Mounir Mahjoubi : "La France est devenue une des grandes nations mondiales du numérique"
Publié par Mégane Gensous le - mis à jour à
Entrepreneur passionné et citoyen engagé, Mounir Mahjoubi fait le bilan de son mandat de président du CNNum, auquel il vient de mettre fin pour s'engager en politique au sein du mouvement "En marche" d'Emmanuel Macron.
Il marchera désormais aux côtés (notamment) de l'économiste Jean Pisani-Ferry et de la journaliste Laurence Haïm. Mounir Mahjoubi, ex-président du Conseil National du Numérique, a annoncé ce 19 janvier 2017 quitter son poste avant la fin de son mandat afin de se consacrer à la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron. Retour sur près d'un an de combats en faveur du développement numérique de l'économie française.
Sous votre présidence au CNNum, le développement de l'e-commerce était l'un des grands axes de développement. Pourquoi parler de retard de la France dans ce domaine ?
Le retard de l'hexagone concerne spécifique le commerce connecté des PME et des PME issues de l'économie traditionnelle. Sur ce sujet, la France n'est que 13ème au classement européen en matière du nombre d'entreprises ayant utilisé Internet pour leur process commercial (prise de commande par mail par exemple), soit seulement 15% du total des entreprises françaises. C'est pourquoi nous avons lancé avec le CNNum une grande démarche de co-construction en allant à la rencontre de plus de 200 TPE et PME, d'une centaine d'acteurs du numérique, de prestataires mais aussi de comptables, des Chambres de Métiers ou encore des Chambres de Commerce et d'Industrie.
En quoi la transition numérique des TPE et PME peut-elle booster la compétitivité française ?
C'est une problématique essentielle, il en va de l'identité économique même de la France. L'économie du pays repose sur une répartition des emplois sur l'ensemble du territoire, aujourd'hui 50% d'entre eux se trouvent en dehors des villes. Donc si ces PME et TPE n'opèrent pas leur transition numérique, elles vont disparaître du paysage en réduisant le maillage commercial. Pour résoudre cette question, il n'y a aucune recette magique : il faut mettre de moyens financiers et humains en place.
Au niveau européen, où en est le projet de Marché Unique Européen ?
C'est un sujet historique pour le CNNum qui a et va toujours militer pour faire de la France un acteur décisif et décisionnaire. Il ne suffit pas de dire "oui" au projet, il faut réfléchir aux implications en matière de fiscalité par exemple : comment imposer un agenda européen d'harmonisation fiscale entre les pays membres, pour qu'il n'y ai plus de concurrence avec l'Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg. L'objectif étant de faciliter l'achat de produits ou le lancement d'entreprise d'un pays à l'autre.
En tant qu'entrepreneur, que pensez-vous des efforts gouvernementaux (législation, fonds d'investissement, incubateurs...) qui ont été faits pour encourager la création d'entreprise ?
Sur la nouvelle économie (en opposition à l'économie traditionnelle), le gouvernement a fait un travail incroyable, on peut même dire que la France a été l'un des pays les plus rapides et est devenue une des grandes nations mondiales sur le sujet. En revanche, si le pays sait lancer des startup, le frein réside dans la capacité à les transformer en champions. Pourquoi ? Les investisseurs regrettent l'absence d'un contexte favorable, les startup déplorent un marché trop petit, mais en réalité la réponse réside dans un entre-deux : cette transition repose sur une culture qui ne se décrète pas. Les startupers doivent donc continuer à aller chercher des marchés plus grands, la France doit réfléchir à la création d'incentives plus intéressantes, tandis que les investisseurs doivent arrêter d'avoir peur. Ce qui est regrettable c'est que de grands groupes français ont les moyens mais n'investissent pas dans les startup locales, lorsqu'ils réalisent une acquisition c'est que le marché est déjà développé, la peur du risque est encore trop présente.
Quels sont les grands thèmes sur lesquels le CNNum va se pencher en 2017 ?
Le dernier projet lancé et auquel j'ai collaboré est l'exclusion numérique. Que faire pour les 20 à 30% de Français pour qui le numérique est compliqué ? Une réflexion a déjà été entamée avec La Poste, Emmaüs Connect, le département du 93 ou encore l'Estonie. Des pistes ont déjà été trouvées pour les extrêmement exclus, en raison d'un handicap, d'un âge avancé ou de la barrière de la langue, ce qui concerne environ 5% de la population. Pour les malvoyants, la Loi pour la République Numérique a par exemple imposé des standards aux sites Internet. Pour les 15% d'exclus restants, c'est plus complexe car ils nécessitent seulement un accompagnement et une formation pour être à l'aise avec le numérique. Problème, qui doit les ac compagner et qui doit payer pour ça ? Axelle Lemaire a récemment mis en place une structure capable d'émettre des chèques pour la médiation numérique, le but étant de rendre un individu autonome en seulement quelques rendez-vous. L'initiative a bien été lancée mais la question de son financement (les collectivités ? les administrations ?) n'a pas été réglée. Mon intime conviction est que cette éducation au numérique est une mission stratégique et nécessaire pour l'Etat, c'est même son rôle parce qu'il a tout à y gagner : Emmaüs Connect a démontré que le R.O.I de la formation à l'autonomie numérique permettrait de réaliser des économies, car quelqu'un d'autonome c'est quelqu'un qui ne se déplace plus pour des démarches qui peuvent être faites en ligne, qui n'a plus besoin de l'aide sociale pour se sortir de certaines difficultés. La faute incombe à tout l'écosystème : aux acteurs privés qui ont tout numérisé rapidement sans s'adapter, à l'école qui ne transmet pas assez les compétences aux plus jeunes et aux moins jeunes.
Quel va être le rôle du CNNum en amont, durant et suite aux élections présidentielles ?
Le CNNum n'a pas de programme exhaustif mais a identifié quelques sujets-clés comme l'intelligence artificielle ou l'exclusion numérique qui sont des sujets-clés pas encore assez discutés. En revanche plus besoin de parler des startup car à présent tous les candidats à la présidentielles se sont saisis du sujet. Et c'est une bonne chose car la vie administrative a besoin d'être influencée par des entrepreneurs, ils doivent être représentés dans la société au même titre que les autres citoyens.
Quel bilan tirez-vous de l'action du CNNum sous votre présidence ?
Le temps que j'y ai passé a été très positif avec par exemple l'aboutissement du plan de transformation numérique de l'université : mise en place des méthodes de la co-conception et du design collaboratif avec des étudiants, des professeurs, des experts et des administrations, construction d'un référentiel de l'enseignement supérieur qui sert aujourd'hui de dialogue. Dans le domaine des TPE et PME, ça a aussi été un succès puisque le gouvernement appliquera le 30 janvier prochain une partie des recommandations élaborées par le CNNum pour accompagner le développement des entreprises françaises.