L'arrivée d'eBay va-t-elle saturer le marché français ?
Débarqué en France le 5 octobre, estropié de son adresse française, propriété de iBazar, eBay ne dissimule pourtant aucunement son ambition de rééditer dans l'Hexagone sa "success story" américaine. Avec ou sans partenaires, en misant sur le bouche à oreille et la fidélité de ses membres, le colosse de l'enchère en ligne poursuit sa croisade paneuropéenne avec en ligne de mire, la place de n° 1. La compétition s'annonce très ouverte. Aucland, iBazar et QXL occupent le terrain, et rien ne dit qu'il y ait un potentiel suffisant pour supporter autant d'acteurs.
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Etre numéro 1 en Europe, avant de s'attaquer à l'Asie, monopoliser le
marché des collectionneurs au niveau mondial, et recréer la magie virtuelle
d'une communauté de consommateurs : telles sont les grandes lignes du programme
annoncé par eBay, le pionnier de l'enchère en ligne, lors du lancement de son
activité en France, le 5 octobre dernier. Et, depuis l'officialisation de cette
annonce, ses concurrents mettent les bouchées doubles pour accentuer leur
visibilité. IBazar surenchérit à grand renfort de spots télé, Aucland prépare
sa prochaine campagne de communication et, de son côté, QXL finalise - enfin -
sa fusion avec Ricardo. Et, s'ils n'hésitent pas à saluer la performance du
pionnier de l'enchère en ligne, on ne peut pas dire que l'accueil qu'ils ont
réservé à la communauté eBay ait été des plus chaleureux. IBazar sombrant même
dans la mesquinerie en revendiquant la propriété du nom de domaine ebay.fr,
déposé par ses soins à l'Afnic. Et les explications alambiquées de ses
dirigeants sur ce dépôt ne font que conforter l'impression que cette démarche
n'a pour d'autre objet, que de mettre eBay dans le pétrin. Sinon, à quelle
objectif stratégique cette action répondrait-elle ? « Je ne comprends pas les
raisons de cette manoeuvre, assène Philippe Fontaine, le Directeur Général
d'eBay France. Mais nous sommes certains de récupérer ce qui nous a toujours
appartenu et faisons entièrement confiance à la justice française. » L'affaire,
portée devant les tribunaux, devait trouver son épilogue à l'heure où nous
écrivons ces lignes. Malgré la grande perplexité et l'embarras dans lequel il
plonge eBay, le coup bas d'iBazar n'aura pourtant pas empêché le site américain
de prendre position en France, sous le nom - provisoire ? - d'ebayfrance.com. «
Quelle que soit son issue, cette affaire n'empêchera aucunement notre
croissance », soutient Philippe Fontaine. Et, en matière de croissance, eBay
fait école dans le milieu des dotcoms.
La communauté eBay rassemble 16 millions de membres actifs
Depuis sa création, en 1995, la
société ne cesse de grandir et chaque clôture d'exercice enregistre une
progression du volume d'affaires de plus de 100 % par rapport à l'année
précédente. Un record d'autant plus remarquable que parmi les "pure players" du
e-commerce B to C, ceux qui peuvent aujourd'hui se targuer d'une ascension
aussi spectaculaire se comptent sur les doigts d'une main. Au "Village eBay",
comme aiment à le nommer les fondateurs du site, notoriété rime aussi avec
rentabilité. Au terme du premier semestre 2000, la société annonçait un
résultat net de 17,9 millions de dollars pour une offre globale de 5 millions
d'articles et une communauté qui rassemble plus de 16 millions de membres
actifs sur l'ensemble des pays dans lesquels elle est implantée, (Etats-Unis,
Australie, Canada, Japon, Allemagne, Angleterre et France). De quoi faire pâlir
de jalousie la concurrence ! De iBazar à Aucland, de QXL à Eurobid, les
suiveurs européens n'ont pas tardé à reproduire, à leur façon, le business
model d'eBay. Lancé en octobre 1998, iBazar, le premier site français de vente
entre particuliers, compte aujourd'hui 1,5 million de membres enregistrés sur
l'ensemble des huit pays d'implantation du site, dont 550 000 sont inscrits
dans l'Hexagone, chiffre qui devrait passer à 650 000 d'ici 2001. Forts de leur
antériorité sur le marché européen, les dirigeants d'iBazar restent persuadés
qu'il sera difficile pour eBay d'éroder les parts de marché acquises par la
concurrence. « Nous ne sommes nullement inquiets de l'arrivée d'eBay, déclare
André Haddad, le Directeur Marketing groupe d'iBazar. Au contraire, nous sommes
sereins et fermement convaincus que son arrivée va tirer le marché vers le haut
et renforcer notre positionnement. » L'antériorité d'iBazar ou d'Aucland sur le
marché européen aura-t-elle raison des ambitions du géant américain, même
soutenues par ses gros moyens financiers ? C'est en tout cas un atout de
maître, même si, à l'image d'Amazon, eBay, bien qu'absent en France jusqu'à
maintenant, possède une notoriété phénoménale auprès des internautes. D'autre
part, les ressources financières d'eBay (800 millions de dollars) l'autorisent
à envisager un éventuel rachat d'un ou plusieurs concurrents européens pour
étoffer sa communauté de membres. S'il reconnaît avoir approché l'ensemble des
concurrents français, le site américain n'a encore concrétisé aucune alliance,
mais reste ouvert à toutes négociations et partenariats avec des acteurs locaux
qui lui permettraient de renforcer sa visibilité en France. « Certains sites se
révèlent être potentiellement très intéressants parce qu'ils comprennent bien
l'esprit qui anime notre communauté. Mais en France, nous n'avons pas encore
identifié l'acteur idéal », confesse Philippe Fontaine.
Développer l'esprit "Village" pour fidéliser les membres
La stratégie
d'internationalisation d'eBay n'a en effet rien de linéaire. C'est en rachetant
Alando, l'un des premiers sites allemands de vente entre particuliers, que le
site s'est par exemple introduit en terre saxonne. Pour son implantation en
Angleterre, comme c'est actuellement le cas en France, le site a préféré
déployer sa propre activité de A à Z. « Nous n'avons pas une, mais plusieurs
stratégies d'implantation sur les marchés internationaux, et chacune est
adaptée au contexte local », explique Philippe Fontaine. Selon lui, le succès
d'eBay serait le fruit d'une "passion story" dans laquelle les collectionneurs
tiendraient le premier rôle. « Notre particularité, est de ne pas nous
approprier la vie du site. La communauté eBay est la propriété de ses membres,
et nous souhaitons qu'ils éprouvent un sentiment d'appartenance à une famille
bien particulière. » Ebay compte se faire une place au soleil en France en
ciblant avant tout le milieu des collectionneurs, réputés pour être les plus
actifs sur les sites d'enchères. Toutefois, si cette politique est
incontestablement à l'origine du succès d'eBay.com, les concurrents français
doutent qu'elle puisse être clonée indéfiniment avec les mêmes résultats sur un
marché aussi local et concurrencé que la place française. Pour André Haddad, le
succès d'eBay France est loin d'être garanti : « leur rentabilité est le
résultat de leur antériorité sur le marché américain qu'ils ont su monopoliser
dés le départ. De plus, il est très difficile de convaincre un membre actif et
identifié de quitter sa communauté pour une autre où sa notoriété serait à
reconstruire auprès des autres membres. » Pour Philippe Fontaine, le créneau
des collectionneurs reste pourtant le filon porteur : « nous ciblons en
priorité ce milieu parce que c'est là que se trouvent les passionnés, ceux là
mêmes qui ont fait d'eBay la place de marché unique qu'elle est aujourd'hui. »
Pour attirer des membres, les sites d'enchères doivent avant tout disposer
d'une communauté suffisamment significative afin d'assurer rapidement le jeu de
l'offre et de la demande. En outre, pour fidéliser les membres, les
opportunités d'achat doivent être suffisamment intéressantes afin que les
visiteurs puissent réellement réaliser des affaires. L'argument fort d'eBay
porte précisément sur l'étendue de sa communauté mondiale, mais aussi sur
l'intense activité de ses membres. Deux millions d'internautes se connectent
chaque jour à un site local et 600 000 objets renouvellent quotidiennement
l'offre globale du site. Positionné sur une politique de mass market, iBazar
s'adresse, pour sa part, à une population très locale. Dans le but de renforcer
sa démarche, le site a d'ailleurs récemment lancé un nouveau service,
ibazarpresdechezmoi, permettant aux internautes de réaliser des affaires sur
leur région d'appartenance. D'après André Haddad, cette profonde connaissance
du marché local, clé du succès sur le vieux continent, serait précisément le
talon d'Achille du géant américain. EBay a opté, dès son lancement, pour la
simplicité, notamment en terme de communication. Le site ne souhaite pas se
développer en s'appuyant sur une stratégie publicitaire forcément agressive.
Ses gains sont générés par les commissions prises sur les ventes réalisées et
les frais de listing des objets mis en vente sur le site. La notoriété se
construit au fil des échanges entre les membres. Quant à la qualité de l'offre,
elle est assurée par la qualité des membres les plus actifs sur le site. Pour
Philippe Fontaine, « le succès d'eBay se traduit moins par le nombre de ses
membres que par le volume de transactions que ces derniers réalisent sur le
site. Ce qui est important pour nous, c'est que vendeurs et acheteurs soient
assurés qu'il y a quelqu'un de l'autre côté pour remplir leur demande. Sans cet
équilibre, le marché ne peut pas fonctionner. »
Tous les chemins mènent à la notoriété
Si les campagnes publicitaires des sites
d'enchères français participent de façon significative à l'assise de leur
notoriété, la célébrité d'eBay a historiquement emprunté d'autres voies moins
médiatiques mais plus ciblés. Depuis son lancement au Etats-Unis, la société
n'a jamais fait l'objet d'une campagne publicitaire à gros budget. Bien
qu'eBay-France ne compte actuellement que quelques milliers de membres, le
lancement du site hexagonal s'est inscrit dans la même logique. De nombreuses
améliorations innovantes du site sont actuellement à l'étude, pour répondre
avant tout aux attentes exprimées par les utilisateurs et aux exigences du
marché. Ainsi, depuis qu'une étude de Gartner Conseil a révélé que la plupart
des internautes préfèrent s'attarder sur des sites parlant leur langue, eBay
s'est attelé à définir un plan de développement de logiciels de traduction
simultanée afin de lever les barrières linguistiques entre les pays. Pour le
reste, inutile de questionner les dirigeants. Comme le résume clairement
Philippe Fontaine, « eBay-France appartient aux membres et deviendra seulement
ce qu'ils voudront en faire ».
ebay en chiffres
Création : 1995 par Pierre Omydiar. Résultat net au 1er semestre 2000 : 17,9 millions de dollars. Pays d'implantation : Etats-Unis (53 sites régionaux), Canada, Australie, Japon, Angleterre, Allemagne, France. Nombre d'actes d'enchères effectués au cours du premier semestre 2000 : 120 millions. Nombre de pages vues : 100 millions par jour en juin. Effectif en France : 8 personnes.