Incubateurs : l'année de tous les dangers
L'année 2000 fut celle de l'arrivée en France des incubateurs et du retournement de conjoncture vis-à-vis des start-up. Le robinet des investissements s'est fermé brusquement, après avoir arrosé projets solides et concepts fumeux. Pour les incubateurs français, 2001 sera l'année du décollage ou de la disparition.
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«Aujourd'hui, les cycles de levée de fonds s'allongent. Alors qu'il y a
peu, il suffisait d'un mois pour réaliser son premier tout de table,
maintenant, il en faut six », constate Gilles Labossière, co-président de
Republic Alley, incubateur de strat-up créé en février 2000. Telle est la
nouvelle donne pour les jeunes pousses de l'Internet. Les beaux projets
existent toujours, certes, mais encore faut-il trouver des investisseurs prêts
à mettre la main au portefeuille, chose qui relève de l'exploit par les temps
qui courent. Portées aux nues en 1999, les start-up sont passées en 2000 au
statut de repoussoir à financiers. On parle plus aujourd'hui des start-down que
des succès des jeunes - ou moins jeunes - entrepreneurs. Pourtant, les
incubateurs français restent optimistes. « Nous avons réalisé notre deuxième et
dernière levée de fonds de 7 millions d'euros (43 MF) auprès de grands acteurs
de l'économie française qui croient au concept d'incubateur », déclare Gilles
Labossière. Ces investisseurs voient Republic Alley comme un "aspirateur à
innovation", même si le co-président de cette jeune structure se défend de tout
assujettissement vis-à-vis de ses financiers : « nous conservons une liberté
totale en leur proposant simplement des opportunités d'investissement, mais
sans que cela ne nous rende redevables auprès d'eux », tient -il à préciser.
Plus positif encore, Alain Levy, président de Start-up Avenue (fondé en
décembre 1999) qualifie l'année 2000 de "formidable" pour son entreprise. «
Nous avons formé une équipe de qualité, capable d'analyser de nombreux projets
technologiques prometteurs ». Mais il reste lucide : aujourd'hui, il y a moins
d'investisseurs qui s'intéressent aux premiers pas des start-ups. On a cru que
cette économie allait changer le monde tout de suite. Or, cela prend plus de
temps que prévu. Résultat : de très bons projets risquent de mourir faute de
temps. Mais si la bulle financière a explosé, l'ensemble du processus continu
de se développer. »
Des refus sans discernement
Philipe Hayat, P-dg de Kangaroo Village, ouvert début 2000, partage cette
analyse : « après des exigences de valorisation incroyables, on est revenu à
des demandes plus raisonnables, ce qui est positif. Par contre, même les bons
projets ont des difficultés à trouver des financements. Les refus se font sans
discernement, ce qui est un vrai handicap. D'ailleurs, nos start-up nous
demandent plus qu'avant de leur trouver de l'argent. » Vargha Moayed, P-dg de
Venture Park France (ouvert en août 2000), se considère quant à lui comme un
"incubateur de deuxième génération". « La crise de 2000 a eu deux grandes
influences sur notre business. Elle a fait évoluer notre modèle et nous a
conduit à couvrir une partie de nos frais fixes en facturant des honoraires de
conseils. Elle nous a aussi poussé à nouer des liens avec de grandes sociétés
de "mortar", telle que Bertelsmann. » Le directeur général de Venture Park
France estime que son activité est à la jonction de trois métiers : le
capital-risque, le conseil en stratégie et l'entrepreneuriat. Ce qui le conduit
à choisir ses dossiers comme un capital-risqueur, c'est-à-dire en misant sur
une plus value. L'incubateur facture ses services "au prix du marché" et
s'appuie sur sa structure européenne. Vargha Moayed voit dans le retournement
de conjoncture un côté positif - une valorisation plus saine des jeunes pousses
- et un autre négatif : « même si on voit un très bon projet, on ne pourra
peut-être pas le financer, car les incubateurs dépendent du reste de la chaîne
». Autre incubateur paneuropéen, Gorilla Park a ouvert son bureau français en
octobre dernier. Jean-Emmanuel Rodocanachi, son directeur des opérations,
affirme également appartenir à cette seconde génération et estime qu'il est
plus un accélérateur de start-up qu'un incubateur. « Les incubateurs de
première génération sont des centres d'affaires améliorés. Aujourd'hui, ce
modèle est dépassé car les entrepreneurs les plus sophistiqués vont voir
directement les capitaux-risqueurs. Pour notre part, nous apportons une valeur
ajoutée grâce à nos quatre accélérateurs : financier, managérial, géographique
et institutionnel. » Pour lui, ancienne et nouvelle économie n'en forment
qu'une seule, l'économie réelle, et il envisage la fusion prochaine des grands
groupes avec les start-up Ce rapprochement entre "ancienne" et "nouvelle"
économie représente pour la plupart des incubateurs un des axes de leur
développement dans les prochains mois. « Les grands groupes vont avoir accès à
des projets technologiques beaucoup moins chers que précédemment. Et eux ont
les moyens de supporter durablement le développement de ces jeunes sociétés »,
estime Alain Levy de Start-up Avenue. « Nous sommes capables de comprendre
leurs besoins et de leur livrer des solutions clés en main », ajoute
Jean-Emmanuel Rodocanachi. Mais l'année 2001 risque quand même de voir surgir
son lot de désillusions. « Il va y avoir des problèmes avec les projets tout
neufs. Il y a deux manières de contourner cette situation : ne plus en faire ou
prévendre un projet. Nous irons voir des investisseurs prestigieux et nous leur
dirons : si dans six mois on amène ce projet à tel niveau, serez-vous prêts à
investir ? », avance Vargah Moayed. Selon lui, le cap des six premiers mois de
cette année seront difficiles à passer, mais ensuite, la situation devrait
s'améliorer : « l'argent est là et les fondamentaux sont bons », estime-t-il.
Pour Gilles Labossière de Republic Alley, « au premier trimestre 2001, tous
ceux qui ne seront pas en situation d'être rentables vont disparaître. Mais les
opportunités de monter des business seront toujours là .» « Nous ne sommes
qu'au début de l'histoire. Il y aura certainement quelques mois d'attentisme au
niveau financier et ce ne sera pas facile. Mais nous avons encore devant nous
de longues années d'innovation », tempère Philippe Hayat de Kangaroo Village.
L'incubation reste un métier difficile
Les incubateurs
ont donc l'intention de laisser passer l'orage en travaillant sur leur
portefeuille existant. « Si on ne trouve rien qui nous plaît, on n'insistera
pas. Nous ne voulons pas investir pour investir : c'est une des grandes leçons
de 2000 », affirme Jean Emmanuel Rodocanachi, qui envisage l'installation en
France de trois ou quatre sociétés de son groupe. Réaliste, il sait que
l'incubation reste un métier difficile : il faut à la fois anticiper les
nouvelles technologies, trouver les bonnes équipes et refinancer au bon moment.
Mais il reste optimiste : « nous ferons sans doute des erreurs, mais nous
aurons aussi de beaux succès ». Et Vargah Moayed de conclure : « après tout,
s'il y a 60 % de faillite dans la nouvelle économie, c'est normal. On oublie un
peu vite que 30 % de sociétés traditionnelles meurent dès la première année »