L'ergonomie, une technique encore sous-exploitée
Pour vendre sur le Web, il ne suffit pas d'avoir de bons produits. Encore faut-il que le site réponde aux attentes des utilisateurs. C'est l'objectif de l'ergonomie, un des garants du succès des sites marchands. Mais cette méthode scientifique est encore trop peu considérée.
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Avec 67 % des internautes qui quittent les sites marchands avant de
concrétiser leur achat, le modèle du commerce électronique est loin d'avoir
démontré son efficacité. A titre d'exemple, d'après Cyberdialogue, 50 % des
clients utilisant des applications de banque en ligne se déclarent
non-satisfaits de ces services, et dénoncent leur manque de praticité. L'une
des explications de ces abandons réside dans le non-respect de certaines règles
fondamentales d'ergonomie par les sites marchands. Des préceptes qui reposent
sur des techniques éprouvées associant psychologie cognitive et étude des
réactions des utilisateurs. Davantage obsédés par la nécessité d'apparaître
rapidement sur le réseau et de promouvoir l'offre de leur site marchand,
beaucoup de concepteurs de sites en oublient que l'internaute n'accédera à
leurs produits que grâce à une navigation accommodante. Cette incompréhension
provient en partie du fait qu'un grand nombre d'entre eux confonde encore
l'ergonomie avec le graphisme ou le design. « Il y a un an et demi, la plupart
des webmasters ne savaient même pas que ça existait », constate Carol-Ina
Trudel, chef de projet ergonomie chez eLaser Contact, et titulaire d'un
doctorat en ergonomie cognitive. Une ignorance que l'on peut mettre sur le dos
de la relative jeunesse du média Internet où le pire côtoie bien souvent le
meilleur. Mais le problème provient également du fait qu'il est parfois
difficile de satisfaire les goûts de chacun et de répondre aux attentes d'une
population (les internautes) disparate. Quoi qu'il en soit, « c'est le site qui
doit s'adapter à l'utilisateur et pas le contraire », rappelle Francesco Cara,
docteur en science cognitive et responsable HCI (Human Computer Interaction)
chez Icon Medialab. En ergonomie, tous les détails comptent. Ainsi, dès le
choix des couleurs des pages, il faut s'inquiéter des éventuelles déficiences
d'une partie de la population qui pourrait avoir du mal à distinguer certaines
teintes. Autre élément à considérer : l'équipement informatique des
internautes. Si les développeurs possèdent des machines puissantes et des accès
hauts débits, ce n'est pas le cas de la majorité des internautes. Tout le monde
ne possède pas les dernières versions des navigateurs, pas plus qu'un écran de
17 pouces. Les concepteurs du site doivent donc tenir compte de l'incapacité
pour certains utilisateurs d'ouvrir des cadres (frames) ou d'afficher la
totalité de la page en une fois, de visualiser un flash ou une simple
animation. Il est d'autre part inutile d'envisager le téléchargement du
logiciel nécessaire au fonctionnement d'une application du site. Car si un
surfeur patenté le fera peut-être, un cyber-acheteur certainement pas, sa
principale préoccupation étant de réaliser son achat dans un délai le plus bref
possible.
Attention au faux modèle du portail
« Les
problèmes surviennent souvent dès l'accès au site. Il s'agit donc de faire
attention à ne pas construire une page d'accueil trop lourde qui sera longue à
télécharger », prévient Christian Bastien, ergonome et maître de conférences au
Laboratoire d'Ergonomie Informatique de l'Université Paris V Descartes. Ce
dernier estime qu'il faut bannir le système flash, très lourd, ou les applets
Java, susceptibles de bloquer la navigation. « Les gens détestent les pops up
et les animations peuvent êtres très énervantes, surtout si elles sont
répétitives », constate, pour sa part, Carol-Ina Trudel. Bien sûr, la
technologie peut rendre service, mais seulement si elle est employée à bon
escient. « Le site américain www.cars.com, vendeur de voitures neuves et
d'occasion, en est un bon exemple. Ce site propose aux internautes une
démonstration interactive du montage de leur voiture et des différentes pièces
qui la composent. L'animation flash qui permet de visualiser les différentes
parties de la voiture a une réelle utilité, car elle présente l'information de
façon dynamique et originale », argumente-t-elle. Il faut ensuite organiser
l'information à l'écran et ce, dès la page d'accueil. La question majeure qu'il
faut se poser est la suivante : l'information affichée est-elle pertinente et
nécessaire ? « La page d'accueil a une fonction bien précise : elle doit servir
de guide à l'internaute », explique Carol-Ina Trudel. Un guide qui doit
acheminer l'internaute à la page qui l'intéresse en un minimum de clics. Et
Francesco Cara de prévenir que « le chiffre magique qu'il faut retenir est 4.
Si l'on n'a pas capté l'intérêt du client après quatre pages, on peut le
considérer comme perdu. » Autrement dit, le modèle du portail de type Amazon,
surchargé d'onglets, de liens et d'informations diverses, doit être envisagé
avec prudence. « Les onglets peuvent être une bonne chose, car ils permettent
d'afficher en permanence un niveau de menus important. Mais il est impératif de
soigner le caractère explicite des intitulés », tempère Christian Bastien. Par
conséquent, si vous n'êtes pas Amazon ou Voila, et donc si vous ne disposez pas
d'un catalogue aussi étoffé, mieux vaut opter pour une interface simple,
lisible et bien organisée. L'étape suivante concerne la structuration du site.
En général, c'est le département marketing de l'entreprise qui s'occupe de la
catégorisation des produits, indispensable pour créer le catalogue en ligne. Or
celle-ci doit correspondre aux choix des consommateurs. La meilleure solution
pour s'assurer de cette adéquation est d'organiser des tests avec des
utilisateurs. Comme, par exemple, leur faire trier des paquets de cartes sur
lesquelles seront représentés les produits. « Quelle que soit la qualité de
conception d'une page Web, si les catégories ne sont pas organisées par les
clients, elle a peu de chance de capter leur attention. La problématique
s'accentue lorsque, en plus, on a à faire à des secteurs où les frontières
entre les différentes catégories sont difficilement identifiables, comme dans
l'électroménager », ajoute Christophe Barriolade, directeur marketing et
développement chez Eridia.
Un cycle en trois phases
Pour étudier l'ergonomie d'un site marchand, il est également important de
mettre au préalable les gens en situation d'achat. Le jeu consiste à leur
proposer un problème simple (trouver le dernier ouvrage de tel auteur sur un
site de vente de livres), de les laisser se débrouiller face à leur écran et
d'observer les difficultés rencontrées. Le mieux étant de filmer ces
opérations. Une fois les défauts de conception corrigés et la charte graphique
amendée, il ne reste plus qu'à valider ces rectifications. Cette procédure peut
paraître lourde, mais elle évite en fait beaucoup de désagréments a posteriori,
et maximise le taux de conversion des visites en achats. En fait, même si les
honoraires sont conséquents (de 6 000 à 15 000 F par jour), les conseils d'un
ergonome permettent souvent d'économiser des sommes bien plus importantes de
réorganisation du site. Icon Medialab chiffre même ces économies entre 30 et 50
% du coût total du projet ! Le cycle vertueux de l'ergonomie pour un site
marchand tient donc en trois mots : conception, évaluation, validation. Le plus
efficace lorsque l'on fait appel à un ergonome est de le faire intervenir dès
la mise sur pied du cahier des charges. « Malheureusement, il est appelé, la
plupart du temps, juste avant la mise en ligne du site, en temps
qu'observateur, les concepteurs du site espérant qu'il leur dise que tout est
parfait », se plaint Christian Bastien. Une autre préoccupation ergonomique
majeure est de bien distinguer la navigation propre au site de celle qu'on
effectue via le navigateur. Le passage d'une page à l'autre doit se faire grâce
aux liens plutôt qu'avec les boutons "back" et "forward" de son browser. Il est
ainsi fortement recommandé de rajouter un bouton "retour" au bas des pages. Il
est d'autre part prudent de vérifier qu'aucune page du site ne se termine en
cul-de-sac. L'internaute doit savoir où il se trouve et où il peut se rendre
tout au long de sa navigation. Dans le registre des petits détails à prendre
en compte, il est également préférable de montrer les icônes imaginées par les
graphistes aux groupes d'internautes testeurs afin de s'assurer que leur
signification est correctement interprétée par le plus grand nombre. Le chariot
virtuel, par exemple, est un élément clé du dispositif marchand qu'il faut
soigner sous peine de perdre son acheteur en route. Le consommateur doit
connaître en permanence les produits qu'il a sélectionnés, et pouvoir effectuer
des actions pertinentes : ajouter ou enlever un item, visualiser le prix
global, les taxes éventuelles, etc. Le panier virtuel n'est pas standardisé, et
son apparence varie d'un site à l'autre. « Parfois, il faut visiter cinq pages
avant de le trouver, ce qui est bien entendu beaucoup trop », affirme Christian
Bastien, qui préconise de le faire apparaître dès la deuxième page, voire la
première le cas échéant. La dernière étape, et non la moindre, dans laquelle
l'ergonomie joue un rôle primordial est celle du paiement en ligne. A un moment
ou un autre, dans toute transaction, l'acheteur devra remplir un questionnaire.
Il s'agit par conséquent de s'appliquer dans la rédaction de ce formulaire, en
identifiant les champs obligatoires et ceux facultatifs, et en intégrant des
outils de reconnaissance brefs, en allant, encore une fois, au plus simple. Car
dès qu'il y a saisie, le risque d'erreurs augmente. « Il ne faut jamais
demander à l'internaute de s'enregistrer avant qu'il ait expérimenté le site,
insiste Christian Bastien, car cela décrédibilise la relation que souhaite
instaurer avec lui le marchand, qui est basée sur la confiance. » En
définitive, réussir son site marchand sous-entend de réunir au préalable une
équipe pluridisciplinaire composée de techniciens, de graphistes et de
designers, d'un ergonome, et de spécialistes du marketing. C'est l'amalgame et
la complémentarité de toutes ces compétences qui vous donneront les meilleures
chances de lancer un site compétitif. Quoi qu'il en soit, pour le moment, un
petit survol des sites marchands français suffit à se persuader que les
ergonomes ont du pain sur la planche, et ils ne s'en plaindront pas.
Les sites anglo-saxons analysés par un expert
Les cyber marchands français n'ont pas à faire de complexes. Les Anglo-Saxons aussi ont leur lot de mauvais élèves en matière d'ergonomie. Carol-Ina Trudel en analyse ici quelques-uns.
www.variable-lifeinsurance.com
Principal défaut : Le site n'est qu'une succession de pages de texte qui présentent les services de l'entreprise sans aucune illustration ni interactivité. Le site laisse l'internaute se débrouiller tout seul. Tout seul, c'est le site qui le restera à coup sûr à force de faire fuir les visiteurs de la sorte.
www.insurenet.co.uk
Principal défaut : une surabondance de contenu. On ne s'y retrouve guère au milieu de touts ces frames, liens et autres photos qui ne servent à rien.
4www.irishphotosstock.com
Principal défaut : on a l'impression d'être chez l'oculiste et qu'on doit faire un test de vue. Les icônes sont totalement incompréhensibles et illisibles. Le lien qui les définit est écrit en minuscule et en bleu turquoise sur fond blanc. Inutile de s'y attarder vu le peu de soin que ses concepteurs ont mis pour nous le rendre agréable.
www.maserati.it
Principal défaut : les premières pages du site sont restées en construction pendant neuf mois. A force, cela finit par lasser, surtout les passionnés. Dans ce cas précis, la marque s'est totalement discréditée. Elle n'aura même pas droit à une deuxième chance.
www.ericsson.com
Principal défaut : pour sélectionner un téléphone, on a droit à une liste de modèles simplement identifiés par des numéros. Un manque de convivialité flagrant, ce qui est particulièrement regrettable pour une marque dont le métier est la communication. C'est un site fait pour les spécialistes et les professionnels de la téléphonie.
Conseils pour développer une ergonomie satisfaisante
A faire
- structurer les rubriques. - limiter le nombre de clics permettant d'accéder à une information. - multiplier les liens. - laisser des points de repères permanents. - rassurer l'internaute.
A éviter
- Proposer un choix trop important qui provoque la confusion dans l'esprit de l'internaute. - manquer de cohérence. - promettre sans montrer.
Les dix préceptes du gourou de l'ergonomie
Aux Etats-Unis, l'Américain Jakob Nielsen a été qualifié de "gourou de la praticité du Web" par le New York Times et "gourou vivant de l'ergonomie du Web" par Fortune, alors que le Chicago Tribune a dit de lui qu'il en sait plus sur ce qui fait fonctionner un site web que n'importe qui sur cette planète. Ce spécialiste du Web design, qui a longtemps exercé ses talents chez Sun, a écrit plusieurs ouvrages de références sur l'ergonomie des sites, et son site web, www.useit.com/alertbox, recense chaque année plus de cinq millions de pages vues. Voici, selon lui, les 10 erreurs à ne pas commettre lorsque l'on crée un site web : 1 - Cacher ou ralentir l'accès au bouton retour, qui est le second outil le plus utilisé après les liens hypertextes. 2 - Abuser des pop up (fenêtres qui s'ouvrent d'elles-mêmes) dans le navigateur. C'est comme si un vendeur d'aspirateur commençait sa visite en vidant un cendrier sur votre tapis. 3 - Supprimer l'usage des différents standards informatiques. Toutes les plates-formes ont des objets, comme les boutons "radio", dont le fonctionnement fait partie intégrante des standards des interfaces Windows, Mac ou Java. Bouleverser ce mode d'usage peut perturber l'internaute. 4 - Le manque de renseignements biographiques. Les internautes veulent connaître ceux qui sont derrière l'écran. Des biographies et des photos des responsables améliorent le degré de confiance des internautes 5 - Ne pas archiver les informations. Posséder des archives coûte 10 % de plus en frais de fonctionnement, mais améliore son efficacité de 50 %. 6 - Changer l'adresse URL des pages. A chaque fois qu'une page bouge, on brise les liens avec d'autres sites. Pourquoi se fâcher avec quelqu'un qui vous envoie gratuitement des consommateurs ? 7 - Utiliser des titres incompréhensibles qui sortent du contexte du site. 8 - S'inspirer du dernier terme à la mode sans se soucier de savoir s'il est utile pour son site. Le Web est suffisamment pollué de sites parasites. Ne tombez pas dans la facilité. 9 - Les temps de réponse trop lents. C'est la pire offense à la praticité d'un site. Les téléchargements trop longs entraînent toujours une perte de trafic car les consommateurs vont faire leur achat ailleurs. 10 - La publicité déguisée.
L'ergonomie au service de la vente automobile
La jeune agence Eridia mise sur l'ergonomie depuis ses débuts. Elle a réalisé le site www.autoligne.com pour la société Com1 qui vend des voitures aux adhérents de la Camif. Une réalisation que détaille Christophe Barriolade, responsable du marketing et du développement au sein de l'agence. « Autoligne.com vend des voitures aux adhérents de la Camif via le téléphone et le Minitel. A son arrivée sur le Web, le client souhaitait deux choses : que son site reste centré sur l'achat des véhicules, et que son modèle économique ne repose pas sur des revenus publicitaires. Dès la page d'accueil, les éléments sur lesquels l'internaute peut cliquer ne sont là que pour l'aider à trouver sa voiture. Le logo en trois dimensions que nous avons imaginé - une voiture en forme d'écran d'ordinateur - lui permet de se repérer au premier coup d'oeil. Conçue comme un tunnel, l'interface de navigation est très sobre. La première étape consiste à choisir un modèle, son carburant et sa carrosserie. La deuxième, de visualiser le stock. La troisième détaille les options. Enfin, la quatrième concerne le processus de commande, au sein duquel l'internaute est invité à remplir un questionnaire succinct. Dans le cas où le client émet une commande, une proposition de contrat lui est envoyée dès le lendemain par courrier. Quant à l'internaute intéressé mais pas encore fixé, il peut recevoir par e-mail la liste des nouveautés présentées sur le site. Par rapport aux autres sites de vente de voitures - américains en particulier - autoligne.com tranche par sa sobriété. Mais il a été bâti sur un modèle différent de ceux qui font l'actualité, puisqu'il fait de la vente directe, alors que 95 % de ces sites mettent en relation les acheteurs et les vendeurs. »