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Isabelle Falque-Pierrotin > Présidente du Forum des droits sur l'Internet

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LE FORUM DES DROITS SUR L'INTERNET PRÊCHE LA CO-RÉGULATION POUR ENCADRER LE MONDE NUMÉRIQUE. UN GROUPE DE TRAVAIL RÉUNISSANT DES REPRÉSENTANTS DU E-COMMERCE, PUBLIC ET PRIVÉ, TRAVAILLE SUR UNE SÉRIE DE RECOMMANDATIONS QUI DEVRAIENT VOIR LE JOUR AU COURS DU PREMIER TRIMESTRE.

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Pouvez-vous nous préciser les missions du Forum des droits sur l'Internet ?

Isabelle Falque-Pierrotin : Le Forum des droits sur l'Internet a été créé en 2001 avec quatre missions. L'une, à destination du grand public, est une mission d'information et de sensibilisation sur les enjeux de droit et de liberté qui existent dans le monde numérique. Une autre, à destination des professionnels, est une mission de concertation visant à mettre les représentants de l'administration, les professionnels et les utilisateurs autour de la table pour définir ensemble les règles devant présider aux usages du réseau. La troisième consiste à jouer un rôle de médiation pour les litiges en ligne, entre particuliers ou entre un particulier et une entreprise. Enfin, le forum a une activité de coopération internationale au travers notamment de son réseau européen de co-régulation.

Quelles sont les prérogatives de ce réseau européen ?

Ce réseau a été créé en décembre 2003 et regroupe neuf organismes de sept pays européens. Tous travaillent sur des sujets proches des nôtres et partagent cette même approche de la co-régulation, c'està- dire l'idée que les sujets de régulation que pose Internet, tels que le commerce électronique, la propriété intellectuelle, la protection de l'enfance, la vie privée… ne peuvent être résolus que dans le cadre d'un partenariat entre l'État, les entreprises et les utilisateurs. Cette démarche commence à s'étendre, non seulement en Europe, mais également au sein des organismes internationaux. En novembre 2006, s'est tenue à Athènes une réunion des Nations Unies sur la gouvernance de l'Internet (IGF, Internet Governance Forum), avec la participation du Conseil de l'Europe. Pour discuter des questions liées à l'Internet, c'est la combinaison des connaissances que détient chacun des acteurs qui va permettre de trouver des solutions efficaces…

Quid de vos liens avec l'État ?

Nous avons un lien financier. Plus de 80 % des ressources du Forum proviennent en effet d'une subvention publique émanant du ministère de l'Économie et des Finances. Par ailleurs, l'État exerce un contrôle financier sur le Forum. Nous travaillons intimement avec les ministères et, dans quelques cas, c'est à la demande d'un ministre que nous engageons certains travaux.

Quelle est votre actualité vis-à-vis du e-commerce ?

Un groupe de travail a été mis en place sur l'e-commerce en 2006 et devrait aboutir en 2007. Il a pour objectif de faire un état des lieux des textes législatifs ou réglementaires pris dans les années récentes et de voir si cela est suffisant par rapport aux usages du e-commerce. Tous les représentants du e-commerce, public et privé, y sont réunis, aussi bien la Fevad et l'Acsel que des organismes tels que la DGCCRF et l'INC. Nous essayons de traiter ensemble les problèmes concrets qui nous remontent, soit du groupe de travail, soit de nos différentes hot lines.

Dans quel but ce groupe de travail a-t-il été mis en place ?

Le projet de loi Breton, relatif à la protection des consommateurs, souhaite traiter d'un certain nombre de sujets sur lesquels nous travaillons. Il devrait être déposé à l'Assemblée nationale en janvier ou en février 2007 et ne verra donc probablement pas le jour sous cette législature. Cela est néanmoins intéressant, car ce projet de loi nous donne un véhicule législatif pour nos propositions. Les conclusions de notre groupe de travail devant être prêtes en mars ou en avril au plus tard, elles seront disponibles pour le prochain gouvernement afin d'être transformées en une proposition de textes, par exemple.

Pouvez-vous nous donner des exemples de sujets sur lesquels vous travaillez ?

Oui, la responsabilité de plein droit, par exemple. C'est un système juridique qui a été introduit par la loi sur la confiance dans l'économie numérique en 2004. Son principe est de dire que, lorsque vous achetez en ligne, quoiqu'il se passe, l'interlocuteur unique est votre vendeur. Ce système est dérogatoire par rapport au système de droit commun dans lequel vous n'avez pas un interlocuteur unique identifié par la loi. Il a suscité beaucoup de controverses auprès des e-commerçants, le système étant exigeant vis-à-vis du vendeur et protecteur vis-à-vis du consommateur. Il soulève plusieurs questions en luimême, d'autant plus que, pour certains types de produits, des régimes de responsabilité spécifiques ont été mis en oeuvre avant la loi de 2004. Le secteur des achats de voyages, par exemple, est réglementé par une loi de 1992 posant le principe de la responsabilité de plein droit des agences de voyages, à une exception près, celle de l'achat de vols secs. Or, pour ces derniers qui sont vendus en ligne, la responsabilité de plein droit devrait aussi s'appliquer. On constate donc que, pour un même produit, il y a une sorte d'incohérence de régime juridique selon que l'on vend en agence ou en ligne.

Ces incohérences, vous les pointez aussi du doigt pour les soldes…

En effet, actuellement le système des soldes est régi par des arrêtés pris par les préfectures. Sur Internet, sachant qu'un site est national, nous avons demandé depuis longtemps que, pour les ventes en ligne, il y ait une date unique de soldes. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas et les dates sont encore fixées selon la localisation du siège social du site. Cela n'est pas très cohérent. D'où la nécessité de travailler sur le régime des soldes. Toute une série de petits sujets va alimenter le groupe de travail qui va rendre des conclusions très précises au terme d'une concertation menée avec l'ensemble des acteurs sur ces sujets.

Continuez-vous à identifier des préoccupations du grand public vis-à-vis d'Internet ?

Nous constatons que tout ce qui contribue à la sécurisation des usages intéresse le grand public. Nous agissons pour faire connaître l'environnement juridique dans lequel s'inscrit lE commerce & vad en ligne. Et nous essayons également de donner des conseils pour que l'internaute puisse acheter en toute sécurité. Le guide sur les achats en ligne,que nous éditons depuis trois ans à la période de Noël, récapitule ainsi un ensemble de bonnes pratiques. Et donne une série de conseils de prudence sur le périmètre du délai de rétractation, les modalités de paiement en ligne… En dix jours, on a comptabilisé 7 000 téléchargements de ce guide sur notre site. Il y a donc bien un besoin d'information, car nous constatons que les internautes ne réalisent pas toujours en ligne les démarches de protection minimum qu'ils effectueraient dans la vie réelle.

L'un de vos autres sujets actuels est lié à la protection de l'enfance…

Il est clair qu'il s'agit d'un sujet majeur de préoccupation des parents. Dans le fond, c'est un problème de culture. Les parents voient leurs enfants s'approprier les usages du monde numérique, jouer en ligne, créer des blogs… Ces activités ne font pas nécessairement partie de leur environnement quotidien et peuvent, de plus, poser des problèmes d'autorité, voire de société, auxquels ils ne sont pas nécessairement habitués. Nous sommes donc aussi très actifs sur ce secteur-là.

Qu'est-ce qui a marqué, selon vous, la “cyberannée” 2006 ?

En 2006, la protection de l'enfance a été un thème important. L'année est également marquée par l'explosion du Web politique. Désormais, la communication politique s'approprie les outils du Net. Après les spécialistes et les commerçants, Internet gagne assez logiquement la sphère politique. Avec, de temps en temps, un déficit de culture sur le fonctionnement et surtout sur la puissance de ces outils.

C'est-à-dire ?

La possibilité d'action politique est démultipliée sur Internet. L'affaire des caricatures de Mahomet, par exemple, illustre cela parfaitement. Elles avaient été publiées dans un journal suédois, puis sur Internet. Il est clair que la problématique n'est pas de même nature selon que les caricatures restent stricto sensu dans ce journal suédois ou bien sont diffusées en ligne. Le problème, initialement national, et traité selon la législation suédoise, devient, dès la mise en ligne des caricatures, un problème qui intéresse le monde entier. L'enjeu et le retentissement ne sont pas les mêmes. Et un réel problème politique se crée.

Vous avez participé, en 2006, à l'élaboration d'une charte encadrant le C to C. Existe-t-il encore des vides juridiques à combler sur le Net ?

Je crois que nous sommes encore au début de l'Internet et de la généralisation des usages. Nous avons jusqu'à présent fait un peu de patchwork pour qu'un certain nombre de questions nouvelles posées par l'Internet soient prises en compte par le droit. En revanche, je ne sais pas si nous sommes allés assez loin sur certains sujets. Nous avons jusqu'à maintenant accompagné le développement de l'Internet, qui est véritablement devenu grand public. Et le système fonctionne. Mais il faudra refaire un bilan d'ici à 2008. Peut-être même procéder à des aménagements plus profonds en fonction des usages nouveaux qui se développent. Les questions à se poser sur Internet sont en permanence de cette nature. Il faut toujours se demander si tel développement des usages entraîne des changements à la marge ou bien une modification plus profonde de paradigme.

Vous pensez aux droits d'auteur et au téléchargement illicite qui ont défrayé la chronique l'année passée ?

Sur les droits d'auteur, en effet, la question s'est un peu posée en ces termes. En transposant la directive européenne à l'univers numérique, nous nous sommes heurtés au fait qu'un certain nombre de pratiques contournaient complètement cet univers de droit. Dans le fond,la solution qui a été, in fine, adoptée au Parlement et censurée par le Conseil constitutionnel, ne résout qu'imparfaitement la question. Cela signifie qu'il y aura nécessairement une suite.

L'une de vos missions consiste à favoriser la coopération internationale. Quel état des lieux dressez-vous en la matière ?

Au niveau européen, sur les questions de commerce électronique, nous avons atteint une harmonisation très avancée grâce aux directives adoptées ces dernières années. En revanche, sur les questions plus sociétales, telles que la protection de l'enfance, la liberté d'expression, le racisme et l'antisémitisme, il subsiste encore des différences importantes entre pays, surtout dans l'Europe à 27, parce que les traditions politiques et juridiques ne sont pas les mêmes. Au plan international, on retrouve ces différences exacerbées. Les États, jusqu'à présent, ont peu coopéré au niveau international sur les questions liées au réseau numérique. A une exception près, la sécurité et la lutte contre la cybercriminalité, questions pour lesquelles des coopérations ont vu le jour à la suite des événements du 11 septembre. Il est important qu'au niveau international, des forums, qui ne rassemblent pas simplement les États mais aussi les entreprises et les utilisateurs, puissent se mettre en place. Travailler sur des oppositions de principe entre États serait en effet voué à l'échec. Entre la Chine, les États-Unis et l'Europe, un monde nous sépare. Entre la France et les États-Unis, par exemple, nous avons des points d'opposition absolus. Le premier amendement de la Constitution américaine autorise une liberté d'expression totale sur Internet, alors qu'en France nous avons une position plus modérée, puisque la liberté d'expression s'arrête là où commence le respect de l'autre. Il faut donc changer la méthode et entrer dans des discussions plus informelles afin de travailler, au départ, de manière plus modeste mais, en réalité, plus efficacement sur des sujets concrets.

Parcours

Isabelle Falque-Pierrotin, 47 ans, est diplômée de l'Ena, d'HEC et de l'Institut multimédias. Elle rejoint le Conseil d'État en 1986 puis, entre 1991 et 1993, occupe la fonction de chargée de mission auprès de la Direction de Bull. En 1993, elle est nommée directeur adjoint au cabinet de Jacques Toubon au ministère de la Culture, puis expert auprès de l'OCDE en 1996. Un an plus tard, Isabelle Falque- Pierrotin, par ailleurs mère de quatre enfants, est nommée coordinatrice des travaux du Conseil d'État sur Internet et les réseaux numériques. En décembre 2000, elle est chargée par le Gouvernement de mettre en place le Forum des droits sur l'Internet, dont elle est nommée déléguée générale et présidente du conseil d'orientation en mai 2001.

Le Forum des droits sur l'Internet

Le Forum des droits sur l'Internet compte plus de 70 membres et bénéficie d'un support des pouvoirs publics au travers d'une subvention. Son équipe comprend douze permanents. Sur l'activité de médiation, le Forum des droits sur l'Internet traite environ 5 000 demandes par an et compte un million de visiteurs annuels sur son site www.droitdunet.fr. Depuis sa création, il a émis 23 recommandations, lesquelles ont toutes été mises en oeuvre.

 
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Martine Fuxa

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