[Focus] L'e-commerce en Russie à la loupe
Publié par bpost International le - mis à jour à
bpost International, spécialiste des solutions de livraison à l'international à destination des e-commerçants, partage sa dernière étude pays en exclusivité avec les lecteurs d'E-commerce Magazine. Cap sur la Russie.
La Russie est le pays de tous les superlatifs. Ses frontières sont partagées avec 14 pays, la population s'élève à 141 millions d'habitants, le taux de chômage est estimé à 5,7 % (bien en-dessous de la moyenne européenne de 11 %), et le taux de pénétration d'internet qui ne s'élève encore qu'à 50%, soit la plus grande communauté en ligne du continent européen composée à l'heure actuelle de 71 millions d'internautes. 48 millions d'entre eux n'ont jamais effectué d'achat en ligne, pour autant, la croissance de l'e-commerce estimée est de 50% en 2013.
Des chiffres, qui séduisent de nombreux acteurs européens qui entendent bien avoir leur part du gâteau. Encore faut-il savoir comment s'y prendre et se faire sa place dans ce pays aussi vaste que complexe, en pleine transition d'un modèle centraliste et socialiste vers un modèle économique orienté sur le marché.
L'e-commerce n'est pas encore totalement démocratisé en Russie, et les achats en ligne sont significativement plus répandus au sein des ménages ayant des revenus plutôt élevés. En règle générale, l'e-shopper russe type est de préférence instruit et féru de technologie. Le shopping en ligne a tendance à être plus populaire chez les femmes (64%) que chez les hommes (36%), et l'âge moyen est de 44 ans. Le panier d'achat annuel moyen était de 515€ en 2012 et les estimations pour 2013 annoncent une augmentation à 596€. Le Russe consacre 60% de ses revenus avant impôt au shopping, c'est d'ailleurs le taux le plus élevé d'Europe. Il y a un contexte favorable à cela, puisque les frais de logement y sont relativement bas, on y trouve un système de soins de santé socialisé et un impôt sur le revenu forfaitaire de 13%. Les catégories les plus achetées sont les bien électroniques, les vêtements et acces- soires, et les pièces détachées automobiles.
Les attentes des e-shoppers russes
La maitrise de l'anglais n'étant pas largement répandue, les Russes s'attendent donc à trouver des sites marchands dans leur langue. En termes de livraison, la majorité des Russes s'attend à recevoir ses achats entre 7 et 10 jours après commande. Les Russes attachent encore beaucoup d'importance au fait d'acheter " à des êtres humains ", ou du moins de pouvoir compter sur un contact en cas de plainte. En attestent les investissements conséquents des sites importants comme Ostrovok et Ozon dans leurs call centers, afin d'apporter cette touche humaine indispensable pour les consommateurs. Il est donc conseillé de rassurer les e-shoppers par la mise en évidence, sur la homepage, des informations services clients et call center. Dernière caractéristique, l'e-shopper russe est très peu loyal.
L'usage fortement répandu du paiement cash et à la livraison
Pour diverses raisons, les Russes préfèrent encore dans une large majorité payer en espèces et uniquement lorsqu'ils ont leur commande entre les mains. Parmi ces raisons on retrouve tout d'abord la relative précarité de la chaine de livraison en Russie (on reviendra sur cet aspect dans notre analyse du marché), il est en effet encore relativement fréquent que les paquets n'arrivent pas à destination ou soient perdus dans la masse. Ensuite les e-shoppers ressentent souvent un manque de transparence par rapport à la disponibilité réelle du produit, ce qui engendre parfois un long temps d'attente de la commande. Les paiements via des kiosques automatiques ou à des points relais sont également largement répandus.
La taxe à l'importation est, pour le moment, encore relativement favorable pour les exportateurs étrangers, elle ne s'applique pas pour les achats inférieurs à 1 000 euros (le calcul étant effectué sur une base mensuelle). Mais il faut préciser que ce palier est en cours d'examen par le gouvernement, ce qui risque d'aboutir à un changement imminent, et que les contrôles sont assez fréquents et stricts. La balance actuelle affiche entre 10 et 15% des ventes totales e-commerce en Russie provenant d'un site étranger.
En outre, historiquement, les commerçants russes avaient la réputation d'être des fraudeurs. Ceci explique pourquoi les consommateurs russes ont une propension à faire davantage confiance à des commerçants étrangers. Comme pour leurs homologues dans les autres pays émergents, internet est également la possibilité pour les Russes de se procurer des produits à la fois exotiques et difficiles à trouver localement.
Le privilège du marché local
Cependant, malgré ces principes a priori favorables aux commerçants internationaux, la carte de l'e-commerce russe est aujourd'hui encore fortement dessinée aux couleurs russes. Le paiement et le marketing favorisent les achats locaux. En effet, 70% des achats sont payés à la livraison, et les résultats des recherches sur Yandex (qu'on qualifiera de Google à la sauce russe) favorisent les entreprises locales et les sites traduits en russe.
Quant à Google, il ne possède que 27% de parts de marché contre les 61% de Yandex. Les médias sociaux utilisés sont également les versions locales de ceux qu'on retrouve ailleurs puisque c'est Vkontakte qui, avec 31% de parts de marché, devance largement Facebook et ses 5,2% qui représentent 7,4 millions d'habitants en Russie. Même Amazon n'est pas encore officiellement implanté en Russie. La place de numéro 1 de l'e-commerce local revient à Ozon.ru. eBay est certes présent, mais doit faire face à la concurrence de Molotok.ru.
Un défi logistique de taille
Un pays de plus de 17 millions de kilomètres carrés, traversé par 9 fuseaux horaires, représente en soi un sérieux challenge logistique. Il faut ajouter à cela la lenteur, le manque de fiabilité et les tarifs élevés des services postaux locaux. Les acteurs alternatifs quant à eux ne sont guère plus abordables. L'Index de Performance Logistique (le LPI) qui mesure les infrastructures logistiques à l'échelle internationale a classé la Russie 95ème sur 155 pays.
Les e-shoppers attachent d'ailleurs de l'importance au fait d'avoir des options de livraison alternatives, pour 8 sur 10 d'entre eux c'est même crucial comme information avant qu'ils décident d'effectivement acheter dans un webshop donné. Au cours de l'année 2012, sur les 108 millions de colis livrés à travers la Russie, la moitié d'entre eux étaient livrés par des compagnies alternatives au réseau postal.
La problématique de la livraison touche particulièrement les " régions ", qui consistent en tout ce qui n'est pas couvert par les zones du métro de Moscou ou de Saint-Petersbourg. Bien qu'initialement la majorité du volume des commandes e-commerce vienne d'e-shoppers habitant Moscou ou Saint-Petersbourg, ceci commence toutefois à changer.
A ce titre il est intéressant de revenir sur le cas d'Ozon, qui est qualifié de "l'Amazon russe", dont le business modèle est en effet proche de celui du géant international, et qui a développé son réseau logistique complet. Le faible taux de pénétration des cartes de crédit a contraint des compagnies comme Ozon et KupiVIP à bâtir leur propre flotte avec leurs propres camions de livraison au sein desquels les chauffeurs encaissent l'argent lors de la livraison des marchandises. KupiVIP va même jusqu'à proposer d'attendre jusqu'à ce que le réceptionnaire essaie les achats et, le cas échéant, procède au retour immédiat si celui-ci ne convient pas.
Il faut donc avoir des ambitions solides pour décider de s'attaquer au marché russe. Les grands acteurs présents répondent à ce défi logistique en mettant en place leur propre réseau de livraison, initiative indispensable quand on sait qu'en 2012 la proportion des achats en ligne était à 80% en faveur des produits, contre uniquement 20% pour les services.
L'alimentaire, un marché à surveiller
Comme indiqué précédemment le numéro un du top e-tailer est un site d'épicerie. Citons également " Delivery Club ", un service de livraison alimentaire basé dans la capitale, qui couvre déjà 18 grandes villes en Russie et 22 villes de la région de Moscou, et qui annonce continuer son expansion vers les autres régions. Cette start up fondée en 2009 en mettant en commun près de 2000 services de livraison de nourriture indépendants, gère approximativement 7000 commandes par jour, sur lesquelles ils prennent une commission de 10% à chaque commande.
Le site a un revenu mensuel de près de 8 millions d'euros et affichait récemment une croissance annuelle de 300%. Parmi ses concurrents Delivery Club compte Foodik.ru, un site qui a fusionné avec l'allemand Delivery Hero l'année dernière. Certains experts estiment les revenus de la livraison alimentaire russe à près de 700 millions d'euros avec des potentiels de développement encore conséquents pour les prochaines années.
Mais ce n'est pas parce que le secteur est florissant que la réussite y est garantie, en 2012 le site Izrestorana.ru, lancé par les Turcs de Yemeksepeti.com a dû cesser ses activités.
L'e-commerce russe est en train de vivre un véritable boom. Cette explosion entraine une croissance fulgurante dans tous les domaines qui touchent le shopping en ligne, mais c'est principalement la résonnance internationale de cette croissance que nous retiendrons.
Un pouvoir de séduction incroyable
Pour les différentes raisons évoquées tout au long de notre analyse, nous voyons que l'attractivité de la Russie dans les yeux des acteurs internationaux est impressionnante. Ce sont principalement les habitants des grandes villes qui constituent ce pôle d'attraction. En raison des considérations logistiques citées, d'une part, mais également du fait de la forte concentration de pouvoir d'achat que l'on y retrouve. Aujourd'hui il y a désormais davantage de milliardaires moscovites que de milliardaires à Manhattan.
Cependant il faudra tenir compte du fait que, contrairement à leurs homologues baptisés BRIC (acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine), la Russie est dotée d'une difficulté linguistique supplémentaire. En effet, les businessmen Chinois ou Indiens parlent anglais, ce qui n'est pas le cas des hommes d'affaires russes. Bien que les choses évoluent rapidement, à l'heure actuelle seuls 12% des Russes parlent anglais.
Les acteurs internationaux se bousculent au portillon
Conscients de l'énorme potentiel que recèle la Russie, de plus en plus d'acteurs internationaux vont s'implanter en Russie. ebay et PayPal en avaient déjà fait leur priorité et ils sont nombreux à leur emboîter le pas. En 2012 déjà les Russes avaient acheté pour plus de 287 millions d'euros de marchandises sur ebay. Asos a lancé son expansion vers les marchés émergents en 2013 en commençant par la Russie.
Connaissant le taux encore faible des " marchandises non-physiques " et les problèmes logistiques évoqués, il se pourrait que ce soit là-dessus que misent des acteurs comme Amazon pour se faire leur place en Russie, en y poussant des offres comme les Kindle.
Soulignons qu'il semblerait que ces barrières logistiques, de nombreuses fois reprises dans notre analyse, ne soient pas une fatalité et qu'une prise de conscience locale soit en cours.
Sources :
- Eastern Europe B2C E-commerce Report 2013
- http://www.commercecrossingborders.com/2013/04/russias-ecommerce-growth-bares-watching.html
- http://resources.pbecomm.com/global-ecommerce-blog/the-brics-and-beyond-growing-international- online-sales-in-key-emerging-ecommerce-markets/
- http://www.borderfree.com/global-insights/ecommerce-in-russia-borderfree-country-report
- http://www.themoscowtimes.com/business/article/russian-post-pledges-increased-efficiency/483978.html
- East-west Digital consulting, executivesummary e-commerce in Russia
- http://techcrunch.com/2013/04/19/amazon-is-finally-setting-up-shop-in-russia-says-report/
- http://www.ewdn.com/2013/12/18/delivery-club-secures-8-million-from-phenomen-ventures- addventure-and-guard-capital/
- http://www.stores.org/STORES%20Magazine%20June%202013/asos-turns-international-markets-propel-growth