E-commerce : le faux pas de Carrefour
Deux pas en avant, un pas en arrière. Voici à quoi ressemble la stratégie de Carrefour en matière de commerce électronique. Désireuse de multiplier les sites thématiques, à l'instar de son activité off line, l'enseigne s'est éparpillée sur des chemins hasardeux. Elle entend désormais recentrer ses activités sur Ooshop. Que d'énergie dépensée pour rien !
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C'est ce qui s'appelle un revirement stratégique ! Et pas un petit. Au
moment où l'on pensait que les enseignes de la grande distribution étaient en
mesure d'étouffer définitivement les velléités des pure players, qui ont pris
le pari de jouer sur leur terrain de prédilection, la distribution spécialisée,
voilà que la plus grande d'entre elles, Carrefour, annonce qu'elle entend «
engager une réflexion » sur l'évolution de ses sites Verywine (dédié au vin),
CarrefourBeauté, CarrefourJardin et CarrefourMultimédia. Particulièrement flou,
l'avenir de ces quatre sites n'est fait d'aucunes certitudes. Selon les cas,
ils pourraient être mis en sommeil, rejoindre le portail du groupe,
carrefour.fr, ou encore être absorbés par le cybermarché Ooshop, ce qui devrait
être le cas de CarrefourBeauté. Le sort de CarrefourJardin semble être acquis :
la disparition pure et simple. CarrefourMultimédia, pour sa part, deviendrait
un site de consultation à l'attention des vendeurs en hypermarché tout en
gardant sa vocation de portail d'information pour les consommateurs. Daniel
Bernard, le président du groupe Carrefour, justifie ces choix par le manque de
ventes réalisées par ces sites, sans toutefois remettre en question leur succès
d'image et d'audience. « Dans ces cas-là, Internet est plutôt un outil de
communication et de marketing direct pour les enseignes plutôt qu'un instrument
de transaction commerciale. » Et de préciser, pour mieux rassurer son monde,
que « cette réorganisation ne concerne toutefois pas les sites consacrés à
l'assurance, aux voyages et à la billetterie, qui enregistrent de bons
résultats. » Un nouveau site de services financiers, avec des offres de crédit,
devrait d'ailleurs voir le jour avant la fin de l'année. On ferme ce site-là.
On réorganise celui-ci. On en crée un nouveau... La façon dont Carrefour gère
sa présence en ligne est pour le moins biscornue. Où est passée l'assurance que
le groupe dégageait en début d'année lorsqu'il annonçait son intention de créer
un fonds d'investissement, une banque en ligne et d'ouvrir des sites dans le
monde entier ? Si le patron de Carrefour préfère aujourd'hui parler «
d'approche pragmatique » plutôt que de retournement stratégique, il n'en reste
pas moins que l'attitude de Carrefour indique qu'un sérieux coup de frein a été
mis sur les projets internet du groupe. On peut toujours dire que l'enseigne
subit, comme n'importe qui d'autre, le contrecoup de l'effondrement du marché.
Mais, dans ce cas, pourquoi avoir placé autant d'espoir dans des projets
visiblement bancals à une période où la situation était déjà catastrophique ?
La volonté de prendre les devants et de ne pas laisser le temps à d'autres
d'occuper le terrain ? Le groupe a déjà démontré que partir après la meute ne
lui pose aucun souci. Sa puissance de réaction étant bien trop importante. Par
orgueil ? Il est évident que voir des groupes comme PPR ou Vivendi-Universal
occuper en force le terrain de la distribution en ligne, notamment dans
l'univers musical, peut parfois froisser les ego. Mais se lancer dans une
politique de surenchère médiatico-commerciale ne ressemble pas à l'enseigne.
Dans son domaine, Carrefour est passé maître pour ce qui est de marquer le
marché de son empreinte. Par manque de discernement et excès d'optimisme ?
L'enseigne ne serait pas la seule dans ce cas là, et c'est l'explication la
plus plausible. Carrefour s'est, comme beaucoup d'autres, enivré au Web et a
aujourd'hui la gueule de bois.
Rallonge budgétaire de 15 M€ pour Ooshop
Pour autant, il n'est pas question pour l'enseigne de
mettre un terme à ses activités en ligne. Bien au contraire. Daniel Bernard a
ainsi annoncé que Ooshop devrait bénéficier d'une rallonge budgétaire de 15
millions d'euros (près de 100 MF). Cet investissement sera consacré à la
création d'une plate-forme automatisée à Marly dans les Yvelines. Le
cybermarché, qui traite dans son entrepôt de Velizy jusqu'à 1 000 commandes par
jour, espère ainsi doubler ses capacités de préparation des commandes. En 2000,
Ooshop a réalisé un chiffre d'affaires de 200 millions de francs et les pertes
se sont élevées à 57 millions de francs, avant intégration fiscale. Si les
porte-parole de Carrefour ne communiquent aucun chiffre sur les résultats
enregistrés par Ooshop au premier semestre, ils les qualifient néanmoins de «
prometteurs », n'hésitant pas à annoncer la rentabilité du site pour la fin de
l'année 2002. Aux vues des interrogations que suscite aujourd'hui la
consommation des ménages en période d'instabilité économique, cette affirmation
est à prendre avec des pincettes.