Naturalia : "Nous avons réinventé notre façon de faire du commerce"
Publié par Propos recueillis par Dalila Bouaziz le | Mis à jour le
Dans un secteur très convoité, le dirigeant de l'enseigne spécialisée Naturalia, Allon Zeitoun, décrypte les grands enjeux à venir et défend son modèle bio. L'occasion également d'analyser les nouveaux comportements des clients, avec l'essor de l'e-commerce, et de dévoiler ses ambitions futures.
Lors de la présentation des résultats annuels de votre enseigne, vous avez annoncé une croissance de 22,4% en 2020 et un chiffre d'affaires de 395 millions d'euros. Comment expliquez-vous ce succès ?
Cette croissance exceptionnelle s'explique par deux facteurs principaux. L'an dernier, nous avons inauguré 14 points de vente supplémentaires (226 magasins au global principalement en région parisienne et en Rhône-Alpes et à présent dans l'ouest, NDLR). L'expansion [de magasins] reste un facteur de croissance dans notre secteur. Nous avons également renforcé notre raison d'être tout en mettant davantage le client au centre. Cette croissance se poursuit avec une augmentation de 10% à ce jour du chiffre d'affaires.
La crise sanitaire a-t-elle modifié vos priorités ?
Cela a été le cas pendant quelques mois. En mars 2020, nous avons eu à gérer des urgences (assurer la sécurité de nos salariés et nos clients, installer le matériel de protection) et parallèlement des pics de ventes exceptionnels (activité multipliée par quatre) pendant de nombreuses semaines. Nous avons dû adapter notre approvisionnement en cherchant de nouvelles sources principalement françaises. Durant cette période, nous avons renforcé les équipes et recruté 150 personnes en trois mois. Après l'urgence, il a fallu réinventer notre façon de faire du commerce. Les magasins demeurent notre canal principal. Néanmoins, un certain nombre de nos clients ne souhaitaient plus se déplacer en magasin. Aussi, nous avons énormément renforcé nos capacités e-commerce.
Qu'avez-vous observé en termes de consommation sur votre site depuis le début de la crise sanitaire ?
Le commerce en ligne a connu une très forte croissance, il a plus que doublé (+150%) en un an et cela se poursuit.
L'appétence des consommateurs pour l'e-commerce alimentaire ne fléchit pas depuis le confinement.
Nous n'avons pas vraiment de catégories en plus forte croissance que d'autres. Contrairement à la grande distribution, les fruits et légumes sont des déclencheurs d'achat dans le bio. 85% de nos commandes en ligne en contiennent. C'est même la première catégorie sur notre site marchand. L'épicerie, notamment en raison du phénomène de stockage des consommateurs, a aussi très bien marché. Autre enseignement, le drive, auparavant marginal au sein de notre enseigne, fonctionne très bien aujourd'hui. Dans les magasins où il a été déployé, il représente près de 10% du chiffre d'affaires de ces derniers. Pour le click and collect, les clients semblent moins intéressés, notamment en milieu urbain.
Aujourd'hui, toutes les marques et acteurs de la grande distribution se mettent au bio, comment vous distinguez-vous ?
Cela doit faire 30 ans que la grande distribution s'intéresse au bio. Et j'ai tendance à penser, comme d'autres professionnels du secteur, que c'est un sujet de cycle. Les consommateurs, en général, commencent leurs achats dans le conventionnel. Et au fur et à mesure, ils se posent des questions du type "Comment sont réellement produits les aliments?", ou "Quel peut être l'impact des produits phytosanitaires sur ma santé?". Très souvent, ils envisagent alors de passer à 100% au bio. Et c'est lorsque ce point de bascule est atteint qu'ils se rendent dans des enseignes spécialisées comme la nôtre. La grande distribution a un rôle dans l'écosystème bio en la faisant connaître aux consommateurs. Je trouve très bénéfique que le conventionnel pousse le bio. Effectivement, à un instant T, la grande distribution est un concurrent mais c'est elle qui fait la croissance du marché bio de demain. Nous sommes à la fois des "co-concurrents" et des collaborateurs dans cette croissance du bio. Nous nous différencions sur l'expérience d'achat. Nous sommes commerçants, c'est-à-dire que nos équipes en magasin sont recrutées et formées pour être commerçantes. Elles sont là pour accueillir le client, l'accompagner, le conseiller...
Quels sont vos axes de différenciation ?
Nos magasins recensent près de 6 000 références bio, une offre complète impossible à trouver même dans les plus grands hypermarchés. Nous avons également des engagements extrêmement forts. Nous avons ainsi été certifiés B-Corp (octroyé aux entreprises répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance et de transparence envers le public, NDLR) en avril dernier. Un label prouvant l'ensemble des exigences et l'impact de notre enseigne d'un point de vue sociétal et environnemental. Nous sommes le premier distributeur alimentaire en France à l'obtenir. Enfin, cette année, la part de marché des spécialistes du bio devrait reprendre le pas sur celle du conventionnel.
Comment avez-vous vécu la reprise de Bio c' Bon par Carrefour, premier acteur du bio à présent ?
Il était inconcevable qu'une enseigne de distribution bio spécialisée ne soit pas reprise. Bio c' Bon avait trouvé sa clientèle avec une centaine de magasins, il n'était pas possible qu'elle disparaisse. Naturalia ne pouvait pas la reprendre pour des sujets d'autorité de la concurrence. Nous aurions dû céder plus de la moitié des magasins. Aussi, c'est une bonne chose que Carrefour l'ait reprise et que l'enseigne soit restée dans l'univers de la bio spécialisée.
En période de crise sanitaire et économique, comment le bio peut-il répondre au problème de pouvoir d'achat d'une partie des consommateurs ?
Chaque enseigne y travaille en permanence avec ses fournisseurs. Nous savons qu'il y a un sujet de surcoût lié à la réalité des exploitations agricoles. Forcément, des élevages intensifs reviennent moins cher que des élevages en plein air. De facto, le bio coûte plus cher, c'est une réalité. On ne pourra pas imaginer qu'il arrive un jour au même prix que le conventionnel. Et je dirais même que ce n'est pas souhaitable. Il y a aujourd'hui une réalité de prix pour une alimentation qui se veut respectueuse de la nature et des hommes. Ce qui n'est pas le cas dans les produits conventionnels lesquels engendreront toujours un surcoût. Notre travail consiste à ce qu'il soit le plus faible possible, notamment sur les produits non transformés. La vraie solution, à mon sens, réside dans le changement de consommation. Les articles les plus chers dans l'alimentation demeurent les produits carnés (protéines animales et produits transformés). Passer sur des produits bruts, potentiellement sans emballage, des fruits et légumes donc, avec moins de protéines animales et plus de végétal réduit très significativement le panier moyen. Souvent nos clients sont dans ce changement alimentaire. À nous de les accompagner pour qu'effectivement le panier global soit moins cher, avec des produits différents.
L'e-commerce alimentaire devient un nouvel enjeu de conquête pour la distribution spécialisée. Quelle est sa place dans votre stratégie globale ?
Nos clients veulent des solutions e-commerce.
Nous avons donc mis en place le click and collect (67 points de retrait au global) et le drive (deux pour le moment avec une volonté d'en déployer plus cette année). Depuis 2018, nous avons également un partenariat avec Amazon pour de la livraison express en 2h à travers une sélection de 2 00 produits. Et enfin, pour le plein de courses, nous avons deux magasins préparateurs (des dark stores). À partir de septembre prochain, la livraison à domicile se fera via la solution d'Ocado ( le groupe Casino auquel appartient Naturalia a signé un accord d'exclusivité avec l'acteur mondial de la distribution alimentaire en ligne, NDLR) pour Paris et l'Ile-de-France. Cela nous assurera une livraison à J+1 dans un créneau d'une heure. Nous allons également développer la livraison à domicile à Nice et Lyon mais avec des solutions de dark stores pour le moment.
Qu'en est-il des ouvertures de votre nouveau concept péri-urbain, Naturalia Marché Bio ?
En un an et demi, nous avons inauguré 12 magasins, concept clé de notre croissance. Nous allons continuer à mailler les centres-villes comme dans le IIIe arrondissement parisien avec notre nouveau point de vente des Enfants Rouges, inauguré en avril, et exemple le plus abouti. Nous avons reconverti ce magasin Bio c' Bon en un véritable flagship, d'une superficie de 319m2 et sur trois étages. Il est le premier à bénéficier à 75% de mobilier de seconde main. Sur les milliers de références proposées dans le magasin, 660 sont sans emballage. Nous avons fait le choix de baliser les 200 produits les plus vertueux en termes d'emballage afin d'orienter au mieux les clients vers les initiatives les plus durables. Et pour la première fois, un rayon entier est dédié aux contenants réutilisables.
Où en êtes-vous dans le vrac, que représente-t-il en termes de chiffre d'affaires ?
Suivant les magasins, ce rayon réalise entre 4 et 10% du chiffre d'affaires. Jusqu'en février 2020, le vrac avait la plus forte croissance parmi toutes les catégories. Il représentait environ 20% de croissance par an à magasins comparables. Depuis mars 2020, nous sommes en décroissance. Cela reste une quote-part extrêmement intéressante sur le magasin et un marqueur très fort de notre réseau et de notre enseigne (réduction de l'impact sur l'environnement). Nous allons donc continuer à le pousser. La perte de vitesse du vrac n'est que conjoncturelle.
Quels sont vos engagements dans l'assortiment de vos produits en circuit court ? Privilégiez-vous les producteurs et les transformateurs localisés en France et à quel pourcentage ?
La France représente 89% de nos fournisseurs. Nous sourçons à l'étranger les produits non présents: des fruits et légumes suivant la saison ou des produits spécifiques (articles vegans plus étoffés en Allemagne). En rajoutant l'Espagne et l'Italie, nous sommes à 95% de notre approvisionnement. Pour le local, notre ambition est d'être à 10% de l'offre par magasin, en ayant une alternative sur tous les rayons, d'ici la fin de l'année. Néanmoins, nous resterons le partenaire des marques nationales.
Vous souhaitez mettre l'accent sur des grands formats en périphérie des villes, pourquoi ce choix ?
En centre-ville, nous restons le leader incontesté. Notre expansion se fera donc en périphérie. Même si nous allons continuer à mailler les centres urbains, il ne s'agit pas de les abandonner.
Vous avez indiqué que vous continuez à regarder d'éventuelles opportunités, à quoi pensez-vous ?
Le marché de la bio spécialisée reste un marché à deux vitesses, avec des leaders en forte croissance et des enseignes en plus grande difficulté. Nous sommes l'enseigne à la plus forte croissance. Aussi, nous sommes intéressés par le rachat d'entreprises volontaires (l'enseigne a racheté 15 magasins du réseau Salej /Bio & Sens dans le sud et l'est de la France fin avril, NDLR) ou le ralliement d'indépendants souhaitant bénéficier d'une centrale efficace tout en conservant leur liberté.
Quelles innovations dans le retail vous semblent intéressantes ?
Nous adoptons les plus pertinentes. Nous avons installé des caisses automatiques pour fluidifier l'encaissement. L'objectif n'est pas de réduire le personnel mais d'apporter plus de services au client. Nous investissons néanmoins davantage sur l'expérience client en magasin que sur les technologies. C'est un parti pris.
Quelles sont les ambitions de cette année ?
Nous poursuivons notre expansion avec l'ambition d'avoir au moins 30 nouveaux magasins en 2021. Nous voulons encore progresser en NPS (55 en fin d'année dernière). Nous avons lancé notre nouveau plan stratégique nommé RILI: Réduction [de l'impact environnement], soit la réduction des emballages et la promotion du végétarien; Innovation (20% de l'assortiment renouvelé chaque année) ; Local et Investissement prix (250 promotions par mois, programme de fidélité généreux et 450 produits très bas par rapport au marché). Parmi les objectifs de RILI, nous souhaitons réaliser à terme 35% du chiffre d'affaires avec des produits sans emballage et 10% avec notre offre de produits locaux. Autre engagement fort de Naturalia, ne plus accepter de fournisseurs qui ne pratiquent pas l'emballage vertueux.
Son parcours
Né en 1978, Allon Zeitoun est diplômé de l'école Centrale de Paris et de l'Université Polytechnique de Catalogne, en Espagne. Fort d'une expérience de dix ans en consulting stratégique acquise auprès de cabinets (Boston Consulting, Accenture), Allon Zeitoun se lance dans l'entreprenariat en 2013 en créant des entreprises dans le secteur du bien-être (Laboratoires Legan, La Minute Papillon).
Début 2017, il rejoint l'enseigne de produits bio Naturalia au poste de directeur du réseau. En décembre de la même année, il succède à Franck Poncet au poste de directeur général.
Début 2021, il devient parallèlement président du syndicat national des distributeurs spécialisés en produits bio (Synadis Bio).