L' e-logistique cherche son modèle d'organisation
Les ventes en ligne explosent. Les clients deviennent très exigeants. Pourtant, les e-marchands continuent d'internaliser leur logistique. Une stratégie payante?
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Avec la progression du nombre de transactions et de cyberacheteurs, le volume de colis à traiter ne cesse de croître, de même que les exigences des clients et l'étendue des zones géographiques à couvrir. Toutes ces contraintes impactent la logistique. Au niveau des e-commerçants d'abord. Cdiscount a ainsi récemment investi plusieurs millions d'euros dans un entrepôt automatisé de 100000 m2 à Cestas, près de Bordeaux, pour y regrouper l'ensemble de ses stocks. En période de pointe, cette nouvelle plateforme, probablement unique en France, devrait lui permettre d'assurer un flux quotidien d'environ 80 000 colis. De son côté, Vente-Privée a dépensé plus de 10 MEuros dans l'automatisation de ses entrepôts, avec pour résultat de multiplier par huit la productivité du traitement de ses colis. Quant à Maismoinscher, il accroît le nombre de ses plateformes pour qu'elles soient au plus près des consommateurs et lui permettent de réduire ses temps de livraison.
A l'avenir, tous les acteurs de la chaîne logistique devront dialoguer ensemble en temps réel et travailler avec flexibilité.
De leur côté, les prestataires étoffent également leur offre, pour répondre à cette forte demande. Bien qu'encore en devenir, l'offre des logisticiens sur le marché du commerce électronique prend de l'ampleur. Ainsi, en 2007, Astelem a réalisé 65% de son chiffre d'affaires avec des entreprises d'e-commerce, contre 35% avec des industriels alors que c'est sur ce dernier marché qu'il s'était lancé dix ans auparavant. De son côté, Crosslog réalise aujourd'hui la logistique de plus de cent webmarchands. Logvad vient, lui, de se voir confier la logistique de chaînes de magasins franchisés qui se lancent sur Internet. SMS Distribution, filiale de l'enseigne Boulanger et grossiste d'appareils d'électroménager et d'électronique grand public, travaille dorénavant pour des sites marchands. Mondial Relay, filiale du groupe 3 Suisses spécialisée dans l'acheminement de colis aux particuliers, se lance avec succès à l'international. A travers un réseau de plus de 21 000 points relais, elle compte, avant la fin 2009, accroître de 20% le nombre de paquets traités par an, qui était de 34 millions au printemps 2007. De son côté, La Poste a lancé, début 2007, à Paris, Nantes et Lille un service de retrait de colis dans des consignes sécurisées ouvertes 24 h/24 et 7 j/7. Baptisé Cityssimo, il comptait déjà en octobre dernier 40 000 abonnés. Il était alors plébiscité par 96% d'entre eux. Les initiatives se multiplient donc à tous les niveaux. Pourtant, le modèle économique de la logistique des sites marchands reste encore à construire.
Vente-Privée automatise ses plateformes
Les articles proposés par Vente-Privée passent d'abord dans un des deux entrepôts de préréception. Lorsque les produits sont vendus, ils sont préparés et conditionnés dans une des deux plateformes automatisées dont s'est doté le site marchand. Avant cette organisation, il fallait deux fois huit heures pour traiter 14000 colis. Dorénavant, huit heures suffisent pour 45000 colis. En moyenne, 22 jours s'écoulaient entre la commande et la livraison. Vente-Privée espère réduire ces délais à une quinzaine de jours. En fait, le site a inventé le modèle économique de sa logistique. «Notre offre est très éclectique. Nous vendons aussi bien des sous-vêtements que des montres ou des sèche-cheveux. En 2007, nous avons traité 6,5 millions de colis», précise Sébastien Hospital, directeur logistique de Vente-Privée. Le site se développe à l'étranger. Il vend en Allemagne, en Espagne et bientôt en Italie et en Grande-Bretagne. Il est donc fort probable qu'il se dote, en 2009, d'un ou de plusieurs entrepôts à l'international. Mais, pour l'instant, toute la logistique est traitée dans l'Hexagone.
Une activité en construction
Pourquoi l'e-logistique se cherche-t-elle encore? Parce que le marché du e-commerce est très fragmenté. Selon qu'il est issu du monde de la VPC, de la distribution en magasin ou qu'il ait démarré son activité directement sur Internet, le webmarchand traite différemment les flux physiques de ses produits. Les acteurs traditionnels de la vente à distance, comme La Redoute et Les 3 Suisses ont construit leur réussite sur leur capacité à gérer de gros entrepôts qui stockent des dizaines de millions de colis chaque année. Ils sont passés maîtres dans la préparation des commandes à l'unité. Conçus au départ pour livrer en masse des magasins, les entrepôts des enseignes de la grande distribution tels que la Fnac et Darty (+ 80% de progression des ventes sur Internet en 2006) s'adaptent progressivement aux exigences du e-commerce, basées sur le traitement d'un nombre important de petits colis unitaires à faible valeur. Ce qui les oblige à revoir leur organisation. Les pure players ont, quant à eux, tout à construire en matière de logistique. Au début des années 2000, ils pouvaient se permettre d'investir dans des entrepôts et dans les systèmes informatiques de gestion associés. Quelques centaines de mètres carrés de stockage, voire moins, suffisaient amplement pour démarrer. C'est ainsi qu'ont procédé les leaders actuels comme Cdiscount et Pixmania. Mais aujourd'hui, pour rester dans la course, ils doivent en permanence investir dans des surfaces toujours plus grandes. En six ans, Pixmania a ainsi dû changer trois fois d'entrepôt! En revanche, pour les tout nouveaux entrants, la donne n'est plus la même. Le succès des ventes sur Internet est tel qu'ils doivent très rapidement gérer plus d'une centaine de colis par jour. Difficile dans ces conditions de construire une logistique performante ex-nihilo. Faute de moyens et d'expertises, ils se tournent vers les prestataires spécialisés. Prestataires qu'ils trouvent difficilement. Les installations et l'organisation des grands logisticiens spécialisés en B to B, comme Geodis ou Norbert Dentressangle, ne sont pas du tout adaptées à la spécificité du e-commerce. Et ces derniers hésitent encore à se diversifier sur ce marché, faute d'avoir tourné la page de la bulle internet. Certes, il existe bien en France quelques e-logisticiens, mais rares sont ceux qui acceptent de prendre comme client un jeune site marchand. Les risques de dépôt de bilan sont, en effet, trop grands. Le contexte est donc encore peu propice à une externalisation soutenue de l'e-logistique et à la montée en puissance de logisticiens de grande taille dédiés au traitement des marchandises vendues sur Internet. Bien que les ventes sur le Web aient décollé ces dernières années. «Encore 90% des e- commerçants réalisent en interne leur logistique. Ils pensent ainsi mieux la maîtriser et créer de la valeur ajoutée», remarque Denis Gachon, gérant de la société de conseil Micrologis. En comparaison, dans la logistique traditionnelle, les pratiques sont complètement inversées. Près de 80% de cette activité est sous-traitée à des grandes sociétés spécialisées. Arrivée depuis plusieurs années à maturité, elle a d'ailleurs entraîné, de la part des éditeurs informatiques, la création de logiciels standards pour la gestion de la supply chain. Le fait que la logistique du e-commerce se gère encore par des systèmes informatisés spécifiques, développés en interne, montre bien qu'elle est toujours en construction.
C'est le cas également au niveau de la livraison, surtout sur les derniers kilomètres. Là aussi, rien n'est encore établi.
Denis Gachon (Micrologis):
«encore 90% des e-commerçants réalisent en interne leur logistique. Ils pensent ainsi mieux la maîtriser et créer de la valeur ajoutée.»
Maismoinscher décentralise ses entrepôts
Ayant opté pour une logistique interne, Maismoinscher se dote de nouvelles plateformes et réduit ainsi ses temps d'approche.
«Nous avons à gérer deux flux de marchandises très différents. Nous confions à un transporteur extérieur, GLS, la livraison finale de nos petits colis ne nécessitant pas de manutention. En revanche, nous livrons nousmêmes les gros équipements à partit de nos plateformes régionales», résume Christophe Hebrard, dirigeant de Maismoincher. Son site vend des appareils électroménagers sur toute la France. Lancé en 2001, il a réalisé un chiffre d'affaires de 24 MEuros en 2007, avec un effectif de 35 personnes, dont 22 dédiées à la logistique. Car, dans cette entreprise, la logistique est considérée comme un métier à part entière dont Christophe Hebrard dit tirer une de ses valeurs ajoutées. La société possède 21 camions, trois plateformes logistiques et bientôt une quatrième en Bretagne. «Plutôt que d'agrandir nos deux entrepôts, nous avons décidé de répartir les stocks sur plusieurs sites en France afin d'être le plus près possible de nos clients», explique Christophe Hebrard.
Jusqu'alors, pour les gros équipements, Maismoinscher attendait les commandes clients pour s'approvisionner. Trois jours s'écoulaient entre la commande et la réception de la marchandise. Il fallait ensuite compter cinq jours supplémentaires pour la livraison finale. Maintenant, les meilleures ventes sont stockées dans une de ses plateformes. D'où des délais de livraison réduits à trois jours. En outre, le nombre de références d'articles stockés a triplé en six mois. Côté livraison, Maismoinscher met l'accent sur le service. Il y a deux ans, il faisait appel à un transporteur pour les gros équipements. Mais deux colis sur cinq étaient endommagés. Aujourd'hui, le taux de casse a baissé et ne s'élève plus qu'à 1,5%. Les clients sont prévenus trois jours a I avance de la date de livraison qui s'effectue dans un créneau de plus ou moins deux heures. Pour l'instant, Maismoinscher n'envisage pas d'installer le matériel sur place. Mais Christophe Hebrard sait bien que la question se posera sous peu.
Régis Cauche (Mondial Relay):
«Aujourd'hui, la question n'est plus d'être rapide, mais de savoir gérer l'absence du client.»
La livraison, nouveau facteur de qualité
Nombreuses sont les initiatives et les pistes de réflexion qui tentent de trouver des solutions capables de satisfaire les attentes des clients. Car maintenant que la confiance dans la sécurité des paiements est pour ainsi dire acquise, les clients focalisent leur crainte sur le risque de ne pas recevoir leur commande à temps et dans de bonnes conditions. D'ailleurs, c'est là-dessus que l'internaute apprécie désormais la qualité d'un site marchand. «La question n'est plus d'être rapide, mais de savoir gérer l'absence du client», précise Régis Cauche, responsable grands comptes de Mondial Relay. Ce distributeur de colis s'est organisé de manière à récupérer le colis non livré et à prendre rendez-vous pour un second passage. Pour les gros articles, certains vendeurs en ligne font appel à des transporteurs qui offrent de nouveaux services à valeur ajoutée. Plus question, par exemple, de laisser le réfrigérateur dans son emballage sur le pas de la porte. Dorénavant, les livreurs travaillent en binôme. Ils apportent l'équipement jusqu'à la cuisine, le déballent, en vérifient le contenu. Certains vont même jusqu'à le monter et à reprendre le vieil appareil. Toutefois, le service va rarement aussi loin. Question de prix. Les achats sur Internet sont souvent motivés par la recherche de la bonne affaire. Apporter trop d'assistance à la livraison impacterait les tarifs. «La livraison d'électroménager requiert également un soin tout particulier dans le suivi de la commande. Il est rare que l'internaute veuille recevoir le matériel le plus vite possible. En revanche, il peut avoir besoin d'être livré à une date bien précise. Par exemple, le jour où l'installation de sa nouvelle cuisine se termine», remarque Daniel Broche, dirigeant de Discounteo, site de vente en ligne d'électroménager et de produits high-tech. Ceci nécessite une très grande rigueur dans la traçabilité des opérations logistiques et une maîtrise du système d'information gérant les flux de données. Encore faut-il pouvoir offrir plusieurs créneaux de disponibilité et savoir les respecter. «Quelques transporteurs sont capables d'offrir ce type de service. Mais l'offre reste à construire et à faire évoluer», indique Alain Borri, consultant en supply chain et pilote d'un groupe de travail en charge d'une étude sur la logistique du e-commerce au sein de l'Acsel. Enfin, pourquoi ne pas vendre une formation avec la livraison d'un ordinateur, les services associés à la livraison devenant un élément différenciant?
Le succès des points relais
Pour satisfaire la clientèle urbaine rarement disponible à son domicile aux heures habituelles de livraison, les points relais se multiplient et connaissent un succès croissant. C'est pourquoi des acteurs comme Mondial Relay ou Kiala sont en pleine expansion. Leur offre s'adapte à l'évolution de la demande du marché avec le développement des ventes en C to C via les sites de type eBay. «Nos points relais s'équipent de manière à permettre l'échange de marchandises entre particuliers. Nous offrons ce type de service pour le site 2xmoinscher. Bientôt, nous proposerons des livraisons domicile à domicile», confie Régis Cauche. Depuis fin 2007, Mondial Relay possède quatre plateformes de tri à partir desquelles les colis sont dispatchés vers les agences locales, puis vers les points relais. Les commerçants des points relais sont dorénavant équipés de terminaux portables leur permettant de suivre la traçabilité des colis, d'informer par SMS le consommateur de l'arrivée de sa commande et de capturer sa signature numériquement. Les transporteurs sont équipés du même type d'appareil. Ils accèdent à un extranet pour consulter leur prévision de charge. Les chargeurs reçoivent l'intégralité du tracing sur Internet. La tendance est donc bien à une évolution d'un échange d'informations de plus en plus fluide entre les différents acteurs de la chaîne logistique.
«Dorénavant, tous les sites marchands, ou presque, proposent le suivi des commandes et des colis en temps réel avec accès aux informations directement sur Internet. Celles-ci sont de plus en plus souvent accessibles dans le moindre détail, depuis la réception de la commande jusqu'à la réception du colis en passant par sa préparation, sa mise à l'expédition et les différentes étapes de livraison», souligne Sébastien Trichard, directeur général d'Astelem. Si tous les e-commerçants ne vont pas toujours aussi loin dans la traçabilité des commandes, ils se doivent de signaler les anomalies de parcours à leurs clients. Au risque de les perdre une fois pour toutes. Car aujourd'hui, les clients n'acceptent plus d'être laissés dans l'ignorance en cas de problème sur leur commande. Certains professionnels estiment même qu'il est préférable de «bétonner» la gestion de l'information plutôt celle de la gestion des flux de marchandises. Si les clients comprennent qu'il est impossible d'éviter les incidents de parcours, ils refusent de ne pas être tenus au courant et de ne pas disposer d'une solution de rechange. Les sites marchands arrivent dorénavant difficilement à se différencier par les prix. Ils le peuvent encore par la manière dont ils assurent la traçabilité et satisfont le besoin de transparence des cyberacheteurs. Cela suppose que tous les acteurs de la chaîne soient reliés entre eux, depuis le fournisseur jusqu'au transporteur en passant par le logisticien. «Beaucoup de petits sites marchands bricolent des solutions de gestion de la logistique. Leur seule préoccupation reste la livraison des colis et non la traçabilité complète de toute la chaîne», déplore Hervé Bourdon, directeur marketing de la plateforme de commerce en ligne Oxatis.
Sébastien Trichard (Astelem):
«Tous les sites marchands, ou presque, proposent le suivi des commandes et des colis en temps réel avec accès aux informations directement sur Internet.»
Discounteo sous-traite sa logistique
Né en 2004, Discounteo vend en ligne de l'électroménager et des équipements numériques de loisir. Avec 25 salariés, il a réalisé un chiffre d'affaires de 22 millions d'euros en 2007, contre 18,5 millions en 2006. «Nous travaillons avec une vingtaine de logisticiens et grossistes à travers la France pour avoir une bonne couver
ture du territoire hexagonal. Nous ne stockons pas le matériel que nous vendons sur Internet», indique Daniel Broche, fondateur et dirigeant de Discounteo. Son objectif n'est pas de livrer le plus vite possible, mais de tenir à tout prix les délais annoncés. Pour lui, la problématique de la logistique en B to B est totalement différente de celle en B to C. La valeur ajoutée ne repose pas sur la réduction des délais, mais sur la capacité du commerçant à les rendre les plus flexibles possible pour les adapter aux souhaits du client final. Et pas question de devenir un pro de la logistique. A chacun son métier. «Les sites marchands ont pour vocation d'être des intermédiaires. Aux logisticiens de s'adapter aux spécificités du e-commerce et d'offrir davantage de flexibilité», estime-t-il.
Daniel Broche (Discounteo):
«C'est aux logisticiens de s'adapter aux spécificités du e-commerce et d'offrir davantage de flexibilité.»
Vers un commerce «ubiquitaire»
Or, le commerce du futur sera «ubiquitaire», c'est-à-dire qu'il se fera via de nombreux canaux de vente et de distribution avec des prises de commandes réalisées sur des terminaux portables que le consommateur emportera partout avec lui. Il recevra sa commande chez lui, à l'heure de son choix, ou ira la retirer dans un magasin ou un point relais. Ce type de commerce, qui s'expérimente à Lille dans le cadre du pôle de compétitivité Industrie du Commerce, nécessitera une très grande réactivité dans les échanges de données mais aussi, et surtout, dans les flux logistiques des marchandises. Tous les acteurs de la chaîne logistique devront dialoguer ensemble en temps réel et travailler avec flexibilité. Cela nécessitera des zones de stockage urbaines. Des réflexions sont en cours sur l'opportunité et la faisabilité d'installer des points de chargement au sein des villes pour réduire les distances vers le lieu de livraison final. Ces points seraient aménagés en sous-sol et serviraient de zones de stockage et de distribution. Cela donnerait naissance à une logistique urbaine qui inclurait non seulement le transport et le stockage, mais aussi le conditionnement, la gestion des commandes et celles des retours. Des recherches sont menées sur l'organisation de cette logistique urbaine au sein de l'Inrets (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité). La prise de conscience sur les enjeux du développement durable joue en faveur de cette urbanisation. L'obligation de réduire les dépenses énergétiques devrait également avoir des conséquences. Déjà, plusieurs logisticiens commencent à faire appel au fret ferroviaire comme alternative au transport routier. Bientôt, la gestion du bilan carbone va imposer une nouvelle contrainte aux professionnels de la supply chain et impactera le modèle économique de la logistique du e-commerce.
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