L'ascension d'un concept
RETROSPECTIVE Un nouveau business est né avec Vente-privee.com: les ventes événementielles sur Internet. Forte de son leadership européen, l'entreprise se lance aujourd'hui sur le territoire américain. Retour sur une des plus belles success stories à la française.
Je m'abonneOn pensait qu'ils avaient disparu à la Révolution française... Et pourtant, chaque jour, 12,3 millions de privilégiés trouvent leur bonheur sur Vente-privee.com. Le site a construit son succès sur la vente en ligne de produits de grandes marques à des tarifs imbattables: de -40 à -70% par rapport au prix boutique. Seuls les membres inscrits par le biais d'un parrainage peuvent en bénéficier pendant une durée limitée. Les premiers arrivés sont toujours les premiers servis. Créé en 2001, Vente-privee.com est aujourd'hui le partenaire commercial de plus de 1200 marques à travers toute l'Europe et ce, dans tous les domaines: prêt-à-porter, équipement de la maison, jouets, articles de sport, high-tech, gastronomie, voyages...
Un grossiste à l'assaut d'Internet
Le site est l'aboutissement d'une solide collaboration entre JacquesAntoine Granjon et Lucien Sorbac. Tous deux étudiants à l'European business school (EBS) , ils lancent leur première entreprise, Cofotex SA, en 1985. La société est spécialisée dans la vente en gros de fins de séries. «J'avais 22 ans et mon père m'avait prêté 20000 francs pour débuter», se souvient Jacques-Antoine Granjon, le p-dg de Vente-privee.com connu pour son amour de l'art, son style rock'n'roll et ses cheveux longs. Les deux compères s'installent dans un local de 20m2 et commencent à vendre leurs premiers lots de vêtements. L'affaire fonctionne bien et quelques années plus tard, de nouveaux associés rejoignent l'aventure: Michaël Benabou, Eléonore Sabates, Xavier Court, Claude Sorbac et Philippe Naggar. En 1996, Jacques-Antoine Granjon rachète les anciennes imprimeries du Monde dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine de la Plaine Saint-Denis (93). Il y installe le siège du groupe Oredis. C'est là qu'il imagine un concept totalement innovant: une plateforme web dédiée à la vente privée de produits griffés. Le site naît en 2001. Ce virage technologique découle d'un simple constat. «Notre profession de grossiste était en train d'évoluer. Les femmes fréquentaient de moins en moins les solderies car elles pouvaient acheter des produits à bas prix chez H&M ou Zara. Nous avions un problème à résoudre», raconte Jacques-Antoine Granjon. La solution trouvée ne s'avère pas immédiatement lumineuse. Le démarrage est difficile et les pertes s'accumulent les trois premières années. «Les gens n'étaient pas tous équipés en ADSL. Avant que le déclic se produise, cela nous a coûté plus que cela nous a rapporté, reconnaît le p-dg. Mais, nous avons persévéré.» Bonne idée. L'horizon s'éclaircit soudainement en 2004 avec le succès d'une vente privée d'une célèbre marque de lingerie. Dix ans après sa création, le site compte 13 millions de membres et plus de 1 300 collaborateurs. Il expédie environ 75 000 colis par jour. Il a réalisé 3 500 ventes événementielles en 2010 pour un chiffre d'affaires de 969 millions d'euros, en progression de 15 % par rapport à 2009 et de 500% par rapport à 2005! La société prévoit d'atteindre 1 milliard 107 millions d'euros en 2011. Avec 1,8 million de visiteurs uniques journaliers selon Médiamétrie, c'est le premier e-commerçant généraliste français. Une réussite qui a entraîné dans son sillage la création de dizaines de sites du même genre. Cette concurrence ne parvient pas encore à faire de l'ombre à Vente-privee.com qui affirme que sa position de leader ne doit rien au hasard.
Elle repose d'abord sur la qualité de la relation que le site entretient avec ses membres. Son service clients gère plus de 100000 e-mails ou appels par mois mais l'entreprise met un point d'honneur à ne pas délocaliser ses centres de contacts afin de rester accessible et réactif. Aux petits soins pour ses membres, Vente-privee.com l'est tout autant, voire plus, avec les marques. «Nous sommes une entreprise B toB. Nous servons d'abord les marques puis les clients. Sans elles, je serais obligé de fermer la boîte», affirme Jacques-Antoine Granjon. Pour s'attirer la confiance et la fidélité des plus grandes griffes ou lancer en exclusivité les albums d'artistes célèbres comme Patricia Kaas, l'homme a fait du site une vitrine commerciale à part entière. Un bel écrin de technologie où la présentation des produits bénéficie d'une attention particulière. Pour se donner les moyens de ses ambitions, l'entreprise a inauguré fin 2010 la Digital factory by vente-privee.com, le premier complexe de production d'images en Europe. Cette immense structure de 3 800 m2 est entièrement dédiée à la création des vitrines des marques. 260 collaborateurs y travaillent. Elle regroupe un pôle photo avec la régie, le shooting et la postproduction, un pôle création avec le Home design, le Motion design et le Sound design, l'agence de communication ainsi qu'une équipe Traffic control qui gère les plannings de production. Cet imposant dispositif permet de produire jusqu'à 15 000 photos par jour et 60 bandes musicales par mois. Tout a été mis en place pour mettre en valeur les marques.
Ces dernières bénéficient de services supplémentaires. Vente-privee.com réalise pour leur compte des études marketing sur les comportements des acheteurs sur le site. Il leur envoie également des clients directement dans leur magasin grâce au service Rosedeal lancé en novembre 2010. Les membres ont en effet la possibilité d'acheter des bons d'achat affichant des forts taux de discount de -50 à -70 % utilisables uniquement dans le réseau de distribution classique. Pour se rendre encore un peu plus indispensable, Vente-privee.com a lancé sa Digital commerce factory, une nouvelle offre de délégation de l'activité e-commerce. Depuis le mois de mars, l'entreprise propose aux marques de bénéficier de son expertise dans ce domaine. Concrètement, elle prend en charge l'ensemble de l'activité de vente en ligne, de la conception à la gestion de la plateforme et des services mobiles jusqu'à la création des catalogues.
Une marque globale internationale
Comme aime à le rappeler Jacques-Antoine Granjon, « Vente-privee.com est d'abord un succès français: nous réalisons 78 % de notre chiffre d'affaires dans l'hexagone ». Ce qui ne l'empêche pas d'afficher depuis quelques années des ambitions européennes. Dès 2006, l'entreprise s'implante en Allemagne et en Espagne. Puis elle continue à tisser sa toile en Italie et au Royaume-Uni en 2008. Elle est aujourd'hui présente en Belgique, en Autriche et aux Pays-Bas.
Objectif: reproduire dans chacun de ces pays son extraordinaire réussite locale. Un développement à l'étranger rendu possible grâce à la cession en 2007 de 20 % du capital au fonds d'investissement nord-américain, Summit Partners. « Cette conquête européenne est, tout de même, compliquée, reconnaît néanmoins le p-dg. En effet, à chaque fois, nous devons démarrer une nouvelle aventure en créant une start-up. L'Europe en tant que telle n'existe pas. Chaque pays possède ses particularités en matière de fiscalité et de régulation par exemple. Les Allemands n'ont pas la même mentalité que les Espagnols. L'Italie est un marché intéressant mais les infrastructures ne sont pas bien organisées. »
Aujourd'hui, Vente-privee.com voit encore plus grand, plus loin. La société traverse l'Atlantique et s'attaque au gigantesque marché nord-américain. Là-bas, le succès du petit Français devenu grand, n'est pas passé inaperçu. Après plusieurs mois de contacts et de négociations, Venteprivee.com a noué en mai dernier une alliance stratégique avec le mastodonte American Express. « Ce sont eux qui nous ont approchés, raconte Jacques-Antoine Granjon. Ils pensaient d'abord s'associer au numéro deux mondial, Gilt, avant de se raviser. » Grâce à ce partenariat, l'e-commerçant français aura accès à une base de données de 40 millions de titulaires de cartes. De quoi faire rapidement progresser les volumes. La version américaine du site sera lancée à la fin de l'année 2011. A quand l'Asie?
Interview Jacques-Antoine Granjon - P-dg de Vente-privee.com
«Après les honneurs et la gloire, la déchéance peut arriver rapidement. Il faut savoir rester humble»
Vous avez été élu businessman de l'année et vous figurez au 65e rang des 100 plus grosses fortunes de France. Comment gérez-vous ce succès?
Mon succès est d'abord celui de l'entreprise. Vente-privee.com est le résultat d'une aventure humaine. Elle appartient à tous ses collaborateurs. C'est une boîte qui m'occupe 24h/24 et je sais que je suis toujours attendu au tournant Une des clés de notre réussite, c'est la vision à long terme. J'ai deux devises: «L'important, c'est d'être constant» et «La roche tarpéienne est proche du Capitole». Après les honneurs et la gloire, la déchéance peut arriver rapidement. C'est pourquoi il faut savoir rester humble.
Après la France et l'Europe, vous vous lancez aujourd'hui à l'assaut des Etats-Unis. Avez-vous le sentiment d'être arrivé au bout de l'aventure, envisagez-vous de vendre l'entreprise?
L'alliance avec American Express est une fantastique opportunité, une nouvelle étape pour Vente-privee.com. Mais il reste maintenant tout à faire: trouver des employés, transférer les technologies et l'ADN de la société... C'est pourquoi je ne compte pas me lancer dans une nouvelle aventure.
Si c'était à refaire...
Je ne changerai rien ou presque. Il m'est arrivé de faire un peu trop confiance aux gens.
Malgré un agenda chargé, vous vous lancez dans de nouveaux projets comme la création d'une Ecole européenne des métiers de l'Internet (EEMI).
Qu'est-ce qui vous motive?
Avec Marc Simoncini et Xavier Niel, les deux autres cofondateurs, nous n'avons jamais aimé l'école. Pourtant, nous avons réussi à faire des choses plutôt bien en partant de rien... Aujourd'hui, nous lançons l'EEMI, pas pour gagner de l'argent, mais parce que nous avons envie de transmettre nos expériences. Les entreprises recherchent des jeunes soit très diplômés, soit experts dans leur domaine. On veut donner à nos étudiants des connaissances qui leur permettent d'être opérationnels dans l'industrie du Web.