Frédéric Duval (Amazon France) : "La crise sanitaire a démontré l'intérêt de l'e-commerce en France"
Publié par Dalila Bouaziz le | Mis à jour le
Très présent dans les médias après les nombreuses polémiques de sa société, le P-dg d'Amazon en France, Frédéric Duval, revient sur les récentes actualités concernant son entreprise et sur l'e-commerce en France. L'occasion également de faire le point sur les activités et engagements d'Amazon.
Comment avez-vous vécu les attaques et polémiques concernant votre société ces dernières semaines ?
Je les ai prises comment elles venaient. Je n'ai pas à commenter ce que disent les uns et les autres. Néanmoins, j'ai pu constater que certains utilisaient notre société comme porte-voix pour faire passer leurs idées, leurs thèses ou leurs partis politiques. Nous préférons nous concentrer sur nos clients, les entrepreneurs français... et être un support pendant cette période du Covid à tous les Français partout où ils se trouvent sur le territoire. Les petites phrases ne nous intéressent pas.
Vous mettez en avant les emplois créés, le fait de payer des impôts en France pour autant cela ne semble pas convaincre vos détracteurs ?
Amazon en France a aujourd'hui une certaine taille et contribue à l'économie française via l'emploi de 130 000 personnes, de façon directe ou indirecte. Nous sommes fondamentalement une entreprise française. Par ailleurs, on nous questionne sur la façon dont nous traitons nos salariés. Récemment, une étude mondiale de l'entreprise Forbes indique que nous sommes le 2e meilleur employeur au monde, néanmoins, ce type d'informations n'est pas relayé...
À ce sujet, vous aviez dû fermer vos entrepôts lors du premier confinement (après que la justice a été saisie par l'un des syndicats en raison de conditions de travail qui ne leur permettaient pas de respecter les consignes de sécurité d'usage), où en êtes-vous aujourd'hui en termes de dialogue social sur les conditions de travail et de sécurité ?
Lors du premier confinement, nous avions dû suspendre l'activité de nos six centres de distribution en raison d'une procédure formelle de consultation. Nous avions préféré agir vite pour la sécurité de nos salariés plutôt que de lancer une consultation qui aurait été longue. Depuis, nous consultons très régulièrement nos salariés et nous avons signé un accord de méthode afin de faire en sorte que le processus de discussion soit les plus rapide et efficace possible pendant cette pandémie. Nous avons également revu 150 process différents pour adapter nos méthodes de travail durant cette période, les procédures sanitaires comme les règles de circulation dans le bâtiment pour respecter la distanciation sociale... Nous travaillons main dans la main avec les agences de santé, les inspections du travail, etc.
Quels enseignements tirez-vous de la crise actuelle en matière de réorganisation et de souplesse ?
La crise sanitaire a démontré l'intérêt de l'e-commerce en France, et d'Amazon en particulier, en termes de services. Notre société a également prouvé son caractère essentiel dans l'aide pour les entreprises qui ont besoin de continuer à vendre durant cette période difficile. Nous avons mis en place un accélérateur du numérique depuis le début du confinement, renforcé à la mi-décembre. L'objectif est d'aider les entreprises à se lancer sur le digital via des réductions de frais mensuel, des accompagnements personnalisés, car ce canal est un levier de croissance pour les PME françaises. Près d'un millier d'entre elles nous a rejoints.
Aujourd'hui, 11 000 sociétés vendent sur notre site.
Comment s'est déroulée cette année pour Amazon en France ?
2020 est une année particulière, extrêmement mouvementée. Nos clients, les entrepreneurs français, ont réalisé l'importance de vendre en ligne. Pour notre société, le bilan est plutôt positif. Nous avons connu une croissance de 40-50% durant le dernier confinement. Notre succès est aussi celui des marchands tiers, six unités sur dix sont vendues par ces derniers. La vente en ligne a connu un franc succès cette année.
Selon vous, qu'est-ce qui différencie l'e-commerce français des autres pays ?
Je ne perçois pas de véritable différence, si ce n'est que la France, par rapport à d'autres pays, est en plus en retard dans sa digitalisation. En Allemagne, 70% des commerces sont digitalisés quand la France ne dépasse pas 30%. C'est tout l'enjeu de notre travail avec le gouvernement, nos partenaires, car il s'agit d'un formidable relais de croissance.
Qu'avez-vous pensé de ces débats sur le commerce en ligne en France ?
Ces débats sont les résultats d'une méconnaissance de l'impact de l'e-commerce en France sur le commerce en général. Une étude publiée en février dernier (Oxatis, Fevad et Kedge Business School) indiquait qu'un site e-commerce permettait une augmentation de 14% du chiffre d'affaires du magasin pour un marchand. 89% de ces entreprises déclarent que leurs activités en ligne et en magasin sont complémentaires. Le tissu des entrepreneurs français croit au digital et souhaite y aller. Nous devons leur donner les moyens de se lancer.
Jeff Bezos a promis un objectif zéro émission de gaz à effet de serre pour 2040, quel est l'engagement d'Amazon à l'échelon français ?
Au niveau global, nous venons d'annoncer un fonds de 2 milliards de dollars afin de développer toutes les initiatives de solutions zéro carbone. Plus concrètement, tous les bâtiments, que nous installons en France, utilisent très peu l'artificialisation des sols. Les normes d'installation sont aussi en adéquation avec les normes environnementales Breeam (Building Research Establishment Environmental Assessment Method). Nos émissions sont très liées à la livraison du dernier kilomètre, par rapport aux autres retailers, nous allons jusqu'au domicile du client pour le livrer. Cette émission reste plus efficiente que si nous demandions à chaque client de récupérer sa commande en magasin. Néanmoins, pour réduire notre empreinte environnementale, nous passons à des véhicules propres dans certains centres urbains comme Toulouse, Lille, ou Strasbourg. Nous prévoyons d'étendre notre capacité de recharge existante dans les prochains mois avec l'installation de plus de 400 nouvelles bornes de recharge pour nos employés et chauffeurs dans nos stations de livraison.
Où en est Amazon dans l'e-commerce alimentaire ? Quelles sont les ambitions ?
Dans l'alimentaire, nous avons développé notre service "Prime Now" disponible pratiquement dans toute la région parisienne mais aussi dans les villes de Lyon, Marseille, Nice, Bordeaux et leurs environs. Nous avons développé ce partenariat avec une grande entreprise française qu'est Monoprix. Nous livrons en 2h.
L'arrivée d'Amazon Fresh en France est-elle possible ?
Aujourd'hui, ce n'est pas la direction qui est prise. Pour le moment, nous sommes très contents de développer l'e-commerce alimentaire avec Monoprix.
Comment expliquez-vous le succès d'Amazon Prime ?
Nous avons toujours mis au coeur de notre stratégie les besoins et attentes de nos clients. Les consommateurs aiment avoir le choix, bénéficier d'une sélection très large (plus de 300 millions d'articles sur le site), des prix bas et être livrés rapidement. Prime rend gratuit?e la livraison rapide sur tout le territoire et comprend aussi un bouquet de vidéos à la demande (séries, films, etc.) avec Prime Video.
Comment voyez-vous les fortes ambitions d'Alibaba et de Rakuten en France ?
Chez Amazon, nous n'essayons pas de regarder ce que font les autres. Cela n'a jamais été la philosophie de notre société. Nous restons focalisés sur notre stratégie : servir le client avant tout.
L'an dernier, le rapport de l'Inspection générale des finances indiquait que 98% des e-commerçants présents sur les marketplaces n'étaient pas immatriculés à la TVA en France, qu'en est-il de vos vendeurs ?
Nous soutenons Bercy et travaillons activement avec pour améliorer la récolte de la TVA. Il est important de rappeler que ce sont des entreprises tierces, qui font ce qu'elles veulent, et utilisent nos services pour vendre et trouver des consommateurs. Elles sont donc indépendantes et c'est donc de leur responsabilité de payer leurs impôts, TVA... Nous n'avons pas aujourd'hui les moyens juridiques de ?le leur imposer. En revanche, nous mettons tout en oeuvre pour qu'elles connaissent leurs obligations (formations, dispositifs de ressources en ligne...), nous allons jusqu'à prendre en charge la première année l'inscription et la déclaration (environ 2400 euros par vendeur tiers). Nous faisons donc en sorte de les inciter financièrement. La nouvelle réglementation nous permettra d'être en mesure de collecter pour leurs comptes et de reverser à l'État.
Quels sont les derniers services proposés aux clients français ?
Dans le gros équipement, aussi bien pour les produits vendus par Amazon que par nos marchands tiers, nous avons la possibilité de faire livrer au pied du domicile ou dans une pièce au choix. Nous avons lancé le Programme de Dons Expédié par Amazon. Nous avons des cycles de recyclage et de traitement de nos produits invendus, retournés, en propre mais le service n'existait pas pour les vendeurs tiers (NDLR : La loi sur l'économie circulaire votée en janvier dernier interdit la destruction de produits invendus). Ils peuvent ainsi bénéficier de ce service et automatiser les donations aux associations.
La Commission européenne a ouvert deux enquêtes contre Amazon : la première sur l'abus de position dominante liée à la collecte de données des vendeurs tiers utilisée pour les concurrencer et la deuxième sur le favoritisme supposé des vendeurs qui utilisent les services logistiques d'Amazon. Quel est votre positionnement ?
Ce sont des enquêtes préliminaires. Nous sommes bien évidemment en contradiction avec ces informations. Nous allons démontrer à la Commission Européenne que nous ne sommes en aucun cas dans l'exploitation des données de nos marchands tiers pour faire prospérer notre business. Pour preuve, le pourcentage des volumes d'affaires avec nos marchands tiers réalisés entre 2003 et 2019 passe de 3 à 58%. Aucune entreprise en Europe, en dehors d'Amazon, ne pousse 150 000 TPE-PME à se développer. On nous parle d'hégémonie : le commerce de détail représente 600 milliards d'euros en France et nous n'avons qu'1% de part de marché. Et c'est aussi le cas en Europe et dans le monde. Concernant la deuxième accusation, sur un produit donné, nous pouvons en effet avoir plusieurs vendeurs tiers qui le proposent. Aussi, nous mesurons la meilleure expérience pour le client et c'est ce qui va déterminer la priorité de l'offre sur le site.
Vous êtes depuis 14 ans au sein d'Amazon, et depuis 5 ans à sa tête, quelles sont les grandes évolutions que vous avez observées ? Comment voyez-vous le futur du commerce en ligne ?
Les clients veulent du choix et cela sera toujours le cas dans l'avenir. Les consommateurs sont à la recherche de prix bas et l'incertitude dans laquelle nous vivons va encore renforcer cette volonté. Les clients ne sont jamais pleinement satisfaits?, aussi, ils vont continuer à nous pousser à innover pour que les services soient toujours plus faciles pour eux : plus de choix, plus de prix bas, plus rapidement tout en étant " green ".