications iPhone et Android?
En France, tout le catalogue d'Amazon.fr est proposé sur les applications mobiles et tablettes, seules quelques références de produits high-tech ne sont pas disponibles. Par ailleurs, entre les applications iPhone et Android, il n'y a pas de différence notable, les mêmes fonctionnalités ont été développées. Toutefois, avec l'application fonctionnant sous Android, il est possible de lier son achat à certains types de contenus digitaux, ce qu'il n'est pas possible de faire avec le système d'exploitation des terminaux iPhone. A l'inverse, nous testons actuellement une fonction expérimentale sur iPhone. Intitulée «Amazon Mémorise», elle permet aux clients de garder en mémoire des articles qu'ils on pris en photo et de trouver un article semblable sur Amazon.fr.
Quelles sont les différences majeures entre le site mobile et les applications Amazon?
Il en existe une en particulier: les applications permettent de profiter de toutes les fonctionnalités du terminal, pas le site mobile. Par exemple, avec l'application Amazon shopping, il est possible de scanner des codes-barres grâce à l'appareil photo, faire des recherches facilement, acheter en un clic ou encore ajouter un produit à sa liste d'envies.
Site mobile et application: je t'aime... moi non plus
Autre élément de réflexion incontournable dans la stratégie mobile du e-commerçant: l'arbitrage entre site mobile et application. L'un comme l'autre présentent des avantages et des inconvénients qu'il faut mettre en lumière afin de procéder à un choix adapté. Selon Jérôme Stioui (Ad4Screen), « développer un site mobile permet de capitaliser sur la qualité du référencement d'un site marchand sur Google, et ainsi de conquérir de nouveaux clients qui ne connaissent pas la marque ». Les applications marchandes s'adressent, elles, plutôt aux utilisateurs déjà clients d'un site marchand. En effet, comment serait-il possible de se procurer l'application d'un site sur l'App Store ou l'Android Market, sans en connaître au préalable l'existence? « Les applications sont en revanche un outil efficace pour la fidélisation des clients, précise Jérôme Stioui, notamment grâce aux notifications push envoyés aux utilisateurs».
Quelle que soit l'option retenue, il faut faire attention à ne jamais perdre de vue la qualité de l'expérience utilisateur, moins bonne sur un site mobile que sur une application. Ainsi, Patrick de Carvalho, cofondateur de l'agence Wayma, prévient: «Si un site peut développer une application marchande seule, sans site mobile, ce serait au contraire une erreur de se contenter d'un site mobile. » D'autant que, si une application marchande peut très bien fonctionner indépendamment d'une connexion 3G, le site mobile est dépendant de la qualité de connexion du mobinaute au réseau. Ceci peut s'avérer être un véritable frein au regard du temps de chargement des pages internet sur le terminal mobile, notamment lors de l'étape de paiement, dont tout le monde connaît le caractère crucial dans le tunnel de conversion. Et ce n'est pas tout: les applications permettent l'utilisation des fonctions natives du terminal mobile (à l'inverse d'un site mobile) , comme l'appareil photo, idéal pour comparer les prix, tout en facilitant l'étape de paiement, grâce au règlement en un clic: l'utilisateur entre une seule fois son numéro de carte bancaire et, pour les paiements suivants, se contente d'un login et d'un mot de passe pour valider son achat. Mieux encore, les applications permettent à un site marchand de se positionner en fonction des usages de ses clients: «Nous avons trois applications, et chacune d'entre elle est une réponse à un besoin ou à un usage précis de nos clients», explique Bertrand Gstalder, directeur général de Fnac.com. C'est le phénomène de marketisation des applications. Ainsi, l'application Fnac Marketplace est un outil B to B pour ses vendeurs professionnels, Tick & Live, est une application de billetterie, et Fnac.com est l'application dédiée à ses produits culturels. Attention toutefois à garder un oeil vigilant sur l'investissement financier d'une telle démarche, qui peut rapidement prendre des proportions démesurées et plomber le ROI d'une stratégie mobile, que l'on sait encore fragile. Concrètement, le coût de développement d'une application marchande peut démarrer à 5 000 euros, mais selon les fonctionnalités embarquées, la qualité du design et de l'ergonomie, l'addition peut être bien plus salée. «Pour l'application d'un site de la taille de Pixmania, multilingue, comprenant un moteur de recherche, le suivi de commandes, un catalogue produit très riche, des avis de consommateurs, etc., il faut compter entre 30 et 40000 euros», estime Patrick de Carvalho, (Wayma) . Et c'est sans compter sur le développement d'applications spécifiquement destinées aux tablettes.
Patrick de Carvalho (Wayma)
« Un site peut développer une application marchande uniquement, mais ce serait une erreur de se contenter d'un site mobile.»
Tablettes: vers un m-commerce augmenté?
Le développement exponentiel du m-commerce est (et sera) éminemment porté par les tablettes tactiles. En France, pas moins d'un million et demi de tablettes ont été vendues en 2011, selon le cabinet d'études GfK. Pour les e-commerçants, c'est une aubaine à ne pas manquer, les tablettes pouvant être utilisées à la fois comme un ordinateur et en situation de mobilité. Pour autant, seules 23 % des tablettes vendues en 2011 disposaient d'une connexion 3G. Pour l'heure, c'est donc l'usage domestique qui prédomine. Si bien qu'au sein de la communauté des e-commerçants, on n'a pas encore décidé si les tablettes tactiles appartenaient au m-commerce.
En attendant, les tablettes sont à l'unanimité considérées comme un canal de vente si puissant qu'il pourrait cannibaliser les ventes réalisées depuis les ordinateurs «traditionnels». Et pour cause: «Elles permettent de faire du branding, ce qui est moins évident sur les sites internet, précise Patrick de Carvalho (Wayma). Les tablettes peuvent proposer une expérience très différenciante, si elles sont exploitées au maximum de leur potentiel. » Un avis partagé par le fondateur du site Delamaison.fr, Pierre Trémolières: «Les tablettes autorisent une scénarisation encore plus riche, et une expérience encore plus «aspirationnelle». Ce qui est important dans un secteur tel que l'ameublement. En ce sens, les applications iPad sont particulièrement abouties.» Une sorte de m-commerce augmenté, en somme, combinant le meilleur de l'Internet fixe et des terminaux mobiles, au potentiel encore sous exploité, mais dont l'avenir se présente d'ores et déjà sous les meilleurs auspices...