Internet ne sera jamais notre coeur de métier
Doucement mais sûrement, Air France se bâtit sur le Web une expertise qui devrait exprimer son potentiel à la fin du premier semestre de cette année, comme l'explique son directeur délégué à l'innovation.
Je m'abonneEn juin dernier, Air France annonçait de grandes manoeuvres autour de ses sites internet. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Je dirais
tout d'abord qu'Air France n'a jamais cédé à la folie des grandeurs qui a pu
gagner certains hauts dirigeants français à cause de l'Internet. En aucun cas
nous n'avons dit qu'Internet allait être le nouveau métier de la compagnie.
Nous avons élaboré notre stratégie par étapes. Les premiers sites développés
par Air France datent de 1996/97. Il s'agissait de sites d'information. Par la
suite, en 1999, nous avons créé notre premier site de commercialisation, tout
d'abord aux Etats-Unis, puis en France.
Aujourd'hui, combien de sites Air France existe-t-il ?
Cinquante à travers le monde, dont
dix sites commerciaux, nombre qui passera à vingt en mars, sur lesquels les
utilisateurs peuvent acheter leurs billets.
Les autres sont donc des sites corporate ou professionnels ?
Nous avons effectivement
un site institutionnel qui recouvre à la fois la communication et les
informations financières du groupe, et trois sites spécifiques aux métiers par
lesquels nous commercialisons des services à l'extérieur de l'entreprise : le
commerce, le fret et la maintenance aéronautique.
Comment se traduit la refonte des sites commerciaux d'Air France ?
Elle
poursuit quatre axes : l'accueil des clients à travers une ergonomie et un
design plus efficaces, la fiabilisation, la qualité de l'information fournie
via notre moteur de recherche et la personnalisation des services.
Dans le cadre de cette refonte des activités internet, allez-vous cibler les marchés professionnels ?
Nous allons nous concentrer
sur la cible des PME/PMI à travers des services dérivés mais complémentaires du
site grand public. Pour les grands comptes, qui ont la plupart du temps des
contrats firme chez nous, nous allons lancer des activités qui s'interfaceront
avec leur Intranet afin, par exemple, de proposer de la vente directe de
voyages d'affaires. Nous avons également en tête un projet de site dédié aux
agences de voyages, qui permettrait aux professionnels vendant des billets Air
France d'avoir accès à l'information dont ils ont besoin sur la compagnie.
Vous avez, d'autre part, un projet commun avec dix autres compagnies aériennes européennes de lancer un portail internet de vente de produits et de services liés au voyage. Quel est l'objectif de cette initiative ?
Ce projet, baptisé OTP, pour On line Travel Portal, a pour vocation de créer
une agence de voyages virtuelle. Car, tout comme dans la vente physique où les
compagnies disposent de leur propre agence, nous devons être présents dans le
virtuel afin de maîtriser et d'orienter ce nouveau modèle de distribution. Si
tout va bien, la première ouverture de site devrait avoir lieu cet été.
Ce projet ne risque-t-il pas de remettre en cause les différents partenariats que vous avez conclus avec des sociétés de voyages, comme Travelprice, par exemple ?
Pour le moment, les deux parties y
trouvent leur intérêt. Travelprice existe aujourd'hui, et il s'agit, pour eux
comme pour nous, de vendre des billets. De par l'étendue de son offre, Air
France se doit de toute façon d'être commercialisé par le maximum d'enseignes.
Que représente aujourd'hui votre activité sur Internet ?
Nous réalisons modestement 1 % de notre chiffre d'affaires via
le Web. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'Air France ne commercialise en
direct que 25 % de son offre. Nous espérons qu'en 2004 nos ventes sur Internet
dépasseront les 15 %.
Quel est le budget que consacre Air France à son activité internet ?
Il est très difficile de répondre tant les
ramifications du Web sont nombreuses. Une grosse partie des investissements est
consacrée au développement du système d'information, mais il est difficile de
détourer parfaitement l'investissement qui lui est consacré de celui consacré
aux projets internet car ils s'intègrent totalement. Néanmoins, si on se
focalise strictement sur la mise en place de nouveaux sites, nous sommes sur un
budget de plus de 10 millions de francs par an.
Comptez-vous poursuivre votre expérience de ventes aux enchères initiée l'été dernier ?
Il n'est pas question pour le moment d'y mettre un terme. Ce
mode de commercialisation a été un bon moyen de populariser la vente sur
Internet et d'augmenter la fréquentation du site. Mais cela ne représente
qu'une très faible part des ventes réalisées sur le Web. Nous vivons à une
époque où les avions sont quasi systématiquement pleins, et il n'y a donc pas
tant de billets que cela à proposer à des prix avantageux.
Les tarifs que vous pratiquez sur le Net sont-ils spécifiques à ce média ?
Nous souhaitons avant tout garantir une cohérence entre les
différents canaux de distribution. Nous ne favorisons donc pas tant que cela
l'offre du Web. Mais, comme Internet permet d'être plus réactif, il est
probable que c'est en se rendant sur le site que les clients vont accéder aux
offres les plus intéressantes. Cependant, je suis persuadé que, dans les années
qui viennent, nous serons amenés à tester des modèles un peu différents, en
termes de pricing, car Internet nous en donne les moyens. Malgré tout, nous ne
sommes pas les Galeries Lafayette et nous ne pouvons pas nous permettre de
faire des soldes massives à - 50 %. C'est inenvisageable dans notre industrie.
Comment est organisé le pôle internet au sein d'Air France ?
Jusqu'à maintenant, les différentes cellules étaient éclatées.
Mais nous avons créé une web agency intégrée qui sera opérationnelle au début
du mois de mars. Elle sera implantée à Roissy et réunira toutes les compétences
: marketing, chefs de projet, webmastering, ergonome... Son effectif sera d'une
vingtaine de personnes à sa création, mais devrait rapidement atteindre la
quarantaine en cours d'année.
Quelles seront ses missions ?
C'est avant tout une structure de prestation de services
vis-à-vis des directions commerciales. Son rôle est de faire en sorte que
l'animation et l'offre de tous nos sites web soient les plus efficaces
possible.
Cette démarche est originale pour un groupe aussi important qu'Air France.
C'est vrai que certains ont tendance à
externaliser ce service mais, finalement, c'est nous qui possédons
l'information, et elle est trop sensible pour que nous n'intégrions pas la
gestion de nos sites dans notre système d'information. Le métier de
transporteur aérien nous oblige à être extrêmement réactif pour diffuser la
bonne information au bon moment. Et, en intégrant notre propre structure
interactive, nous limitons les risques. Mais, derrière tout cela, il y a un
projet de refonte de notre système d'information qui s'appuie sur le Rappel
Opérationnel du Client, le projet ROC. Un service qui, en cas d'irrégularité
dans la programmation des vols, est à même de proposer automatiquement une
solution de rechange aux passagers. Cette information sera à terme disponible
sur différents médias, que ce soit le téléphone, les messages SMS, les e-mails,
etc.
Air France l'a développé lui-même ou a-t-il été inspiré par une initiative pré-existante ?
C'est un système qu'a instauré
Delta Airlines aux Etats-Unis, qui a fait ses preuves là-bas, et que nous avons
effectivement décidé d'adopter.
Comment la culture Internet pénètre-t-elle la compagnie ? Air France associera-t-il un jour un .com à son nom ou à sa signature, à l'image de la Fnac ou de France Télécom, par exemple ?
La communication de France Télécom est logique car Internet
influence directement son activité. Chez Air France, Internet ne sera jamais
notre coeur de métier. Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres qui nous permet
d'améliorer notre relation avec nos clients, nos fournisseurs ou nos salariés.
Le souci d'Air France est d'avoir une communication relativement calée sur ce
que l'entreprise est capable d'offrir pour ne surtout pas être déceptif
vis-à-vis de sa clientèle. Or, il est à l'heure actuelle trop tôt pour
communiquer de façon massive sur nos réalisations qui connaissent un profond
lifting. Et puis, pour l'anecdote, jusqu'à maintenant, nous ne communiquions
pas sur airfance.com parce que c'est le nom de notre site américain. Mais nous
allons bientôt le récupérer pour l'attribuer au portail d'accès regroupant tous
les sites d'Air France.
La possibilité qu'Air France fournisse un ordinateur à l'ensemble de son personnel à plusieurs fois été évoquée. Où en est le projet ?
Il reste pour le moment au stade de la réflexion
pour plusieurs raisons. La première est que le côté fiscal nous a un peu
refroidi. Une loi de finances a été votée pour favoriser cet engagement et on
s'est rendu compte qu'elle n'était pas très favorable. Car, en empêchant de
récupérer la TVA, le ministère des Finances reprenait d'une main ce qu'il avait
donné de l'autre. En fait, cela renchérissait de façon notable le coup
d'équipement. La seconde raison est que nous avons subi un choc pétrolier qui a
provoqué une envolée du prix du pétrole, et le phénomène se répercute
directement dans nos coûts et donc dans notre capacité d'investissement.
Croyez-vous à l'implantation de bornes d'accès à Internet dans les lieux publics à forte fréquentation qui favoriserait les réservations de billets ?
Pas vraiment. Je ne suis pas persuadé qu'il faille
investir massivement dans ce type d'outils. S'il avait fallu le faire, c'était
avant. Aujourd'hui, il me semble que les gens attendront les services mobiles
adaptés à leur téléphone portable ou leur PDA, par exemple. Et puis le
développement des outils de mobilité et de l'équipement des ménages et des
entreprises en matière de micro-informatique risque d'empêcher l'émergence de
ces appareils.
L'utilisateur d'un site Air France pourra-t-il un jour visualiser la cabine de l'avion dans lequel il souhaite réserver une place et ainsi choisir lui-même son emplacement ?
Visualiser la cabine,
certainement, car il n'y a pas a priori de problème technique. Mais je reste
assez prudent quant à la possibilité de lui laisser le choix de son
emplacement. Car il faut savoir que, lorsqu'une compagnie aérienne vend un
billet, il y a 20 % des gens qui ne viennent pas, ce qui l'oblige à vendre
plusieurs fois la même place. C'est tout le problème du surbooking. On préfère
prendre le risque de vendre 110 ou 115 % du potentiel d'embarquement de l'avion
pour être sûr de le remplir à 90 %. Cela me paraît donc un peu compliqué.
Air France participe à la création d'une importante place de marché avec les compagnies American Airlines, Continental Airlines, Delta Airlines, United Airlines, British Airways, Iberia, Swiss Air et UPS. Qu'en attendez-vous ?
Les deux objectifs essentiels de cette structure sont de
faciliter les achats de biens et services et d'arranger le processus logistique
des compagnies aériennes. La création de la société est en cours de
finalisation. Elle va regrouper à la fois des compagnies aériennes et des
fournisseurs. Nous mettons également en place tout un ensemble de structures
marketing élargies pour permettre à d'autres compagnies aériennes de participer
à la définition de l'offre de cette place de marché. La première version
devrait voir le jour à la fin du premier trimestre, l'investissement global
étant de 500 millions de francs.
Biographie
Agé de 45 ans, Bertrand Lebel est docteur en physique et titulaire d'un MBA. Il a intégré en 1982 une entreprise spécialisée dans la fourniture d'outils d'analyse informatique pour les directions marketing. Il a par la suite intégré le cabinet Bernard Krief en tant que manager, chargé de développer la clientèle dans le domaine des hautes technologies. En 1991, il rejoint le cabinet S2Com Consulting en tant qu'associé en charge du développement. Il intègre Air France en 1998 en tant que directeur de l'organisation. Il a été nommé directeur de l'innovation auprès de la Direction Générale en avril 2000, avec pour mission d'impulser et de promouvoir l'Internet dans tous les domaines d'activité de la compagnie.