Cybermarchés : la course aux milliards
Dans un secteur où chaque part de marché se chiffre en milliards de francs, les grands groupes ont pris les choses en main pour contrôler le commerce en ligne. Les investissements sont colossaux, les innovations permanentes et les perspectives alléchantes.
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logistique
Un panneau publicitaire par-ci, une camionnette de livraison par-là, les
cybermarchés commencent à s'immiscer dans le décor urbain. De l'avis général,
l'année 2000 aura d'ailleurs été celle du décollage pour ces acteurs aux noms
évocateurs tels que Telemarket, C-mescourses, Houra, ou encore Ooshop. Bien
entendu, leur poids économique (de 500 à 600 MF) est encore minuscule dans
l'immense marché des PGC (150 MdF en région parisienne) qui regroupe les
produits de grande consommation comme l'alimentaire, la lessive ou les
couches-culottes. Mais, en peu de temps, ces nouveaux commerçants ont laissé
entrevoir un très fort potentiel. En fait, tous les professionnels du secteur
croient aujourd'hui aux vertus du commerce en ligne. Et ce n'est pas un hasard
si les principaux cybermarchés sont pilotés par les leaders de la grande
distribution : Ooshop par Carrefour-Promodès, Houra par Cora, C-mescourses par
Casino et Telemarket par le groupe Galeries Lafayette. Bien sûr, on peut
toujours dire que cette conversion au Net s'est faite contrainte et forcée.
Mais aujourd'hui, personne ne semble regretter les efforts déployés ni les
milliards investis. « C'est un marché sur lequel chaque % se traduit en
milliard, jubile Pierre Bouriez, le P-dg de Houra. Et, d'après nos prévisions,
de 5 à 15 % des foyers feront leurs courses alimentaires sur Internet d'ici 5
ans. » En fait, on estime qu'en 2005 les cybermarchés auront conquis entre 3 et
5 % du marché des PGC en Ile-de-France, ce qui représente un montant de 4,6 à
7,5 milliards de francs. « Selon moi, cette demande potentielle est même
supérieure à 5 % », affirme Claude Palmieri, directeur général d'Auchan
Interactive. Cela explique d'ailleurs que sa maison mère, Auchan, a investi
plus d'un milliard de francs pour développer ses activités de ventes on line. «
Dans cinq ou six ans, Internet deviendra véritablement du mass market »,
déclare, pour sa part, Guy Paillaud, général manager d'@carrefour, la structure
qui regroupe les différents sites marchands du groupe Carrefour
(www.carrefour.fr). Mais en attendant, les cybermarchés doivent se contenter de
parler en millions.
Houra.fr
D'après les statistiques disponibles, leurs CA cumulés tournent autour des 500
à 600 millions de francs par an. « A titre de comparaison, un gros hypermarché
fait à peu près 800 MF de chiffre d'affaires par an et un Monoprix environ 300
MF », rappelle Hervé Cohen, directeur général adjoint de Telemarket, le leader
des cybermarchés avec des ventes s'élevant à 212 MF en l'an 2000. Derrière
Telemarket, le pionnier du secteur - avec un premier site internet en février
1998 et une longue expérience de la vente par Minitel -, la concurrence
s'organise. Le site houra.fr, lancé à grand renfort de publicité en janvier
2000, flirte avec les 110 millions de chiffre d'affaires. Ooshop, de son côté,
annonce une croissance foudroyante avec 200 MF de chiffre d'affaires en l'an
2000 et un "trend" de 220 millions annuel au vu des résultats de janvier 2001.
C-mescourses étant, pour l'instant, un petit peu en retrait avec une activité
estimée à 55 millions de francs en l'an 2000.
Concurrence vertueuse
Depuis la fin mars, un cinquième "grand" a fait son
apparition : Auchan. Initialement prévu à la fin 2000, le lancement
d'auchandirect.fr a été quelque peu retardé car ses promoteurs voulaient
peaufiner la logistique. L'offre de départ est assez modeste avec des
livraisons à domicile limitées aux 13e, 14e et 15e arrondissements de Paris, à
la banlieue sud et au Puy-de-Dôme. 4 500 références seront toutefois proposées
aux clients, principalement de l'alimentaire dont des produits frais et des
surgelés. A l'annonce de l'arrivée d'Auchan, certaines interrogations ont été
émises. Y a-t-il une place pour un cinquième cybermarché ? Assurément oui, si
l'on se fie aux intéressés qui croient eux-mêmes aux effets d'une concurrence
"vertueuse". « Quand un nouvel acteur lance une campagne de pub, cela profite à
tout le monde », affirme Pierre Bouriez. « Nos principaux concurrents, ce sont
les hypermarchés de la région parisienne et les circuits de distribution
traditionnels », confirment en choeur les porte-paroles des cybermarchés. Dans
ces conditions, on ne s'étonne guère que la plupart des autres distributeurs
aient des projets en cours.
Pierre Bourriez (Houra)
: "D'après nos prévisions, de 5 à 15% des foyers
feront leurs courses alimentaires sur Internet d'ici 5 ans".
C'est notamment le cas d'Intermarché et de Leclerc qui s'est déjà essayé à la
vente en ligne avec deux boutiques dédiées aux voyages et aux bijoux sur le
site www.e-leclerc.com. Du côté de Franleader (Franprix, Leader Price), on ne
souhaite pas encore communiquer sur la stratégie e-commerce, mais l'on
reconnaît plancher très sérieusement sur le sujet. Le sentiment qu'il existe de
la place pour tout le monde est confirmé par la multiplication des expériences
locales, menées généralement de façon indépendante. Dans la plupart des cas,
ces initiatives reposent sur une maîtrise déjà ancienne de la livraison à
domicile et sur les carences des cybermarchés "nationaux" qui, à l'exception
d'Houra, rechignent encore à s'aventurer au-delà de la région parisienne. Le
supermarché Leclerc de Cannes-la-Bocca (www.leclerc-cannes .com) fut l'un des
précurseurs de ce mouvement avec l'adoption d'un système de ventes en ligne dès
février 1998. Aujourd'hui, la plupart des régions françaises sont concernées
par ce phénomène avec notamment l'Intermarché de Seyssins, près de Grenoble
(www.inter marche-seyssins.com), l'Hyper U de Parthenay dans les Deux-Sèvres
(http : //195.101.116.162/hyperu), et, dans le Sud-Ouest, la Web Epicerie
(www.web-epicerie.com) et Merkatua (www.merkatua.com). A l'image de ces deux
dernières sociétés, Pratic Shopping (www.pratic-shopping.com) fait du "picking"
(ndlr : prendre de la marchandise dans les rayons de magasins existants) dans
les supermarchés de sa région, en l'occurrence le littoral méditerranéen et
l'arrière pays Aixois. « Dans le Sud, les gens aiment bien sortir faire leurs
courses, concède Romain de Garsignies, directeur général de Pratic-Shopping.
Mais, comme partout, il y a beaucoup de choses à faire dans les prestations à
domicile. » En près de deux ans, Pratic Shopping a réussi son décollage (3,5 MF
de chiffre d'affaires en 2000) mais il faut tout de même préciser que seulement
30 % de ses commandes sont prises par Internet.
Pertes substantielles
Cette intrusion de quelques dotcoms ne semble pas
inquiéter outre mesure les dotcorps qui affichent des prévisions d'un
exceptionnel optimisme. Ainsi, Telemarket compte réaliser 550 MF de chiffre
d'affaires en 2001 puis 1,1 milliard en 2002 et 3 milliards en 2005. Chez
Ooshop, l'objectif est d'atteindre le milliard en 2001, et Houra espère
multiplier ses ventes par quatre cette année. Ces progressions exponentielles
sont indispensables pour atteindre le seuil de rentabilité fixé, selon les
acteurs, en 2002 ou en 2003. A l'heure actuelle, les principaux cybermarchés
accusent en effet des pertes substantielles.
Cmescourses.com
Telemarket, quant à lui, a annoncé une perte d'exploitation de 80 millions de
francs pour l'année 2000 et le Groupe Galeries Lafayette cherche des
partenaires pour pouvoir soutenir la croissance de son "poulain". Déficit ou
pas, on n'a pas fini d'entendre parler des supermarchés en ligne. Après avoir
dépensé 20 MF dans sa campagne de lancement, l'année dernière, Houra a de
nouveau investi dans la publicité grand public au printemps 2001. Au moment des
élections municipales, Telemarket s'affichait sur les murs de Paris avec un
slogan de circonstances, "Une seule liste compte, celle de vos courses". Cette
année, Telemarket va d'ailleurs consacrer 6,6 millions de francs à l'achat
d'espace et le budget marketing de l'entreprise atteindra les 25 millions de
francs. « Notre cause commune, c'est de convaincre les femmes de faire leurs
courses sur Internet », confie Pierre Bouriez. "Au cybermarché, laissez les
hommes porter", clament d'ailleurs les bannières publicitaires de Houra sur le
Web. La communication des cybermarchés est également tournée vers une cible de
jeunes actifs urbains avides de temps libre et de modernité. « Sur Internet, la
population est différente de celle des hypermarchés traditionnels, précise Guy
Paillaud. Le positionnement est 25-35 ans, CSP +, avec un ou deux enfants. » Le
propre de cette clientèle est d'être un peu plus dépensière que la moyenne (750
F le panier moyen) mais surtout très exigeante et très bien informée. Du coup,
il faut aligner les arguments pour la convaincre. « Notre principal service,
c'est le gain de temps », affirme Christian Marchandise, P-dg de Telemarket. Se
libérer de la corvée des courses du week-end, cela a évidemment un prix. Mais
attention, les consommateurs savent être vigilants et les cybermarchés ont
compris qu'ils avaient tout intérêt à s'aligner sur les prix pratiqués en
hypermarchés, mis à part, bien sûr, les frais de livraisons qui sont
généralement facturés entre 45 et 79 francs (voir encadré). Ensuite, la
principale attente des clients se situe au niveau de la logistique. Il suffit
de consulter les forums de discussions sur le Net pour voir comment sont
"descendus" les cybermarchés qui auraient osé livrer en retard, ou tout
simplement oublier certains articles d'une commande. « Un client déçu risque
d'être perdu pour tout le monde », reconnaissent les opérateurs qui ont fait,
ces derniers temps, de gros efforts pour corriger le tir (voir page 51). Enfin,
il ne faut pas oublier que l'ergonomie du site et les services proposés jouent
également un rôle décisif dans l'acte d'achat. Là encore, en se promenant sur
les sites des quatre grands, Telemarket, Houra, Ooshop et C-mescourses, on se
rend compte des investissements consentis.
Nouvelle façon de consommer
Ainsi, tous ces sites proposent un moteur de recherche,
ce qui est franchement indispensable quand il faut se retrouver parmi des
milliers d'articles (65 000 chez Houra). Ensuite, toute une série de services
ont été mis en place pour fidéliser le client. On lui propose d'abord de
mémoriser sa liste, voir celle de ces enfants. Sur Ooshop, l'internaute se voit
offrir des entrées par "univers" (grignotage, ou terroir & monde) et par
"pièce" (bureau, buanderie, salle de bains...) avec une série d'articles s'y
associant. Des recettes, des idées repas, voire des conseils de nutritionnistes
viennent parfois illustrer les "linéaires" avec, bien sûr, une approche très
consumériste. Sur houra.fr, on a eu la bonne idée de faire figurer les e-mails
des chefs de rayons... « On ne se balade pas dans un cybermarché comme dans un
hypermarché, souligne Paul-Emile Cadilhac, le directeur du pôle conseil de
Business Lab, une web agency spécialisée dans les relations clients sur
Internet (www.be-lab.com). Je trouve néanmoins que les cybermarchés ne sont pas
allés assez loin. Ils ne cherchent pas suffisamment à introduire de nouvelles
façons de consommer.
Picard.fr
Or, l'outil internet permet véritablement de développer un marketing du besoin
en partant de ce que le client recherche et non pas de ce qu'on a à lui offrir.
» A terme, l'idée est donc de proposer au consommateur des articles en fonction
de ses goûts, de ses projets, de son humeur du jour... En matière
d'innovations, les acteurs ne manquent toutefois pas de projets. « En 2001,
nous allons tester des choses, annonce Hervé Cohen, directeur général adjoint
de Telemarket. Nous voulons multiplier les services à domicile. Un exemple :
quand on livre le client, on peut très bien repartir avec son costume et le
déposer au pressing. » Dans le sud de la France, Romain de Garsignies, le
directeur général de Pratic Shopping, souhaite également décliner cette notion
de services à domicile en livrant des médicaments, des photos, voire des
papiers d'identité ! « A partir du moment où l'on a noué une relation avec un
client, on peut la développer progressivement. » C'est évidemment ce à quoi
pensent tous les cybermarchés. En misant sur le commerce en ligne et les
livraisons à domicile, ils savent qu'il y a, pour eux, un très bon coup à jouer.
Suite : La
logistique
Un environnement favorable
Des dizaines de chiffres circulent sur les potentialités du cybercommerce. Sans faire un examen exhaustif des statistiques publiées sur le sujet, voici toutefois quelques repères permettant de mieux appréhender l'environnement dans lequel se trouvent les cybermarchés. Tout d'abord, il faut rappeler que la consommation en ligne augmente régulièrement en France tout en restant relativement modeste par rapport aux pays anglo-saxons. Ainsi, selon les statistiques disponibles, on compte entre 1 et 2 millions de cyberconsommateurs en France contre 6 millions au Royaume-Uni et 30 millions aux Etats-Unis. Les achats sur le Web sont toutefois assez difficiles à quantifier. Selon le Credoc, ils s'élevaient en France à 1 milliard de francs en 1999 et, dans une récente enquête, le magazine Challenges avance le chiffre de 4 milliards de francs pour l'an 2000. Une chose est sûre, le commerce électronique se développe à un rythme soutenu. L'étude reprise par Challenges prévoit un doublement des échanges en ligne, cette année, et le Credoc annonce une croissance de 500 % des ventes dans le seul secteur de l'alimentation.
Ce que proposent les cybermarchés leaders
www.telemarket.fr Nombre de produits : 4 500 (6 000 en septembre 2001). Montant minimal d'achats : Aucun. Lieux de livraison : Région parisienne sauf certaines zones limitrophes des Yvelines, du Val d'Oise et de Seine et Marne. Prix de la livraison : 45 ou 70 francs pour les commandes inférieures à 400 francs. Délai : 24 heures. www.houra.fr Nombre de produits : 65 000 références. Depuis la mi-mars, Houra livre des produits frais (1 500 références) dans les départements 77, 78 et 91. Cette innovation sera étendue aux autres départements de la région parisienne (75, 92, 93, 94 et 95) d'ici la fin avril et aux grandes villes de province (Lille, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille et Grenoble) dans le courant de l'année 2001. Dans quelques semaines, on pourra également acheter des fruits et légumes sur le site et l'ouverture de rayons boucherie et poissonnerie est actuellement à l'étude. Montant minimal d'achats : Aucun. Lieux de livraison : France entière. Prix de la livraison : 67 francs. Délai : 48 heures. www.ooshop.fr Nombre de produits : 6 000. Montant minimal d'achats : 50 francs. Lieux de livraison : Paris, les Hauts-de-Seine, certaines communes des Yvelines et désormais dans les communes du "grand Lyon". Prix de la livraison : 79 francs. Délai : 24 heures. www.c-mescourses.com Nombre de produits : 6 000. Montant minimal d'achats : 300 francs. Lieux de livraison : Paris, Lyon, Pau, Biarritz. Prix de la livraison : de 49 à 59 francs selon les horaires. Délai : 24 heures.
Les autres sites
www.carrefour.fr : Le portail d'@carrefour, la structure regroupant les sites de commerce électronique du distributeur. A partir de carrefour.fr, on accède bien sûr à Ooshop.fr mais aussi à des sites marchands thématiques comme very-wine pour le vin, Carrefour beauté pour la santé, l'hygiène et les cosmétiques ou Carrefour-Jardin. D'autres déclinaisons telles que Carrefour-multimedia et Carrefour-culture doivent être lancées d'ici le mois de juin. www.carrefourdirect.com : Un cybermarché indépendant de Ooshop fonctionnant depuis le 15 janvier sur les zones de Lille et d'Orléans. 6 000 produits disponibles mais la gamme va être progressivement étendue. Projet d'extension sur toute la France. www.e-leclerc.com : Le site vitrine de la société fondée par Edouard Leclerc. Pas de cybermarché pour l'instant mais deux boutiques en ligne, pour les voyages et les bijoux. www.groupedesmousquetaires.com : Un site d'information sur les activités de ce groupe dont dépendent notamment les Intermarché. Aucune possibilité d'achats en ligne. www.g20-livraison.com : Une offre, de 7 500 produits, partagée avec un autre site www.sitis-livraison.com. Un service de livraison pour les internautes vivant à proximité d'un magasin G 20 ou Sitis. www.euro-ned.com : Plus de 4 000 références mais pas de moteur de recherche. Au vu de la page d'accueil, on a l'impression que la livraison est possible dans l'Europe entière. En fait, ce service est limité à certaines communes de la région parisienne. www.picard.fr : Le spécialiste du surgelé s'adonne aussi au commerce en ligne. Sur ce site, il propose près de 1 000 produits livrables dans toute la France à partir de 200 francs d'achat.