Mutation digitale d'un géant de l'hôtellerie
Publié par François Deschamps le | Mis à jour le
Directeur des activités digitales et e-commerce pour le Groupe Accor, Romain Roulleau est un élément clé du plan de transformation digitale de l'entreprise. Il accompagne à la fois les voyageurs et le groupe dans l'ère du tout digital.
Que représente l'e-commerce chez Accor ?
Les ventes en ligne chez Accor sont divisées en deux parties. D'un côté, le portail Accorhotels.com, et de l'autre 13 sites marchands correspondant aux 13 marques du groupe. On y retrouve notamment Novotel.com, Mercure.com, Ibis.com, etc. Aujourd'hui, 35% des ventes sont réalisées par Internet. Accor est l'acteur du CAC 40 qui tire la plus grosse partie de son chiffre d'affaires grâce aux ventes en ligne.
De quelle manière l'e-commerce est-il structuré à l'échelle internationale ?
Accor est dans une logique mixant d'une part une stratégie conçue et développée globalement, et d'autre part, une exécution, un merchandising et une animation commerciale réalisée localement. Par exemple, il est possible de réserver une chambre à l'hôtel Mercure de la Gare de Lyon à Paris depuis n'importe quel pays où nous sommes présents, c'est-à-dire 92 dans le monde ; en revanche, l'animation commerciale qui lui est appliquée, est adaptée aux spécificités du marché local. Et ce modèle vaut, pour l'Angleterre, l'Amérique, l'Australie, la Chine, etc. Cela nous permet d'avoir une cohérence en termes de positionnement de marque. Par ailleurs, en règle générale, nous assimilons un pays à un point de vente. Exception faite de l'Afrique, du Moyen-Orient, et de l'Amérique latine hors brésil. Pour chaque 'point de vente', nous possédons une équipe e-commerce, ce qui représente 150 à 200 collaborateurs répartis dans le monde, dont la charge est de développer les ventes en ligne auprès des consommateurs de leur pays. En revanche, les projets, la stratégie et les grandes actions du portail Web sont pilotés depuis Paris.
Fin octobre, Accor a annoncé la mise en place d'un plan d'investissement de 225 millions d'euros sur 5 ans pour la transformation digitale du groupe. En quoi consiste ce plan et pourquoi un tel timing ?
Il y un premier élément de contexte correspondant à l'arrivée au sein du groupe de Sébastien Bazin, notre nouveau p-dg depuis un peu plus d'un an. Celui-ci a rapidement annoncé qu'au vue de l'importance croissante du digital dans la société, il devenait prioritaire d'investir en ce sens. Et à juste titre. Il est vrai que le digital est de plus en plus présent dans nos vies, et Accor l'a compris depuis 14 ans avec une présence en ligne forte. Pour autant, des changements majeurs interviennent dans le parcours client, ce qui impacte l'accompagnement que l'on doit y apporter. Le programme d'investissement repose sur huit programmes dont quatre centrés sur le client. Ces derniers portent sur la connaissance client, l'apport de solutions BtoB, la fluidification du parcours client, et le mobile. Les quatre autres axes portent sur nos employés, sur nos partenaires et franchisés car nous ne sommes pas propriétaires de tous nos hôtels, et un dernier axe est lié aux analytics et à la business intelligence. Le plan d'investissement digital a été construit sur l'ensemble du parcours client, afin d'apporter des solutions à toutes les étapes. D'abord dans l'inspiration du client, puis dans sa phase de recherche, le moment où il réserve sa chambre, celui où il se prépare avant le séjour, pendant, et après son séjour ; et enfin, la dernière et non des moindres, la phase par laquelle nous devons lui donner envie de revenir chez nous.
Le mobile représente 12 % des réservations réalisées sur le Web. Ce canal de vente tient-il une place à part au sein du plan d'investissement ?
Le mobile est résolument l'un des plus gros postes du plan d'investissement, et celui dont les réalisations seront les plus visibles pour nos clients. Les solutions que nous proposerons font bien la différence entre tablettes et smartphones. En effet, pour l'industrie du voyage en général, la tablette est un substitut du PC tandis que le smartphone requiert une utilisation complètement différente et très spécifique. Aujourd'hui, près de 40% de notre audience provient du mobile, et très vite nous parviendrons à 50%. Une fois cette réalité acquise, il s'agit de savoir de quelle manière se mettre en ordre de marche. Mais nous sommes désormais inscrit dans une logique 'mobile first', qui nous force à simplifier l'expérience sur smartphone, ce qui nous sert également à être simple et clair sur tout autre canal de vente, qu'il s'agisse d'un ordinateur ou d'une tablette, car on se recentre sur le message important, et sur l'essentiel.
Vous prévoyez en ce sens d'unifier les applications mobiles du groupe pour n'en conserver qu'une seule...
En effet, il s'agit de l'élément central de notre stratégie mobile, la mise en place d'un compagnon de voyage. Il s'agira d'une seule application, contre 27 applications comprenant les 13 marques du groupe et les applis spécifiques aux différents systèmes d'exploitation. L'enjeu autour de cette application, 'Accor hotels', et de parvenir à la hisser parmi les 26 applications - dont 2 à 3 sont dédiées au voyage-, en moyenne que possèdent les mobinautes sur leur smartphone. Pour cela, l'application proposera une expérience digitale adaptée selon l'hôtel dans lequel l'utilisateur se trouve, comprenant les services spécifiques proposés par chaque établissement. Par exemple, les menus pourront être disponibles dans l'application, et traduit selon la langue parlée par le client. Aussi, nous avons mis en place un système de check-in et de check-out digital depuis un mobile, permettant de s'affranchir de la partie administrative et du temps d'attente à la réception, souvent laborieux pour le client. Ce service est déployé rapidement : dans 1 000 hôtels à fin 2014, et dans l'ensemble du réseau d'ici fin 2015. Par ailleurs, notre carte de fidélité " Le Club Accor hotels " possédée par 18 millions de clients sera digitalisée. Plus besoin de la sortir à la réception, au restaurant ou au bar pour être crédité de points supplémentaires, il suffira de présenter son téléphone à l'employé. Enfin, toujours depuis l'application, les clients auront accès dans chaque hôtel à toute la presse internationale gratuitement, soit plus de 3 000 titres numérisés et traduits dans 17 langues. Enfin, une mise à jour de l'appli intégre le service Uber, permettant ainsi au client de réserver son VTC pour l'amener à l'hôtel ou a l'aéroport.
Accor s'est récemment offert la startup Wipolo. Quelle est la portée stratégique de cette opération ? Plus généralement, mettez-vous en place des collaborations avec d'autres entités afin de stimuler l'innovation dans le groupe ?
Nous voulions proposer à nos membres la possibilité de stocker directement dans leur mobile, l'ensemble de leurs documents de voyages : informations sur leurs vols, location de voitures, billets de train, numéros de passeport, le tout. C'est pourquoi nous avons acheté la startup Wipolo. Intégrée à l'application Accor, cela nous permet d'apporter encore plus de services à nos clients, et ainsi, de les inciter à multiplier les occasions d'utiliser l'appli. Il nous semblait plus cohérent d'intégrer ces compétences, plutôt que de les développer en interne. Cela permet des collaborations et des challenges avec nos équipes mobiles, même si Wipolo conserve une autonomie de travail, et sa propre road map. Par ailleurs, nous sommes partenaires de la Web School Factory, et organisons régulièrement des challenges avec les étudiants, pour développer la créativité, travailler avec de jeunes développeurs qui potentiellement peuvent rejoindre le groupe par la suite. L'un des derniers challenges en date portait les objets connectés. Un groupe d'étudiants a développé un concept de chariot de ménage connecté, permettant par exemple d'être informé de la disponibilité des chambres. Une manière innovante d'optimiser le programme de nettoyage des femmes de chambres.
Comment percevez-vous l'expansion d'acteurs CtoC rupturistes tel qu'Airbnb ? Représente-t-elle une menace à long terme pour les acteurs plus traditionnels du marché de l'hôtellerie ?
Avant tout, je ne pense pas qu'Airbnb soit un modèle si rupturiste que cela. Les voyageurs qui échangent leur logement ou qui résident chez l'habitant durant un voyage, n'est pas un phénomène nouveau. Pour preuve, le portail HomeAway qui permet de louer un logement partout dans le monde existe depuis quasiment 10 ans. Ce n'est pas foncièrement différent de ce que propose Airbnb. En revanche, il est vrai que ce dernier se démarque par la qualité d'exécution, la vitesse avec laquelle il se déploie, et grâce à son inventaire considérable de biens en location. Pour autant, il est facile d'avoir une croissance très forte au regard des montants gigantesques investis par la société. Mais à partir du moment où ces acteurs atteignent une certaine taille, ils attirent l'attention et se confrontent à des réalités qui leur échappaient jusqu'alors. Par exemple, en avril dernier le procureur de New York a fait savoir que deux tiers des appartements new-yorkais en location sur Airbnb étaient en situation d'illégalité. Par ailleurs, le volume de biens en location de courte durée sur Airbnb commence à être une raison supplémentaire à la réduction du parc de logements en location pour les citoyens de certaines villes. Aussi, je pense qu'Airbnb ne propose pas toutes les protections auxquels nos clients peuvent bénéficier dans le cadre d'une prestation hôtelière classique. Ces problèmes, Airbnb devra y faire face. Enfin, comme de nombreuses sociétés du Web, lorsqu'on regarde la rentabilité de l'entreprise, on s'aperçoit que l'efficacité de leur modèle économique n'a pas toujours pas été prouvée. Plus globalement, l'impact de ces acteurs sur l'hôtellerie traditionnelle est certainement moins important que ce qu'on en dit, et difficilement démontrable.