Les sites web, traquent les données
Qu'il s'agisse de portails, de moteurs de recherche ou de sites de jeux et de loterie, les bases de données clients sont devenues un enjeu important dans la stratégie de développement des dotcoms. La preuve à travers quatre exemples.
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Un portail comme Yahoo! a-t-il besoin des
données enregistrées sur ses internautes ? Au vu de son statut de leader
mondial (24 pays couverts, 60 millions de comptes actifs, 400 millions de pages
vues par mois en France, 1,4 milliard en Europe), on pourrait penser que le
simple trafic suffit à son bonheur commercial. Pourtant, même le roi des sites
grand public commence à revoir sa stratégie marketing. En effet, les revenus
dus aux bannières en ligne baissent dangereusement. Yahoo!.com a donc commencé
à mettre en place des services payants, l'Europe et la France devraient suivre
d'ici quelques mois. Dans ce contexte, les informations recueillies sur les
millions de visiteurs du portail commencent à revêtir une importance
stratégique. Exemple d'utilisation de ces données par Yahoo! France : des
partenariats commerciaux avec des sociétés comme la Fnac, Bol, Amazon, des
banques, etc.
Stéphane Gotajner (Yahoo!)
« Nous ne vendons aucune adresse. Mais on peut envoyer des offres
promotionnelles aux internautes qui ont autorisé ces envois. Mais jamais plus
de deux par mois, à quinze jours d'intervalle », détaille Stéphane Gotajner,
responsable commercial. Ces campagnes de marketing direct en ligne sont ciblées
grâce à la richesse de la base clients de Yahoo!. Si un partenaire veut faire
un déstockage, le portail peut lui déterminer le bon segment en fonction du
sexe, de l'âge et des centres d'intérêts des internautes (toujours en mode opt
in). Autre alternative : le ciblage démographique (démo targeting). « Il s'agit
de bandeaux publicitaires envoyés en fonction des critères
socio-démographiques, comme le code postal », ajoute le responsable commercial.
Si Telemarket veut faire une opération sur les internautes de la seule région
parisienne, sa zone de chalandise, c'est possible. Troisième possibilité : le
domaine targeting. Il s'agit de cibler les internautes en fonction du pays où
ils se connectent sur Yahoo!.com. Par ailleurs, si un partenaire veut réaliser
un jeu concours sur un thème, le portail demande à ses internautes référencés
s'ils veulent s'y inscrire. Une base de données est alors générée et le
partenaire a le droit de l'utiliser de une à trois fois.
Faire vivre sa base
La stratégie de Yahoo! vis-à-vis des données clients
est claire : en garder la maîtrise tout en proposant des opérations ciblées à
ses partenaires commerciaux. « Le mot d'ordre est de proposer des données
qualifiées », affirme Nathalie Dray, responsable des relations publiques. Mais,
même quand on est leader, il faut faire vivre sa base. Pour fidéliser ses
abonnés (qui s'enregistrent pour posséder un compte Yahoo!), le portail
commence à lancer de nouveaux services à valeur ajoutée, les "premium
services". Par exemple, la capacité de multiplier les mégaoctets de stockage
pour sa page personnelle. Pour les professionnels, le service "business
express" garantit pour 199 dollars (1 500 F) qu'un surfeur Yahoo! viendra
visiter son site dans une période donnée. Le Yahoo! Wallet est un porte-monnaie
virtuel, etc. « Le marché de la publicité en ligne est en baisse. Il nous faut
diversifier nos sources de revenus.
Jean Marc Potdevin (Kelkoo)
: " Grâce aux statistiques sur les critères
de sélection, nous disposons d'une information plus fine que celle apportée par
une étude marketing ".
Ces services payants, de nouveaux partenariats, une utilisation très fine des
données de la base sont quelques-unes des réponses que nous apportons face à ce
changement de conjoncture », conclut Stéphane Gotajner.
KELKOO
Autre utilisation des données en ligne, celle
que fait le moteur de recherches Kelkoo. Ici, l'internaute ne s'identifie pas
puisqu'il se sert du shopbot pour accéder aux meilleurs prix des produits
informatiques, électroménagers, de loisirs, proposés par d'autres sites
marchands. Cette technologie issue des travaux de l'Inria et de Bull permet
d'accéder à des données disparates en termes de formats. Le moteur interroge
les bases de données des sites de e-commerce pour offrir une vue d'ensemble à
l'internaute. Mais, si Kelkoo n'enregistre pas de données nominatives, il
intéresse néanmoins les grandes marques par sa compréhension du parcours de ces
candidats à l'achat en ligne. « Grâce aux statistiques sur les critères de
sélection, nous disposons d'une information plus fine que celle apportée par
une étude marketing », affirme Jean-Marc Potdevin, vice-président recherche et
développement.
Tête de gondole virtuelle
Fort de cette
connaissance, Kelkoo propose à ses clients de faire apparaître sur les pages du
site une description de son offre ou une promotion. « C'est une sorte de tête
de gondole virtuelle qui permet aux marques d'influencer l'achat des
internautes », estime Jérôme Mercier, vice-président marketing. Le site propose
également des rapports marketing en ligne basés sur ces comportements de
recherche de produits. Une équipe est dédiée à ce service "data", qui sera
bientôt consultable sur un Extranet. « Nous venons juste de démarrer cette
activité de "data intelligence", avec à terme la mise en place d'un "my Kelkoo"
avec identification, mots de passe et alertes », ajoute Jérôme Mercier. A
terme, le shopbot compte donc ajouter une source de revenus à son business
model sous forme de rapports de navigation (les internautes reçoivent un cookie
qui permet de suivre leurs mouvements dans le cyberespace) vendus aux marques.
En fait, si Kelkoo ne crée ni n'enrichit de base de données clients à
proprement parler, il utilise néanmoins les informations sur les internautes
qui utilisent son service pour proposer une alternative aux sociétés de panels
comme ACNielsen ou Sécodip. « Plus de 70 % de notre audience a déjà acheté au
moins une fois sur le Net. Nos rapports de veille marketing permettent de
dégager les tendances du marché. C'est du "concentré d'acheteurs" qui peut être
très intéressant pour la stratégie commerciale de marques qui vendent en ligne,
ou même off line », estime le vice-président marketing de Kelkoo.
ELDORAWIN
Mais les dotcoms qui utilisent le plus leurs
bases de données clients sont apparues il y a quelques mois. Il s'agit des
sites de jeux et de loteries comme Bananalotto, Clicktown, Luckyvillage,
Koodpo, Eldorawin, etc. En attirant les internautes grâce à l'attrait du jeu,
ces sites sont capables de créer des bases importantes en un temps record.
Eldorawin, qui se fait appeler l'"accélérateur de dotcom", a ainsi enregistré
plus de 240 000 membres en moins d'un an. « Nous sommes des spécialistes du MD
en ligne. La base de données est au coeur de notre métier », avoue Pascal
Magne, directeur général.
Différents mécanismes
Eldorawin utilise différents mécanismes pour exploiter sa base. Par exemple, la
location d'adresses e-mail (en direct ou via des brokers comme Koba) ou le
sponsoring de newsletter. Le coût pour l'annonceur est fonction de la taille du
segment et de la sélection d'internautes qui est effectuée. Le prix des
adresses e-mail est de 2 F plus 1 F par critère supplémentaire. « Notre base
est efficace. France Loisirs, par exemple, a essayé plusieurs acteurs de bases
de données marketing et nous a choisi pour notre côté qualitatif », croit
savoir Gaspard Toscan du Plantier, directeur marketing. TF1 et Banque Directe
ont également eu recours à ce service de location d'e-mail. Après une phase de
croissance, aujourd'hui enrayée par le manque de ressources financières, les
pure players doivent tenter d'exploiter au mieux leurs ressources, c'est-à-dire
les informations engrangées sur les internautes.
Guillaume Multrier (Netarget)
:" Si l'on se met à vendre des eMails
n'importe comment, c'est tout le marché qui va souffrir ".
Et ce, sans réinventer la roue. Comme Yahoo!, Eldorawin s'interdit d'envoyer
plus de deux messages commerciaux par mois à ses membres. Parmi les abonnés du
site, 70 % reçoivent la newsletter et 60 % ont accepté d'être sollicités par
des offres commerciales. Le coût du recrutement on line est trois à quatre fois
moins élevé que dans le monde physique, soit entre 30 et 100 F par membre,
selon Eldorawin. Lorsqu'il s'inscrit, l'internaute donne son adresse e-mail et
postale (pour recevoir d'éventuels chèques), puis peut indiquer ses centres
d'intérêts, sa profession, ses caractéristiques d'acheteur en ligne, etc. Une
étape supplémentaire dans le processus déclaratif consiste en un questionnaire
d'une cinquantaine de questions. Pour remplir les objectifs (doubler le nombre
de membres d'ici la fin de l'année), le site de jeux met en place d'autres
mécanismes de recrutement, comme la création de sites cobrandés. Exemple :
M6Net.fr a choisi Eldorawin comme site de loterie officiel. Jeux et bases de
données sont mutualisés. Ainsi, les e-mails envoyés aux joueurs sont également
cobrandés. Les jeux en marque blanche sont une autre source de revenus :
PickiWin, Tirages, Speedy Cash. Le PickiWin est intéressant en matière de
qualification de la base puisqu'il s'agit pour les internautes de sélectionner
des cadeaux parmi plusieurs catégories de produits. « C'est un véritable outil
de segmentation de la base de données à des fins de marketing direct »,
estiment les responsables d'Eldorawin.
Respecter la "privacy"
Les responsables d'Eldorawin mettent en avant la
souplesse du processus on line par rapport au off line en matière de
rectification en temps réel des erreurs possibles (1 % d'adresses e-mail à
problèmes selon eux). Par ailleurs, ils participent à la Fédération du
Divertissement en Ligne (Fedel, voir e-Commerce n° 11), afin de créer un label
de qualité des sites de jeux et ainsi mieux respecter la politique de "privacy"
vis-à-vis des internautes. « Nous n'avons pas encore de chief privacy officer
comme aux Etats-Unis, mais nous faisons dès le départ très attention à notre
base de données clients. Ainsi, il est hors de question de vendre nos membres
», affirme Pascal Magne. En attendant un développement européen freiné par
l'arrêt des investissements, Eldorawin croit à son modèle de base très
qualifiée et active (le joueur vient 1,3 fois par semaine en moyenne sur le
site). « Notre base est récente et très réactive : 80 % de celle-ci sera active
d'ici 2001, contre 40 % en moyenne », prévoit Gaspard Toscan du Plantier.
BANANALOTTO
Autre site conscient de l'importance de la
base de données clients : Bananalotto. « Les gros sites classiques constituent
des bases sans que cela soit leur core business. Notre rôle, au contraire, et
de créer et gérer commercialement cette base de données marketing », affirme
ainsi Guillaume Multrier, P-dg de Netarget, à l'origine de Bananalotto. Le jeu
a été choisi comme moteur de constitution de la base car c'est une des manières
les plus universelles de toucher le public le plus large possible. Déjà, le
site peut se targuer d'avoir attiré plus d'un million de joueurs, ce qui le
placerait en seconde position derrière Wanadoo en termes de taille de la base
de données, selon Guillaume Multrier. Netarget a fondé son entreprise sur une
totale transparence vis-à-vis des joueurs en ligne : « jamais on ne "cookisera"
un internaute », assure ainsi le P-dg. L'internaute choisit de donner ou pas
des informations sur lui. La relation "win-win" repose sur un échange : à
chaque information échoit un avantage. « Nous expliquons toujours pourquoi nous
collectons les données », ajoute Guillaume Multrier. Enfin, Netarget veut
construire un univers de marque basé sur la confiance. Les quelque cinq cents
mails entrants journaliers sont tous traités manuellement. Par ailleurs, la
société a effectué une comparaison avec la mégabase de Claritas pour repérer
les éventuels doublons. Si on cherche le nombre d'enfants par foyer dans les
deux bases, les résultats sont quasiment identiques.
Dispositif de collecte
La sécurité est prise très au sérieux. Ainsi, les bases
de données marketing ne sont jamais en liaison directe avec le réseau. Toutes
les nuits, une base intermédiaire est créée. Par ailleurs, comme ses collègues,
Bananalotto se limite à deux messages publicitaires par mois. Le site a aussi
embauché un juriste spécialisé dans la "data privacy" pour veiller au respect
des règles de déontologie. Enfin, la commercialisation est effectuée par une
vraie force de vente interne de quinze personnes spécialisées par secteur
économique. « Nous nous sommes structurés comme un Consodata plus que comme une
dotcom. Notre ambition étant de devenir la référence dans la donnée on line »,
avoue sans détours le P-dg de Netarget. Avec 130 MF levés en deux tours de
table, Netarget possède un trésor de guerre qui devrait l'aider à remplir cet
objectif ambitieux. Pour son P-dg, les sites qui ne possèdent pas ou peu de
données clients et veulent en profiter vont se trouver confrontés à trois types
d'acteurs : les mégabases comportementales, les régies on line et les sites
comme Bananalotto. « Dans quelques semaines, nous allons proposer aux autres
dotcoms de nouveaux dispositifs, comme notre moteur de collecte eResponse,
destinés à mieux connaître leurs internautes », prévient Guillaume Multrier. Ce
moteur devrait aider les sites à enrichir puis commercialiser leur base de
données clients. Bannalotto mise sur les avantages inhérents au Web (contact
permanent avec l'internaute, coût de collecte deux à trois fois moindre) pour
séduire les entreprises. Il propose ainsi des segmentations suivies d'actions
marketing ciblées, le tout en moins de vingt-quatre heures. « Si Houra veut
livrer des produits frais à Grenoble aux seules familles qui achètent en ligne,
nous sommes capables de proposer ce genre de programme sous forme de bannières
ciblées ou d'e-mails commerciaux », affirme Guillaume Multrier, qui avance un
taux de transformation de 20 %. Le prix de ces campagnes dépend du niveau de
ciblage et du nombre de critères pris en compte.
Attention à la tentation d'une commercialisation hâtive
Pour le P-dg de Netarget,
les clés du succès de l'exploitation d'une base de données on line sont la
taille critique (environ un million d'adresses e-mail), un positionnement clair
vis-à-vis des internautes, un traitement statistique de la donnée, une sécurité
renforcée. Mais la maîtrise de ces éléments n'est pas à la portée de tout le
monde et le fondateur de Bananalotto de prévenir ses collègues dotcoms : « La
tentation va être grande pour les sites en difficulté de booster leurs revenus
en commercialisant leur base sans prendre les précautions d'usage. Or, si l'on
se met à vendre les e-mails n'importe comment, c'est tout le marché qui va
souffrir. » Pour éviter les dérives, Netarget a bien l'intention d'évangéliser
le marché durant les trois prochains mois, en écumant les salons, conférences
et autres manifestations professionnelles. Conclusion de Guillaume Multrier : «
Les données sur les internautes représentent une opportunité fabuleuse. A
condition de ne pas la gâcher. »
Pointop rassemble 100 000 membres
L'e-mailing ciblé, ou "incentive e-mailing", selon la marque déposée par Pointop.com, semble plaire aux internautes. Ce programme, lancé en novembre 2000, a déjà séduit 100 000 internautes désireux de recevoir des offres promotionnelles portant sur leurs centres d'intérêts. Il est qualifié sur plus de six cents critères comme le type de sport pratiqué ou les achats envisagés. Cette base de données propose à des annonceurs comme Amazon, QXL, Château on line, Moneymag, etc. de faire des campagnes de marketing on line vers ces internautes qui ont accepté de recevoir ces offres. Ces derniers sont récompensés par des "pointop" convertibles en chèques bancaires. D'après la société responsable de ce programme, le taux de retour sur les campagnes à destination de cette cible serait de plus de 20 %. Pointop compte recruter 500 000 membres d'ici fin 2001, avec plus de mille nouvelles adhésions par jour. Un prospect de la base qualifié sur trois critères coûte 2 F. Ce site a été soutenu financièrement par BNP Paribas, ING Barings, Jet Multimédia, Groupe Solving et UCA.
Sites à visiter
www.bananalotto.com www.claritas.fr www.cnil.fr www.consodata.com www.draftdigital-france.com www.eldorawin.com www.e-sama.com www.highco.fr www.ibase.fr www.kelkoo.com www.maileva.com www.netarget.com www.net2one.fr www.pointop.com www.syracuse.fr www.yahoo.fr