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Luxe et Internet: je t'aime moi non plus...

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Les marques de luxe ouvrent les unes après les autres leur site de vente. Elles découvrent un territoire méconnu, avec ses codes et ses règles. Qui d'Internet ou du luxe en sortira le plus changé?

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L'onglet e-shopping du site Louis Vuitton permet de faire ses courses en ligne.

L'onglet e-shopping du site Louis Vuitton permet de faire ses courses en ligne.

Un vent de panique souffle sur les grandes marques de luxe. Après des années de passivité face au développement exponentiel du e-commerce, celles-ci semblent avoir tout juste pris conscience de l'ampleur du phénomène. Et s'empressent de mettre en oeuvre leur site de vente en ligne. La plupart des marques sont plutôt discrètes quant à leur stratégie en ligne ou refusent carrément d'en parler. A l'image de Chanel ou Cartier, toutes assurent «y réfléchir très sérieusement, mais ne pas vouloir se brusquer sur le sujet». Il faut dire qu'il s'agit d'une petite révolution à faire trembler les boiseries du monde feutré du luxe. «Pendant longtemps, personne ne voulait y aller, analyse Vincent Grégoire, «chasseur de tendances» de l'agence Nelly Rodi. Toutes les marques disaient que ça allait les dévaloriser, que ce n'était pas un média pour elles... Tous les poncifs possibles. Aujourd'hui, le revirement est impressionnant.» Une attitude critiquée par David Degrelle, p-dg de Première position, agence de référencement et marketing interactif: «Le luxe est l'un des derniers secteurs à s'être intéressé à Internet. Leur logique, plutôt hautaine, consistait à penser: nous sommes tellement connus que ce n'est pas la peine d'aller sur ce média.» Longtemps assimilé au low cost et au hard discount, Internet a effectivement eu bien du mal à s'imposer dans le monde du luxe. Mais pourquoi alors ne pas avoir laissé la main à des sites dédiés tels que E-luxury.com ou Gloss.com qui ont déjà prouvé leur succès aux Etats-Unis? Ou à Marionnaud ou Sephora en France? «Les marques ont pris conscience qu'Internet pouvait leur apporter beaucoup en termes de connaissance client, affirme Elise Gilbert, directrice conseil chez Duke. Ce que les clients aiment, ce qu'ils achètent, leurs attentes... autant d'enseignements qui sont plus difficiles, voire impossibles, de recueillir en magasin.» Un constat confirmé par Eric Bordron, directeur e-commerce du groupe Clarins, qui a ouvert, il y a quelques semaines son site marchand: «L'intérêt de ce site, c'est qu'il va nous permettre de connaître plus précisément les attentes de nos consommateurs. Ainsi, nous pourrons mieux répondre à leur problématique et les accompagner en leur donnant par exemple des conseils.»

Eric Bourriot (B2D1):

«Certainesmarques ont fait les frais des débuts d'Internet»

Taline Mouradian (Nurun):

«On assiste à l'émergence d'une nouvelle clientèle du luxe: moins poudre aux yeux et dans un rapport plus décomplexé aux produits.»

Adoption progressive

De fait, le couple luxe et Internet est en train de muter. «Si Internet a longtemps été mal perçu par le secteur, c'est aussi à cause des ratés des débuts, explique Eric Bourriot, expert en e-marketing chez B2D1. Il y a dix ans, certaines marques de luxe ou haut de gamme sont intervenues sur le Web comme pure players. Or beaucoup d'entre elles ont fait les frais des débuts d'Internet. Ce média a longtemps été ressenti comme n'étant pas un réseau de distribution à part entière, comme étant non qualitatif, et a surtout été perçu comme un repaire de pirates.» Un point de vue que partage Christian Radmilovitch, de l'agence SQLI, en rappelant que «les marques ont pu être échaudées par les déboires et les excès des débuts du Net. Des expériences malheureuses, telles que celles de Boo.com Lancée en novembre 1999 après avoir réuni un capital d'environ un milliard de francs auprès d'investisseurs de renom tels qu'Europ@web, JP Morgan ou Goldman Sachs, la start-up Boo.com (spécialisée dans la vente de vêtements) avait connu une faillite retentissante liée à la mauvaise gestion de ses dirigeants. , en ont refroidi plus d'un». Le changement de mentalité s'est donc fait pas à pas. Et notamment au gré des progrès techniques. «Au début, Internet n'avait pas les moyens de véhiculer l'esprit de la marque. Avant l'arrivée de la technologie Flash, il fallait du temps pour télécharger les images du site, c'était très laborieux», se souvient Thierry Vandewelle, directeur général de l'agence interactive WCube. «Beaucoup de choses sont possibles sur le Web aujourd'hui grâce aux technologies: la personnalisation de l'accueil, une belle présentation, des photos de qualité...», défend Matthieu Prat, responsable multimédia de BPI Beauté prestige international est une société créée par Shiseido. Elle distribue les parfums de Issey Miyaké, Narciso Rodriguez et Jean Paul Gaultier. .

L'image. Le mot-clé est lâché: «Dans l'imaginaire lié aux marques de luxe, la symbolique est extrêmement importante, souligne Taline Mouradian, directrice du planning stratégique chez Nurun. Le fait même de pousser la porte d'une boutique de luxe appartient à un rituel. La vente en magasin se doit d'être une expérience qualitative très forte. La notion de privilège, le sentiment d'appartenir à une classe privilégiée sont des éléments constitutifs inhérents au luxe. Un média tel qu'Internet accessible à n'importe qui, n'importe quand, entame cette image.» Curieux dilemme que d'arbitrer entre la maîtrise de son image et la nécessité de ne pas décevoir ses clients. «On assiste à l'émergence d'une nouvelle clientèle du luxe: moins poudre aux yeux et dans un rapport plus décomplexé aux produits», explique Taline Mouradian. Une population accro aux produits de luxe et voyant dans Internet un moyen de combler ses fantasmes sans avoir à se déplacer...

«La principale raison pour laquelle les marques de luxe doivent venir sur le Web, c'est que leurs clients y sont et les attendent. Internet touche toutes les couches socio-professionnelles, y compris les gens fortunés», résume David Degrelle (Première Position).

Une analyse confirmée par les études sur les ventes en ligne, comme l'explique Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. «Les cibles privilégiées des marques de luxe sont les plus gros consommateurs d'Internet», souligne-t-il. En effet, selon une étude Ipsos datant de 2005, Internet serait le média préféré des cadres, par essence parmi les premiers consommateurs de produits de luxe: 92 % d'entre eux se seraient connectés sur Internet au cours des 30 derniers jours. En outre, 60 % des femmes de 25 à 49 ans ayant de hauts revenus iraient sur Internet quotidiennement. Ultime argument, de taille, selon Eurostaff, cabinet d'études stratégiques et financières, «70 % des clients du luxe ont ou envisagent d'acheter un produit de luxe en ligne».

Toutefois, et surtout en France, tout ne se vend pas encore sur la Toile. Outre-Atlantique, en revanche, les mentalités sont beaucoup plus avancées. «Aux Etats-Unis, parce qu'on est sur un territoire très vaste, les gens ont l'habitude de la vente à distance. Même Tiffany's propose d'acheter ses bijoux sur Internet», affirme Elise Gilbert. Pour pouvoir contempler et même acheter les bijoux de la célèbre marque de joaillerie, tout en dégustant des croissants, plus besoin de remonter la cinquième avenue de New York comme Audrey Hepburn dans la mythique scène d'ouverture du film de Blake Edwards Breakfast at Tiffany's... «Il n'y a pas de logique de substitution, sauf pour les clients éloignés des points de vente classiques. Internet est en train d'entrer dans les habitudes de consommation», analyse Marc Lolivier. Une tendance que les réseaux de distribution classiques (franchisés) des marques de luxe apprennent pourtant à considérer d'un mauvais oeil. «Ils y voient une concurrence déloyale, surtout les distributeurs agréés auxquels les marques ont demandé de se mettre aux normes pour mériter de vendre leurs produits», assure Thomas Le Guyader, fondateur et directeur général de B2D1. «Toutefois, le service offert dans les points de vente physiques a encore une vraie valeur, tempère-t-il. Quand on dépense une certaine somme, on a envie d'être soigné.»

Daphné Leopold (Thierry Mugler):

«Nous proposons aux internautes des produits en avant-première ou spécifiques au Net»

Remise en question

Réflexion de bon sens qui augure d'un niveau d'exigence transposé des boutiques physiques aux boutiques en ligne. Pour décomplexée qu'elle puisse être, la clientèle actuelle du luxe n'a, en effet, pas l'intention de se priver des avantages d'un haut niveau de service. Aussi, sur Internet comme en boutique, gare aux faux pas. «L'e-commerce est un vrai projet d'entreprise très impliquant, qui requiert une logistique au cordeau. Or, les marques ont pris beaucoup de retard en termes d'apprentissage client, de démarche relationnelle par rapport aux grands distributeurs qui sont présents sur le marché depuis dix ans. C'est là qu'on les attend, dans leur capacité à se réinventer. C'est un très beau défi pour elles», estime Taline Mouradian. En décembre dernier, Hermès avait donné l'exemple en proposant de livrer ses fameuses cravates et carrés en quelques heures à peine pour Noël. «Une grande partie des marques ont aujourd'hui une réflexion très structurante sur cette problématique et notamment sur leur relation avec leurs autres points de vente. C'est un tournant nécessaire, mais pas évident à négocier», conclut Taline Mouradian.

Autre embûche qui guette le luxe: la faute de goût. «Les marques n'ont pas intérêt à pratiquer des soldes sur Internet. Les prix bradés seraient une atteinte directe à l'image de marque et feraient perdre du cachet à l'enseigne», estime David Degrelle. «Il ne faut pas désacraliser le luxe, sinon il ne fait plus rêver», renchérit Anne Beaugrand, présidente et fondatrice de Sistershopping. «Tout l'enjeu est donc de préserver l'intégrité de la marque. Ce n'est pas parce que l'on vend un produit que l'on doit avoir à tout prix les vignettes «acheter», «ajouter au panier», «le prix», etc. à droite de l'écran», estime Lionel Curt, p-dg de Megalo(s), l'agence qui mettait en oeuvre dès 2004, un «shop in shop« sur le site de Marionnaud pour la marque Jean Paul Gaultier. Pour ne pas perdre leur âme dans les rets du Web, toute la créativité et le savoir-faire des agences spécialisées sont ainsi mises à contribution par les marques. «Pour le site de Jean Paul Gaultier, nous avons essayé de recréer un univers luxe malgré le contexte d'achat, en ajoutant un ensemble de services. L'idée étant d'accompagner l'internaute pour qu'il vive une véritable expérience d'achat.

Reconnaître le client quand il arrive sur le site, lui proposer des conseils beauté, lui offrir des produits exclusifs sont autant d'arguments commerciaux du luxe. La personnalisation en est un autre, car la clientèle du luxe aime à penser qu'elle possède un objet unique», explique Lionel Curt.

Une attente bien comprise par Hermès, qui propose, sur l'ensemble de ses sacs, d'apposer ses initiales. De même, Long- champ permet aux internautes de personnaliser leur sac pliable. Thierry Mugler offre, quant à lui, la possibilité de graver ses bouteilles de parfum. «Nous proposons aux internautes des produits en avant- première ou spécifiques au Net, tels que des objets de collection en édition limitée», explique Daphné Leopold, directrice de la communication internationale de la marque.

«Nous n'avons pas attendu Internet pour nouer une relation de proximité avec nos consommateurs, cela fait partie de l'ADN de la marque de les chouchouter. Nous avons d'ailleurs l'intention de lancer une plateforme blog pour nos clients fidèles afin de récolter leurs sentiments sur nos produits et d'approfondir encore la personnalisation du service», poursuit-elle. Même approche au niveau du packaging des produits: «Nos clients reçoivent une boîte-cadeau cobrandée Mugler qui reste fidèle à l'univers de la marque, ainsi qu'un message personnalisé à leur adresse», détaille Daphné Leopold. Une démarche liée au service qui se retrouve dans l'approche développée par Gaultier. «Sur le site de Jean Paul Gaultier, nous offrons aux internautes la possibilité de renseigner certains champs afin d'être reconnus lors de leur prochaine visite, confie Matthieu Prat. Ces VIP pourront ainsi accéder à des contenus spécifiques et à des produits en exclusivité.»

Anne Beaugrand (Sisters-hopping):

«II ne faut pas désacraliser le luxe, sinon il ne fait plus rêver.»

Relais de croissance

Aussi les marques de luxe ont-elles bien saisi l'intérêt que pouvait représenter Internet. Y compris semble-t-il sur le volet mercantile, même si ce dernier continue de faire débat.

«Les acteurs du luxe donnent l'impression qu'ils sont investis d'une mission philanthropique. Qu'ils ne font pas vraiment du commerce, mais sont présents sur Internet pour rendre service à leur client, pour créer du lien, de l'émotion... C'est vraiment hypocrite de leur part. Après avoir raconté une belle histoire aux internautes autour de l'univers de la marque, le but reste quand même de vendre», estime sans détour Vincent Grégoire. Un sentiment partagé par David Degrelle: «Les marques de luxe restent focalisées sur leur image, une stratégie qui ne marche pas sur Internet. D'abord parce que leurs sites sont difficiles à référencer et d'autre part parce que cela complique la navigation. Aujourd'hui, les internautes n'ont pas envie d'être passifs et de voir défiler de belles photos, ils veulent de l'information, du contenu et pouvoir acheter et commander facilement. Le but pour ces marques est de passer petit à petit de la culture de l'image à celle de la performance.»

Dès lors, les marques ont- elles vocation à vendre beaucoup sur Internet? Ou à proposer la vente de manière induite, au terme d'une expérience client sur le Web hissée à la hauteur de leur image? Si les avis continuent de diverger sur ce point, il est certain que pour réussir leur implantation sur la Toile, les acteurs du luxe doivent encore faire preuve d'un peu plus d'audace. Les projets sont dans les cartons, les regards attentifs... Bref, si une petite révolution est en cours, la grande bataille annoncée sur le média interactif reste avenir.

 
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Charlotte Collonge

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