[Tribune] Le ship-from-store ou comment le magasin devient entrepôt
Publié par Par Jérôme Libeskind, expert en logistique urbaine et e-commerce le - mis à jour à
Pour réduire les délais de livraison tout en maîtrisant les coûts, le ship-from-store est une tendance qui a le vent en poupe. Le magasin devient alors lui-même un entrepôt, offrant en quelque sorte une revanche des brick & mortar sur les pure players.
La livraison B to C n'est pas un service homogène. Elle répond à des besoins qui diffèrent sensiblement suivant l'attente du consommateur. De plus en plus, la livraison est un élément différenciant intégrée dans l'offre marketing de l'e-marchand.
L'e-consommateur achète sur internet un produit, mais également le service qui l'accompagne. Le principal service est la solution de transport lui permettant de recevoir ce produit. Dans ce domaine, nous ne sommes plus du tout dans l'ère de la pensée unique, même si les offres attractives de livraison gratuite ou à 1 centime pourraient permettre de le croire.
Le consommateur peut recevoir ce produit chez lui, sur son lieu de travail ou de vacances, dans un point relais, dans une consigne automatique, dans un magasin physique de la marque achetée (le click & collect). Il a ensuite le choix du délai, de l'existence ou pas d'un rendez-vous, de l'horaire (y compris le soir), du jour de la semaine ou du week-end...
Plus que jamais, l'e-consommateur achète une solution complète en fonction du service qu'il souhaite. Cette solution intègre nécessairement la fonction du transport du dernier kilomètre.
Les différentes tendances qui nous viennent des Etats-Unis et, comme souvent, traversent l'Atlantique avec quelque décalage, montrent une exigence accrue de l'e-marchand sur ce service de livraison avec une volonté de réduire le délai et l'existence d'un segment de consommateurs ou d'expériences d'achat fondées sur la livraison jour J. Le M-commerce est sans aucun doute un vecteur de cette attente de rapidité de livraison du consommateur.
Acheter le matin et être livré le soir devient ainsi un enjeu majeur. Même si un tel service nécessite une mise en oeuvre opérationnelle parfois complexe, il est tout à fait réalisable pour un e-marchand dont l'entrepôt est situé de façon peu éloignée du bassin de consommation concerné par ce service. Ainsi, un e-marchand dont l'entrepôt est situé à 10 ou 20 km de Paris peut proposer ce service sur Paris et la première couronne, voire un périmètre un peu plus large. Si le cut-off est à 12h, il dispose alors de 2 à 3 heures pour préparer les commandes, puis les acheminer vers un quai de distribution situé très proche de la zone de livraison, qui effectuera les livraisons en soirée, éventuellement sur créneau horaire de livraison. Le process ne déroge pas avec la préparation de commande classique mais est géré suivant un cheminement accéléré.
Mais bien évidemment, le circuit logistique global ne peut pas être réduit de façon substantielle et ne peut pas, sauf à coût élevé nécessitant alors un entrepôt dans chaque ville, s'appliquer à l'échelle d'un pays, ou au moins de ses zones urbaines importantes. La solution pour réduire ce délai tout en maîtrisant le coût global est alors le ship-from-store. Le magasin devient lui-même un entrepôt. C'est la revanche des brick & mortar sur les pure players. Les brick & mortar ont certes des coûts de gestion et d'immobilier élevés, mais ils ont sur le territoire autant d'entrepôts, de fulfillment centres que de magasins, donc souvent un maillage très fin permettant autant de possibilités d'approvisionnement de clients en un temps réduit!
Pour un groupe de distribution disposant d'un réseau de magasins étendu sur l'ensemble de son territoire, partir du magasin et non plus de l'entrepôt permet de réduire le délai, et apporte une souplesse. De nombreux groupes de distribution aux Etats-Unis ont ainsi décidé de livrer les commandes e-commerce à partir des magasins et non d'un entrepôt central. C'est par exemple le cas de Best Buy, chaîne de 1400 magasins aux Etats-Unis, qui a annoncé une augmentation de 29% de son chiffre d'affaires e-commerce depuis que le ship-from-store et par là même la réduction des délais de livraison a été mis en place. Ce process lui apporte un avantage majeur par rapport à Amazon, qu'il considère comme son concurrent principal. Wallmart, avec ses 4000 magasins, pense également par ce moyen avoir trouvé là la solution pour concurrencer efficacement Amazon sur la problématique du délai de livraison.
La livraison jour J est l'enjeu qu'a décidé de relever l'entreprise américaine Deliv, qui propose aux enseignes de centres commerciaux le service de livraison Jour J en apportant une application permettant au commerçant de gérer directement les relations avec son client. Autre particularité de Deliv, les livreurs sont des particuliers et pas des livreurs professionnels. Deliv est une des entreprises qui s'est engagée le plus loin dans le delivery crowdsourcing, proposant à des particuliers d'effectuer les livraisons à d'autres particuliers. Deliv est ainsi une plate-forme de mise en relation d'acheteurs et de livreurs. Elle optimise les transports en recherchant le livreur le plus proche du magasin.
Mais l'e-commerce a cette particularité de permettre au consommateur d'exiger sans limite ou presque une amélioration du service. Ainsi, un des enjeux est de pouvoir répondre à la demande déjà très significative aux Etats-Unis et émergente en Europe de consommateurs qui souhaitent être livrés " immédiatement ", comme lorsque nous commandons une pizza. J'achète sur internet une bouteille de champagne, un parfum, un livre ou un vêtement et je l'attends " immédiatement ", au maximum sous une heure ou deux. Autre contrainte, le consommateur accepte de payer la livraison, mais n'accepte pas un prix élevé, comme pour la pizza...
C'est le modèle choisi par Google Shopping Express, Postmates, Uber Rush ou Shutl. Pour permettre cette livraison en un délai très court, il faut réunir trois paramètres. Tout d'abord, le magasin doit être structuré pour préparer des commandes urgentes et une solution de backup doit être organisée avec un autre magasin de l'enseigne en cas de rupture de stock (produit prélevé par un acheteur physique, erreur d'inventaire, etc.). Le second paramètre est le livreur. C'est nécessairement un coursier, particulier si la législation du pays le permet (aux Etats-Unis notamment) ou professionnel. Il doit être formé à un service parfait, dans un temps très réduit. Il peut se déplacer à pied (transports en commun), à vélo ou en voiture. Le troisième paramètre est l'application informatique qui permettra à partir d'une large base de données de trouver le coursier le plus proche, éventuellement celui qui est le plus " écologique ", de profiter éventuellement d'un trajet existant et d'optimiser le délai. Le tout doit être effectué pour un coût également très contraint.
En France deux start-ups se sont positionnées sur ce segment émergent, Deliver.ee et Colisweb.
Deliver.ee, dirigée par Romain Libeau, s'adresse à deux types de clients : les commerces de proximité qui vendent en ligne (en direct ou via une place de marché) et les retailers, qui disposent d'un réseau de magasins et bien évidemment d'un fonctionnement omnicanal. Cette start-up est déjà présente dans les dix plus grandes villes françaises et peut ainsi apporter une offre géographique très large. Les transporteurs choisis sont exclusivement des professionnels, soit des indépendants qui étaient pour nombre d'entre eux sous-traitants de sociétés de transport plus importantes, soit des entreprises spécialisées dans la course, de toutes dimensions. Deliver.ee a pour clients différents commerces et retailers dont 5àSec. Deliver.ee se distingue des transporteurs traditionnels par deux arguments de poids. Tout d'abord une application web et mobile pour les petites et moyennes entreprises, permettant de commander une livraison de proximité à l'instar d'Uber Rush et une plus complète permettant de gérer des tournées de livraison. Deliver.ee a une démarche environnementale très marquée privilégiant les véhicules écologiques, mais aussi basée sur un modèle qui consiste à utiliser des véhicules qui sont déjà en activité dans les villes, en quelque sorte sur le principe du covoiturage.
Colisweb, fondée par Remi Lengaigne, a été créée à Lille en début 2013. Son objectif est de livrer le consommateur en moins de 2 heures ou sur rendez-vous. Colisweb propose ainsi ces deux offres aux e-marchands. L'application mobile utilisée est fondée sur les mêmes principes que celle d'Uber en privilégiant la proximité, mais aussi la notation des coursiers et le mode de transport écologique (vélo ou vélocargo par exemple). Colisweb a étendu son offre à une partie importante du territoire français et est présent, outre Lille, à Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes, Marseille, Montpellier, Lyon et Toulouse. Colisweb travaille avec différentes grandes enseignes notamment Leroy Merlin, Norauto, Guy Degrenne, Cafés Meo et livre des colis de moins de 30 kilos. Pour Remi Lengaigne, " le ship-from-store permet de faire évoluer le métier du coursier mais également d'apporter aux e-marchands un service nouveau et personnalisé de livraison en un délai de moins de deux heures, répondant ainsi aux demandes des clients ".
Par l'exigence de délai du consommateur, le ship-from-store devient ainsi une solution qui trouve sa cohérence économique et environnementale. Le modèle Uber, adapté au transport de personnes, trouve avec ces différentes expériences outre-Atlantique et maintenant en Europe une réalité adaptée aux besoins de l'e-commerce. Plutôt que d'imposer une forme de livraison au client, il se fonde sur le besoin du client : un délai, un prix, une solution personnalisée.
Un autre avantage essentiel du ship-from-store est de prendre le contre-pied de ce qui est souvent reproché à l'e-commerce, en l'occurrence détruire le commerce de proximité. Le ship-from-store permet tout au contraire d'aider le commerce de proximité à apporter sur internet une offre attractive sur le plan du service et innovante.