Le coup de poker des sites d'achats groupés
Le discours philanthropique des sites d'achats groupés persuadera-t-il les consommateurs de s'unir pour prendre le pouvoir et imposer leurs propres règles de consommation ? L'ambition est certes noble, mais l'environnement actuel du Web ne leur offre aucune garantie de succès.
Je m'abonne
Internet est un média extraordinaire qui invente et nous réapprend quantité
de choses. A peine une idée germe-t-elle dans l'esprit de l'un de ces nouveaux
aventuriers du Net, qu'elle se répand comme une traînée de poudre à travers le
réseau. Le Web est une formidable caisse de résonance qui amplifie l'écho du
succès dans des proportions parfois déraisonnables. Ainsi en est-il de
l'explosion des sites d'achats groupés qui, depuis le lancement du premier
d'entre eux sur la toile française en novembre 1999, a vu leur nombre passer à
une dizaine en trois mois tout juste. Alibabuy, Akabi, Clust, Uniondream,
Koobuy, ClicAchat, LeSpot... La vitesse à laquelle ces sites se sont multipliés
démontre au moins la pertinence du concept sur lequel ils ont été créés.
Proposer aux personnes intéressées par un même produit de s'unir pour l'obtenir
au prix le plus bas : on n'a pas trouvé mieux depuis l'apparition des premiers
hypermarchés pour attirer le chaland.
Le potentiel de consommateurs est-il suffisant ?
Pourtant, aussi séduisant soit-il, le concept
du site d'achat groupé n'en demeure pas moins un pari insensé. Comment
convaincre suffisamment de monde de se regrouper sur son site pour acheter
moins cher quand la population des acheteurs en ligne dépasse à peine le
million et que l'une des principales caractéristiques de son comportement est
un individualisme forcené ? « Le potentiel d'internautes acheteurs est pour
l'heure suffisant pour démarrer notre activité, rétorque François Collet, le
jeune directeur marketing de clust.com. Sur Internet, attendre d'avoir une
clientèle suffisante pour développer son business, c'est creuser sa propre
tombe. Nous parions sur l'avenir. » Un discours que reprennent en choeur tous
les concurrents de Clust, conscients de l'âpreté du défi qui les attend dans
les mois qui viennent, à savoir éduquer en un temps record les consommateurs à
un nouveau mode de consommation, pour se doter d'un capital clients suffisant
pour poursuivre l'aventure. Mission impossible ? « Nous sommes conscients que
c'est quasiment du 50/50, poursuit François Collet. Car, pour le moment, nous
nous reposons sur l'élite de la population des internautes. Des consommateurs
avertis, aguerris et pour qui Internet est encore un territoire vierge à
découvrir en multipliant les expériences. » Comment provoquer l'engouement des
masses pour ce nouveau mode de consommation ? « La réponse réside dans Internet
lui-même, déclare Jacques Kluger, le fondateur de koobuy.com. L'achat en groupe
est un dérivé naturel du Web qui demeure, jusqu'à preuve du contraire, le lieu
où les communautés se fondent le plus facilement. Les deux seules questions que
nous devons nous poser sont : comment présente-t-on le concept ? Et comment
s'organise-t-on concrètement ? »
Un manque d'originalité dans le discours publicitaire
Car, si le modèle économique de ces sites
semble a priori viable (la plupart se rémunèrent en prenant une commission sur
la vente), il semble improbable que tous soient encore là d'ici à la fin de
l'année. « Ne resteront que ceux qui feront de leur site une enseigne
commerciale », estime Jacques Kluger, taclant au passage Clust qui, de tous les
sites existants, est le seul à véritablement aller jusqu'au bout du concept en
se positionnant comme une communauté de consommateurs, et en confiant, de fait,
les clés de la maison aux internautes. En vérité, ne survivront que ceux qui
auront su recruter suffisamment de membres, et qui auront les moyens de les
fidéliser dans la durée. Car le principe de l'achat groupé est avant tout
ludique. Reste à savoir si les internautes seront prêts à le transformer en un
réflexe de consommation. De ce point vue, Akabi a marqué des points décisifs en
s'associant en février dernier avec Multimania, qui a pris 50 % du capital du
site et 40 % de la holding du groupe Akabi. Le site d'achat groupé a saisi
l'opportunité d'acquérir une masse critique de clients, Multimania lui
apportant sur un plateau ses 330 000 membres. Dans cette opération, le site
communautaire est lui aussi gagnant puisqu'il se voit proposer une offre de
commerce électronique adaptée à son business modèle. Au moment où il
s'introduit sur le Nouveau Marché, il se voit d'autre part offrir l'occasion de
diversifier ses revenus qui, jusqu'à maintenant, provenaient essentiellement de
la publicité, et ainsi rassurer les investisseurs. Ce type de partenariat
devrait d'ailleurs se multiplier, Koobuy ne cachant pas ses contacts avec
Tripod et Alibabuy envisageant à terme un possible rapprochement avec un site
de ventes aux enchères. Dans un souci de fidélisation de leur clientèle, la
plupart des sites proposent à leurs membres de cumuler des points cadeaux
accordés lors de l'enregistrement d'un nouveau client, de l'inscription à la
newsletter du site, du dépôt d'une requête pour se procurer un produit innédit
etc. "Clusties" chez Clust, "akadols" chez Akabi, ces points bonus sont par la
suite échangeables contre des produits proposés dans une boutique spécifique.
Dans tous les cas, l'objectif est de créer un effet d'annonce sur le site qui
soit relayé par les consommateurs eux-mêmes auprès de leur entourage. Et il y a
du boulot ! Car pour l'heure, quel que soit le site, le nombre de participants
à une même session d'achat dépasse rarement la dizaine et les prix les plus bas
sont rarement atteints. Et c'est bien là que le bât blesse. Un internaute
séduit par le concept de l'achat groupé qui n'est pas certain de trouver un
réel avantage en s'inscrivant à une session viendra peut-être une ou deux fois
retenter sa chance, mais pas trois. Les sites sont par conséquent
particulièrement exposés, car le consommateur lambda n'acceptera pas tout le
temps de devoir rameter du monde pour bénéficier d'un prix bas, car dans
l'absolu, c'est la mission du site. Les règles du jeu sont à peine établies que
déjà l'artillerie lourde est de sortie. La nécessité pour chacun étant de se
faire connaître du plus grand nombre, les campagnes de publicité se succèdent
les unes aux autres dans une surenchère médiatique digne des plus beaux
affrontements entre lessiviers, c'est-à-dire sans réelle imagination.
L'accroche est la même pour tout le monde : "L'union fait la force, alors
groupez-vous sur mon site pour consommez moins cher". Et les mêmes produits
sont proposés sur la plupart des sites. On a connu plus percutant de la part
des agences de pub, surtout lorsqu'il s'agit d'imposer une nouvelle tendance de
consommation. Dès lors, lequel choisir ? Clust pour les liens qu'il entend
créer avec le consommateur ? Koobuy pour son approche téléachat ? Uniondream
pour son positionnement haut de gamme ? Akabi parce que je suis membre de la
communauté Multimania ? Les mois qui viennent devraient permettre à chacun
d'entre eux de se constituer son pré carré. En attendant, voici un état des
lieux des forces en présence. Faites vos jeux !
Pub TV : les tergiversations du CSA
Une semaine à peine après avoir donné son feu vert pour l'accès à la publicité télévisée des sites Internet de presse, de cinéma, de l'édition et de distribution, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel est finalement revenu sur sa décision. Les protestations des radios, des producteurs cinématographiques et de la presse, appuyés par Catherine Trautmann, l'ont conduit à rouvrir le dossier. Pourtant dans son premier communiqué, le CSA estimait que les sites web constituaient un secteur économique nouveau et spécifique et, qu'à ce titre, les restrictions d'accès à la publicité télévisée prévues par l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 (...) ne devaient pas leur être appliquées. Le CSA explique son revirement en précisant que sa décision est une "prise de position" de principe, et "décide d'élargir à toutes les parties concernées la consultation". Ce retour à la case départ ne plaide en tout cas pas pour une extension des pouvoirs du CSA à la régulation de l'Internet.
L'achat groupé
Pourquoi ça doit marcher
C'est dans l'esprit d'Internet.
Les produits sont négociés à un bon prix.
Le discours est nouveau et mobilisateur.
Pourquoi ça pourrait ne pas marcher
Une offre pas assez distinctes entre les sites.
La population d'internautes acheteurs en France n'est pas suffisante.
Une lassitude des membres après avoir testé le système.
Les produits proposés par certains sites ne justifient pas une telle démarche.
Le discours philanthropique ne prend pas.
On ne va pas passer sa vie devant un écran pour savoir où en sont les sessions d'achat.
Ce mode d'achat provoque une perte de temps.
Quelques exemples
Alibabuy.com
Fondateurs : Renaud Chalochet et Guillaume Paillet.
Lancement : novembre 1999.
Positionnement : Un site intermédiaire et non pas marchand.
Signature : "Plus vous êtes nombreux et moins vous payez".
80 produits présentés.
De 600 à 800 visiteurs par jour annoncés
Partenariats : Rouge&blanc.com, 01directory.com, 01direct.fr, Laxis et govoyages.fr
Atouts : Un discours réaliste. Pas de tapage inutile. Une montée en puissance régulière. Faiblesses : Alibabuy n'a pas profité de l'avantage d'avoir démarré le premier, faute d'avoir pu lever les fonds suffisants, et il est aujourd'hui devancé par ses concurrents en termes de notoriété. Une structure très limitée. Cherche toujours 15 MF. N'est présent qu'en France.
Clust.com
Fondateurs : Christian et Joël Palix. Lancement : janvier 2000. Positionnement : Ne se considère pas comme un site d'achat groupé mais comme une communauté de consommateurs. Signature : "Moi puissance nous". 8 000 visites par jour annoncées. Partenariats : Libération, Spray. International : déploiement en cours. Atouts : Un positionnement original et distinct de celui de la concurrence. Une campagne de pub puissante et à fort impact. A pris soin de tester son concept avant de se lancer et en a profité pour créer des liens privilégiés avec ses premiers membres, chargés de recruter les nouveaux. Une première levée de fonds réussie. Faiblesses : Avoue enregistrer une déperdition d'un client sur deux lors des sessions.
Koobuy.com
Fondateur : Jacques Kluger. Lancement : décembre 1999 en France et en Belgique. Positionnement : site d'achat en groupe. Signature : "La tribu fait la force". 2 700 membres annoncés en février. Offre produits : Une cinquantaine d'articles proposés. Partenariats : Tripod, Lycos, iBazar, eNRJ. Présence à l'international : Allemagne et Grande-Bretagne fin mars. Atouts : Le site profite des acquis du téléachat (Pierre Bellemare et Roland Kluger, deux spécialistes du téléachat français sont membres du board). Une bonne organisation logistique. Faiblesses : Une première version très mal conçue, au rubriquage illisible, qui peut avoir rebuté certains visiteurs. Des défauts qui ont dû être corrigés sur la nouvelle version.
Uniondream.com
Fondateurs : Arthur Lepage et Sébastien Wolff. Lancement : janvier 2000. Positionnement : Haut de gamme. Spécialiste des événements, des produits design et high-tech, et des voyages. Signature : "A plusieurs on obtient le meilleur". Partenariats : AOL, Voilà, TF1 Offre produits : Une quinzaine de produits proposés. 2 000 membres annoncés en février. Objectif de chiffre d'affaires pour 2000 : 30 MF. Atouts : Le site possède un vrai positionnement par rapport à la concurrence et propose des produits exclusifs. La cible d'Uniondream possède le profil type de l'internaute français. Faiblesses : Le coût des produits et le positionnement élitiste pourrait, à l'avenir, le priver d'une clientèle plus importante.
Akabi.com
Fondateurs : Alexandre Garnier, Enguerran Loos, Lubomir Mortchev, Thomas Owadenko. Lancement : janvier 2000. Positionnement : Site communautaire de consommateurs. Signature : "Une communauté virtuelle pour acheter mieux". Atouts : Son partenariat avec Multimania, qui lui apporte plus de 300 000 clients potentiels. Ses rendez-vous du samedi, sous forme d'enchères groupées, qui crée un rendez-vous régulier. Faiblesses : Pas d'évidentes pour l'instant.
Clicachat.com
Fondateurs : Jérôme de Crémiers, Frédéric Neret. Lancement : février 2000. Positionnement : site d'intermédiation. Signature : "Plus vous vous groupez, plus vous économisez". Atouts : Le seul site au nom français qui peut favoriser une meilleure compréhension du principe de l'achat groupé. Faiblesses : Faible notoriété. Un site qui manque d'originalité, de personnalité et de contenu.
Lespot.com
Fondateurs : Anne Lebrun, Folco Chevallier. Lancement : février 2000. Positionnement : Se base sur les ventes "flash" en misant sur la promotion et l'événementiel. Site d'intermédiation qui ne stocke pas les produits. Signature : "Servez-vous les uns des autres". Partenariats : Libertysurf, Webstub. Atouts : L'expérience des fondateurs, deux anciens de Bol.com. Un site à la personnalité sympathique. Chaque client fait baisser individuellement le prix, alors que les concurrents utilisent le principe des paliers. Son offre B to B pour les petites entreprises et les professions libérales. Faiblesses : S'être lancé le dernier l'oblige à développer un message à forte valeur ajoutée pour ne pas être considéré comme le énième site d'achat groupé.