Du cybercafé au libre-service web : l'accès à Internet s'industrialise
Clicktown et easyEverything reproduisent à grande échelle le modèle du cybercafé de quartier. Récemment installés à Paris, les deux compétiteurs se livrent une bataille de moyens, en adoptant des stratégies marketing très proches. Explication d'un phénomène qui jure avec l'esprit des cybercafés traditionnels.
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Ils font la queue, alignés dans l'étroite entrée de la boutique. Le passage
en caisse est rapide. En quelques minutes ils s'aventurent, leur ticket à la
main, à la recherche d'une place disponible. Ils ont de la chance : il est
encore tôt et la salle n'est pas comble. Pour la somme de 10 F, ils ont droit à
80 minutes de consommation. Ces clients sont venus acheter du Web, de la minute
de surf ou de mail. « Je termine mes études et j'entame une recherche d'emploi
», explique Sophie en avançant dans les allées où sont alignés, en rangs
d'oignons, des ordinateurs dernier cri. Un écran plat placé à hauteur des yeux,
un clavier et une souris posés sur une tablette étroite : Sophie s'installe et
tape sur son poste le numéro inscrit sur son ticket. « J'ai un accès internet à
la maison mais de mauvaise qualité.
Amaury Eloy (Clicktown)
: " Nous allons proposer des sessions
d'initiation à l'achat en ligne, avec le concours de fnac.com ou encore à la
bourse en ligne avec Selftrade ".
C'est plus rentable et plus efficace pour moi de venir ici pour mener ma
recherche et envoyer mes candidatures », explique-t-elle. Bienvenue chez
easyEverything, le spécialiste du Web en libre service. Cette société anglaise
a ouvert son premier centre en France en janvier 2001, au coeur de la capitale,
dans le quartier des Halles. Comme son concurrent français, Clicktown, qui a
ouvert mi-mars sa première boutique un peu plus au nord de Paris dans le
quartier de la gare Saint-Lazare, easyEverything a revisité le concept du
cybercafé. Les deux compétiteurs y ont ajouté une dose conséquente de stratégie
marketing. Premier constat : chaque mètre carré est utilisé pour rentabiliser
les enseignes. Sur des espaces de plus de 1 000 m2, 375 ordinateurs pour
easyEverything et 320 pour Clicktown, sont disponibles. Second point fort : les
centres sont ouverts 24h/24, tous les jours de la semaine. Enfin, dernier
argument de poids pour les clients : les tarifs d'accès, particulièrement
attractifs, varient en fonction de la fréquentation. 10 F donnent ainsi droit à
environ 40 minutes de consultation en journée pendant les heures de pointe, et
à plusieurs heures en pleine nuit, par exemple. Toutes les conditions ont été
réunies pour attirer la clientèle particulièrement consommatrice de Web, les 18
- 25 ans. « Je suis Espagnol et je suis en France pour mes études, explique
Michel, installé devant un poste chez Clicktown. Je viens ici surtout pour
envoyer des mails et rester en contact avec mes amis. »
La bataille de la capitale
Ce nouveau marché de l'accès discount au Web se
structure pour l'instant en France autour de ces deux premiers acteurs, en très
forte compétition sur les pavés de la capitale. EasyEverything, qui profite de
la prime du premier arrivé, n'en est pas à son coup d'essai. Fondée en juin
1999, la société a déjà ouvert 21 boutiques, en Angleterre, Italie, en Espagne,
Irlande, Hollande, Belgique et aux USA. Elle fait partie intégrante de la
holding Easygroup, créée par Stelios Haji-Ioannou, fils d'un armateur et
milliardaire grec. La holding comprend également la société de réservations de
vols en ligne easyJet, introduite en novembre 2000 à la Bourse de Londres, le
site de location de véhicules easyRentacar et enfin, le comparateur de prix on
line easyValue.
Stratégie d'expansion à l'international pour easyEverything
Détenue en majorité par son fondateur, qui a
insufflé au départ les fonds nécessaires pour la création, easyEverything a
réalisé un tour de table en mai 2000, auprès du fonds d'investissement Apax
Partners ainsi que de Hewlett Packard, de 25 millions de livres. La stratégie
d'attaque du marché européen est particulièrement agressive. « Nous avons une
forte volonté d'expansion, au niveau européen et américain, explique Julien
Sausset, en charge du marketing pour la France.
Julien Sausset (EasyEverything)
: "En juin prochain, un nouvel espace
s'ouvrira dans le quartier St Michel sur 800 m2, et au cours du premier
semestre 2002, nous ouvrirons un très grand centre, de plus de 500 postes, sur
les Champs Elysées".
Parmi les voies de développement, nous pensons créer des franchises, pour nous
développer dans les pays de l'Est, en Asie et en Amérique du Sud. En ce qui
concerne la France, nous allons rapidement ouvrir de nouvelles boutiques à
Paris. En juin prochain, un nouvel espace s'ouvrira dans le quartier
Saint-Michel sur 800 m2, et au cours du premier semestre 2002 nous ouvrirons un
très grand centre, de plus de 500 postes, sur les Champs-Elysées. » De son
côté, Clicktown se veut plus prudent sur sa stratégie d'expansion. « Nous avons
une approche pragmatique, déclare Amaury Eloy, président de la société. Nous
ouvrirons certainement un second web center mais nous attendons de tirer les
enseignements du premier. » Créée à la mi 2000, Clicktown est une joint venture
entre la Fnac et New Works, société fondée en 1998 par Amaury Eloy. New Works
propose aux entreprises des services multiples de gestion de leurs documents,
de photocopies, mises en page ou traductions, et a ouvert 3 boutiques de libre
service qui met à disposition des équipements multiples : ordinateurs, stations
de PAO/CAO, accès internet ou matériel de visioconférence. Clicktown profite
ainsi de l'expérience de son président sur les marchés des boutiques en libre
service et de la force de communication de la Fnac. La boutique, ouverte à
Saint-Lazare, se trouve d'ailleurs à quelques pas d'un des magasins Fnac. Et,
jusqu'à la fin du mois d'avril, l'accès internet sera gratuit pour les
adhérents Fnac prévenus de l'ouverture du service grâce à des milliers de
flyers distribués dans les boutiques du libraire. Mêmes tarifs, même type
d'équipement, même type de locaux... Pour les utilisateurs, la différence entre
les deux marques est inexistante. « Je ne vois aucune différence entre les
deux, s'exclame Michel. Je m'étais déjà rendu à plusieurs reprises chez
easy-Everything. Si je suis aujourd'hui chez Clicktown, c'est simplement parce
que j'habite dans le quartier et qu'il m'est plus facile de venir ici. » La
spécificité de chaque enseigne pourrait néanmoins se dégager à terme. Clicktown
défend l'idée de créer et développer des événements autour de l'Internet : la
société se définit d'ailleurs en tant que web center et non en tant que
cybercafé. Et le personnel présent dans la boutique a été baptisé de "Net
angels". « Nous voulons être un vrai lieu de vie autour de l'Internet, précise
Amaury Eloy. Nous allons proposer des sessions d'initiation à l'achat en ligne,
par exemple, avec le concours de fnac.com ou encore à la bourse en ligne avec
Selftrade. Nous proposons également des sessions de formation à l'Internet. »
Click- town a ainsi prévu une salle spécifique pour les formations, qui coûtent
250 F pour deux heures. «Le manque d'assistance, c'est une fausse critique, se
défend Julien Sausset d'easyEverything, qui ne se positionne pas sur
l'accompagnement des internautes présents ou sur la formation. On le constate
tous les jours dans la boutique : les clients présents s'auto-forment, se
demandent mutuellement des conseils. Lorsque le premier libre-service a ouvert
à Londres, nous avions proposé deux files d'attentes. L'une à 10F de l'heure,
l'autre à un tarif un peu plus élevé avec un accompagnement assuré. Résultat,
les personnes présentes dans la seconde file l'utilisaient surtout pour ne pas
faire la queue. »
Cybercafés ou supermarchés de l'accès ?
Assimilés à des cybercafés, le positionnement des deux
compétiteurs en est, pourtant, assez éloigné. Espace d'accès à Internet avant
toute chose, ils proposent bien des consommations rapides, comme des sodas ou
des snacks, mais ne comptent pas forcément développer cette activité. Amaury
Eloy estime qu'ils ne sont pas en concurrence avec eux. « Plutôt
complémentaires. Personnellement, je n'apprécie pas de consulter Internet avec
des odeurs de cuisine environnante ou dans la fumée de cigarette. Nous ne
sommes d'ailleurs pas un cybercafé mais un web center. » « Les cybercafés n'ont
jamais vraiment décollé. Ce sont des structures trop petites, sans moyens de
communication et qui n'ont pas la capacité à créer une entité de marque »,
ajoute Julien Sausset. Du côté des cybercafés traditionnels voisins, on se
démarque en tout cas clairement de l'approche consumériste des deux nouvelles
enseignes. « C'est un esprit complètement différent du nôtre, remarque Vanessa
Le Morvan du Web Bar, cybercafé ouvert il y a cinq ans à Paris, à deux pas de
la place de la République. Ils ne vendent d'ailleurs pas d'alcool, et ne
proposent pas de restauration. Les personnes qui viennent chez nous sont
majoritairement des étrangers ainsi que des étudiants. C'est plus pour eux un
lieu de rencontre et de discussion et ils ne sont pas obligés de se connecter
tout de suite. » A l'ouverture d'easyEverything, le Web Bar n'a noté aucune
baisse de fréquentation. Au café Orbital, ouvert dans le quartier du Luxembourg
il y a six ans, il y a eu quinze jours de flottement. « On a senti une petite
tendance à la baisse, reconnaît Nicolas Jardry, le fondateur. Mais nous avons
notre marque et notre réputation. Nous avons une clientèle d'affaires, qui
recherche une connexion de qualité mais aussi un endroit avec une touche
parisienne. Nous comparer à easyEverything ou Click- town, c'est un peu comme
si vous compariez un supermarché et une épicerie fine. » Si ces deux cybercafés
abordent avec beaucoup de sérénité l'arrivée des deux nouveaux acteurs, c'est
aussi parce qu'ils ne réalisent pas seulement leurs chiffres d'affaires sur la
connexion. Le café Orbital tire principalement ses revenus de ses activités de
web agency et les ressources principales du Web Bar proviennent du café et
restaurant et de l'événementiel privé. « Vous savez, l'accès internet sera
peut-être un jour gratuit chez nous, lance Vanessa Le Morvan. Ce n'est qu'un
service parmi une ambiance. »
Des sources de revenus multiples
Si l'accès à Internet est un revenu majeur pour les centres d'accès au Web en libre service, Clicktown comme easyEverything comptent sur des revenus complémentaires. Tout d'abord les services associés au Web : l'impression, le gravage de CD ou l'équipement en casques audio sont payants. Ensuite, la vente de cafés, sodas et snacks. easyEverything travaille au niveau européen avec le groupe Douwe Egberts - la marque Maison du café. Et Clicktown dispose d'un espace cafétéria Columbus Café, enseigne présente également dans les Fnac. Troisième type de revenus : la publicité. Les annonceurs ont le choix dans les deux enseignes d'acheter différents types d'espaces : des bannières fixes sur l'écran de consultation, des affiches au dessus des postes, ou encore des tapis de souris à leur image. Clicktown propose également vingt PC dédiés à des annonceurs : la consultation est bien sûr gratuite pour l'utilisateur qui n'a accès à partir du poste qu'aux sites choisis par l'annonceur.
EasyEverything : la prime à l'efficacité
- Parmi les équipements complémentaires mis à leur disposition, les internautes peuvent utiliser une webcam (10 F pour des photos ou des extraits vidéo), un téléphone (50 F par carte téléphonique) ou le logiciel Microsoft Office (15 F par session d'utilisation). - Pour la somme de 10 F, les clients d'easyEverything ont droit à 20 minutes de consommation en cas d'affluence maximale. - Dans son web center de 1 000 m2, easyEverything met à disposition des visiteurs, 375 ordinateurs fournis par Hewlett Packard et annonce une fréquentation journalière de 4 à 5 000 personnes. - A la première enseigne située boulevard Sébastopol, dans le quartier des Halles, devrait succéder deux nouveaux espaces, dans le quartier Saint-Michel en juin prochain, et sur les Champs-Elysées au cours du premier semestre 2002. - easyEverything propose un bar où ses visiteurs peuvent acheter des consommations rapides, comme des sodas ou des snacks.
Clicktown : la convivialité avant tout
- Clicktown propose des sessions d'initiation à l'achat en ligne et de formation à l'Internet, et des "Net angels" sont à la disposition des internautes pour se faire aider. - Situé 15 rue de Rome, à proximité de la gare Saint-Lazare, l'enseigne se trouve à quelques dizaine de mètres à peine de la Fnac, son actionnaire principal. - Contrairement à son concurrent, chez Clicktown, les internautes sont en vis-à-vis et non séparés par une cloison. - L'enseigne souhaitant faire une place de choix aux annonceurs, vingt postes sont en accès libre, aux couleurs de fnac.com, Selftrade, Bananalotto, ou encore Consodata. - Clicktown, qui souhaite recréer dans ses locaux l'esprit de la Fnac, a mis l'accent sur a convivialité. Objectif : 3 000 clients par mois.