L'optique en ligne voit l'avenir en grand
TENDANCE Le marché de l'optique, colossal et donc convoité, est en pleine révolution. Une armée de sites internet spécialisés dans la vente de lunettes correctrices envahit le Web.
Je m'abonneExposition croissante aux écrans d'ordinateurs, de télévisions, mais aussi vieillissement de la population, c'est bel et bien une réalité, les yeux des Français sont malmenés. Et malgré l'amélioration des dépistages, leur vue s'affaiblit. 76 % d'entre eux l'ont d'ailleurs faite vérifier par un spécialiste au cours des deux dernières années (selon le baromètre de la santé visuelle 2011 OpinionWay réalisé pour l'Association nationale pour l'amélioration de la vue - Asnav). Alors que « 40 millions de Français devraient porter des lunettes, trois millions d'entre eux ne sont pas en mesure de s'en payer », assure Marc Adamowicz, président et fondateur du site de lunettes Happyview.fr.
Cette frange délaissée de la population française n'est pas pour autant un frein au développement du marché de l'optique, estimé à 5,3 milliards d'euros et, jusqu'à peu, exclusivement contrôlé par les opticiens traditionnels. Bien au contraire. Et l'e-commerce, qui compte bien profiter de cette manne financière, a organisé la fronde.
Les sites marchands commercialisant des lunettes de vue pullulent, même si, pour le moment, « leur part de marché, en volume et en valeur, n'excède pas 1 % », explique Marc Adamowicz. Mais tout peut rapidement basculer, car ils ont un point en commun et un argument de taille: un positionnement prix très agressif.
Marc Adamowicz (Happyview): « Les opticiens traditionnels ont une marge de 65 à 70 %. La mienne est de 30 %. »
Des marges revues à la baisse
Les prix sont résolument moins élevés que chez les opticiens traditionnels, notamment grâce à des marges plus faibles: « Ils dégagent 65 % à 70 % de marge alors que celle que j'applique se situe aux alentours de 30 % », souligne Marc Adamowicz. Résultat: à monture et type de verres équivalents, les prix pourraient être divisés par deux, voire plus.
Cette politique de prix agressive est notamment rendue possible grâce à l'économie réalisée sur les frais, fixes moindres sur le Net qu'en point de vente physique. Marc Adamowicz pointe également la pratique, dénoncée à maintes reprises, de certains opticiens qui ajustent les devis des paires de lunettes aux taux de remboursement des mutuelles santé de leurs clients. Pour compenser des marges plus faibles et pérenniser son activité, le patron d'Happyview est tenu de réaliser des volumes importants. « Alors qu'un opticien traditionnel peut se contenter de vendre trois paires de lunettes par jour, je suis tenu d'en vendre, quotidiennement, beaucoup plus d'une centaine », souligne-t-il.
Même combat chez Easy-verres.com, un site ne commercialisant que des verres correcteurs pour lunettes. « Notre modèle permet de réduire le prix des verres de 40 % », assure Jean Polier, fondateur du site. A un détail près, le choix et l'essai de la monture s'effectuent dans l'un des 700 points de vente du réseau d'opticiens partenaires.
Et, pour convaincre les opticiens traditionnels de travailler avec lui, il n'hésite pas à mettre la main au portefeuille: « un tiers de notre marge est reversé à nos opticiens partenaires. » Reste que pour la plupart d'entre eux, la multiplication des acteurs de la vente d'optiques en ligne n'est pas perçue comme une bénédiction: « Sur 11 000 opticiens recensés en France, 10 000 nous haïssent », s'amuse-t-il.
Jean Polier (Easy-verres): « Sur 11 000 opticiens recensés en France, 10 000 nous haïssent!»
De multiples modèles de sites
Dans ce panorama, les sites de vente d'optique ne sont pas tous au diapason. Les processus d'achat des paires de lunettes diffèrent. Les e-marchands rivalisent d'imagination pour démocratiser et faciliter l'achat de ce produit dont l'acquisition ne sera jamais anodine pour la plupart des porteurs de lunettes.
Sacha Bostoni, le cofondateur de Jimmyfairly.com en est conscient. Pour permettre aux clients d'essayer leur paire de lunettes en conditions réelles, un service d'envoi à domicile a été mis en place sur le site. « Nous pouvons envoyer jusqu'à quatre paires de lunettes, gratuitement, chez l'internaute, souligne-t-il. Une fois décidé, celui-ci nous renvoie les montures en précisant celle qu'il a choisie ». Le site propose ainsi une quarantaine de modèles, dessinés en interne, fabriqués à la main et déclinés en 180 références.
Pour aller plus loin encore et pour séduire les acheteurs, il mise en outre sur le concept de «Buy one, give one». Le principe? Faire le don d'une paire de lunettes gratuite à une personne dans le besoin, pour une paire de lunettes achetée.
Autre site, autre méthode. Happyview ambitionne pour sa part de devenir l'Ikéa ou le H&M de la lunette. Pour y parvenir, il mise sur l'étendue de son offre. Plus de 800 références sont disponibles sur le site, « et nous allons en proposer mille très rapidement », assure Marc Adamowicz, président d'Happyviewfr. Ces deux sites ont néanmoins une technique de vente en commun: l'essayage virtuel. Grâce à ce procédé, l'internaute, après avoir téléchargé une photo sur le site, peut apposer toutes les montures disponibles sur le cliché. Le futur acheteur peut ainsi savoir si la paire de lunettes lui va. Et lui plaît vraiment.
Le site Easy-verres.com a fait le choix de ne commercialiser que des verres sans monture, estimant irremplaçable l'essai physique des lunettes, notamment de celles équipées de verres progressifs. « Certaines mesures, comme le centrage du verre, ne peuvent se faire que chez un opticien, tout comme l'étape de l'ajustage des lunettes », note Jean Polier, fondateur d'Easy-verres.com. Pour que cela fonctionne au mieux, l'internaute est tenu, en amont, de fournir de nombreux renseignements aux sites d'optiques. Cette étape peut être complexe. Les informations à donner vont du choix du type de verres (unifocaux ou progressifs), à l'amincissement, en passant par le choix du traitement (photochromiques, teinte des verres pour une forte luminosité, etc.). Parfois, il faut aussi communiquer l'ensemble des nombres liés à la correction des yeux, présents sur l'ordonnance (sphère, cylindre, axe, addition) .
Pour remédier à cette difficulté, les opticiens développent différents services. Il est ainsi possible de leur transmettre l'ordonnance en version numérisée (ou par lettre), d'être rappelé immédiatement par un opticien du site Internet qui aide le client au décryptage de l'ordonnance et d'obtenir des conseils sur les remboursements. Ce travail de proximité et de relation client est indispensable sur un marché, encore jeune. En effet, les acteurs les plus anciens du marché français n'ont pas plus de deux ans, alors que le marché existe depuis huit ans, en Angleterre et en Amérique du Nord. A n'en pas douter, la France bénéficie d'une belle marge de croissance.
Sensee.com: l'optique en ligne signée Marc Simoncini
Baptisé Sensee, le site de vente de lunettes de vue et solaires lancé par Marc Simoncini (fondateur de Meetic.fr), s'appuie sur lentillesmoinscheres.com - pour lequel le fonds d'investissement Jaïna Capital, dont le créateur n'est autre que Marc Simoncini, a investi 7,5 millions d'euros - et sur sa base de clients qui est très importante. L'ambition de Sensee est claire: diviser par deux la facture optique des Français, à produits identiques, avec une même exigence en termes de services et de santé, sans sacrifier la qualité et la traçabilité des produits. Marc Simoncini s'est entouré d'une équipe de professionnels de l'optique et d'opticiens diplômés. Le directeur général, Alain Colin, a précédemment occupé les postes de directeur général de GrandVision International Supply (Grand Optical, Générale d'Optique, Solaris etc.) et de président de Zephyr SAS (centrale d'achat créée par GrandVision et Optic2000). Marina Lovka, opticienne diplômée et ex-directrice marketing du verrier Shamir, a pris le poste de directrice d'optique.