Discount : le prix, mais pas que...
Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Si le prix reste encore le juge de paix du secteur, les discounters font évoluer leur modèle pour séduire plus largement les consommateurs de plus en plus décomplexés à l'idée d'acheter low-cost, pour peu qu'ils y retrouvent de la qualité ou le sentiment de faire de bonnes affaires.
La scène se déroule à Rungis le 29 septembre : Michel Biero, futur président de Lidl France, sert à Olivia Grégoire des produits vendus chez Lidl, Carrefour et E.Leclerc. Au menu : quiche lorraine, lasagnes, saucisses et flan au caramel. L'exercice, raconté dans le magazine hebdomadaire Challenges , doit permettre à la ministre déléguée au Commerce de comparer la qualité des produits premiers prix d'Eco+ (E.Leclerc), Simpl (Carrefour) et Lidl, lesquels sont supposés meilleurs malgré des prix dopés par l'inflation. Cet événement illustre la compétition à laquelle se livrent actuellement les enseignes en matière d'image qualité/prix.
Un domaine dans lequel Lidl s'est surpassé ces dernières années, via une stratégie de montée en gamme, qui repose sur le faire et le faire savoir. Du salon de l'agriculture à son offre de boucherie, en passant par sa boulangerie et ses rayons primeurs, l'enseigne, primée pour certains de ses spiritueux, a aussi multiplié les opérations autour de ses produits non alimentaires, améliorant par effet de halo son image qualité/prix globale.
Devenu l'un des premiers annonceurs de France - ce qui était auparavant impensable pour un discounter -, Lidl a aussi augmenté la taille de ses magasins, mutant ainsi du hard au soft discount, au même titre qu'Aldi ou Netto. Résultat : tandis que les deux enseignes terminaient le mois de janvier 2023 à 3,1 % et 0,7 % de part de marché en valeur, Lidl passait la barre des 8 %, loin des 4,5 % de 2016.
Le soft discount doit-il à nouveau se réinventer ?
Mais depuis, la dynamique s'est inversée... En septembre, la part de marché valeur de Lidl n'était plus que de 7,1 %, très loin des 24,1 % records d'E.Leclerc, grand vainqueur de la période inflationniste, et qui a commencé à creuser l'écart dès le printemps, quand la hausse des prix alimentaires dépassait les +20 % sur les 24 derniers mois.
Certains, comme Olivier Dauvers, expliquent cette situation par l'inflation qui touche les marques de distributeur (MDD) de Lidl, face à un E.Leclerc dont la largeur de l'assortiment va permettre à chacun de s'y retrouver. Un argument au coeur de la démonstration organisée par Michel Biero à Rungis. D'autres pointent le nombre de références trop restreint proposé par les discounters. Même s'ils répondent à toutes les unités de besoin, ils ne satisfont pas totalement certains clients qui, plutôt que de faire du multi-enseigne, préfèrent aller directement chez E.Leclerc, qui sait aussi rivaliser avec les discounters en matière de praticité et de rapidité : son offre drive pèse pour un tiers de sa croissance en septembre selon Kantar.
De son côté, Frédéric Juvin inverse la grille d'analyse : "Une enseigne dont le mix-produit est composé à 75 % de marques nationales, qui sont les plus touchées par l'inflation, verra sa part de marché en valeur augmenter plus que celle de Lidl, dont l'assortiment n'est composé qu'à 16 % de marques nationales. Paradoxalement, ce tassement des parts de marché illustre bien la stabilité des prix des discounters. Les clients ne s'y tromperont pas, et je pense que le discount pèsera plus de 25 % du marché d'ici la fin de la décennie", parie le fondateur du cabinet Retailix et ancien directeur concept retail de Carrefour, pour qui le succès de Lidl passe également par la réussite de son offre non alimentaire : "Si Lidl arrive à réaliser 15 à 20 % de son chiffre d'affaires en ligne, la marque passera facilement la barre des 10 % de part de marché."
Action, l'anti-premium qui cartonne
Sur le segment du non-alimentaire, Lidl a un concurrent de taille : Action. L'enseigne néerlandaise a passé le cap des 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans l'Hexagone, son principal marché, et cela sans premiumisation ou site e-commerce. Elle a su séduire les Français avec une moyenne de prix de 2 euros, sur près de 6 000 références, permis par "un retour aux bases du hard discount : magasins entrepôts, équipiers polyvalents et des prix négociés grâce à l'achat de gros volumes distribués à l'échelle européenne", indique Delphine David, directrice d'études chez Xerfi. Une analyse partagée par Bruno Verley, directeur général de l'agence Pub Audit : " Action achète de gros volumes à des fabricants qui veulent alléger leurs stocks. 70 % de l'offre est ainsi régulièrement renouvelée, avec un turn-over rapide : 45 jours en moyenne, contre 120 chez certains concurrents. Cela leur assure un flux de trésorerie constant et une fréquentation assidue des amateurs de bonnes affaires. Et il faut évoquer leur capacité logistique, avec une flotte intégrée de camions à double pont et une implantation commerciale pensée pour leur rayon d'action, d'abord depuis les Pays-Bas, puis depuis les centres logistiques ouverts quand ils sont suffisamment développés dans une région".
Au-delà des prix bas, c'est ce renouvellement rapide de l'offre qui fait le succès d'Action, selon Delphine David : "Les déstockeurs misent sur l'effet de surprise et l'achat d'impulsion. Action et Normal se démarquent en couvrant des univers de consommation de plus en plus larges, comme le DPH (droguerie parfumerie hygiène) ou l'épicerie, ce qui séduit une large clientèle, qui se lance dans la chasse aux bonnes affaires". Une gamification de l'acte de consommation qui a même été ritualisée par Normal. L'enseigne danoise, qui cible principalement les urbains, a ainsi développé un parcours d'achat en magasin digne d'Ikea. Elle a récemment partagé son ambition d'ouvrir 700 magasins en France. Reste à voir si cette course à la taille critique, qui anime également B & M, repreneur de Babou en 2017, ou encore l'Allemand Tedi, qui a fait l'acquisition du Breton Max Plus cet été, permettra à ces acteurs européens de prendre le dessus sur Gifi, La Foir'Fouille ou encore Stokomani.
Racheté l'an passé par Moez-Alexandre Zouari, le discounter Stokomani a lancé sa contre-attaque en début d'année, avec le lancement d'un nouveau concept qui mêle le meilleur du discount : des prix bas sur de nombreuses catégories de produits, avec 10 % des 20 000 références affichées à moins de 2 euros, mais aussi un rayon mettant en avant des offres limitées dans le temps et une thématisation saisonnière de l'offre. Enfin, un côté premium, avec des magasins remis à neuf et une offre de déstockage de produits de grandes marques qui permet d'offrir de la qualité à prix cassé.
Discount sur abonnement : la proposition originale du Club Leader Price
Lancé en 2021 après la cession des magasins Leader Price à Aldi, le Club Leader Price était, avant PicNic, la seule proposition de discount alimentaire en ligne, comme l'explique Briac Piriou, son responsable : "Notre assortiment limité de 2000 références en produits secs, épicerie et DPH, couvre l'ensemble des unités de besoin et offre de la praticité à nos clients, d'autant plus qu'ils peuvent s'abonner pour bénéficier de livraisons de commandes récurrentes." Le Club Leader Price propose également en déstockage des invendus alimentaires du groupe Casino à prix attractifs. Présenté comme son lab d'innovation, notamment en matière de Web3, il séduit un nombre de clients équivalent à celui d'un hyper.
27 % des enseignes adoptent des pratiques issues du discount
Selon l'étude New Retail, publiée par Locala cet été, 38 % des enseignes considèrent qu'un prix bas est le meilleur moyen d'augmenter le chiffre d'affaires. Plus d'une sur quatre a ainsi acté la "discountisation" de son offre, à l'instar de Carrefour qui, dans le cadre de son plan stratégique 2026, mise sur une baisse de 20 % du nombre de références et le passage du poids des MDD de 33 % en 2022 à 40 % du CA en 2026. Mais aussi sur une mise en rayon directement sur palettes et une présentation des produits "prêts à vendre", des pratiques inspirées des enseignes discount.