[Etude] Focus sur l'impact du Covid-19 sur les stratégies d'approvisionnement
Publié par Dalila Bouaziz le - mis à jour à
La crise sanitaire a considérablement accentué la pression qui pesait déjà sur les distributeurs en révélant au grand jour les faiblesses de leurs chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale. Ils pourraient rapidement relocaliser 5 milliards d'euros d'activités en France.
Dans sa nouvelle étude en partenariat avec Retail Economics, Alvarez & Marsal (A&M) révèle que la production de biens de consommation pour une valeur de près de 5 milliards d'euros pourrait être relocalisée en France au cours des 12 prochains mois, ce qui représenterait une hausse très significative de la production française durement touchée par les conséquences économiques du Covid-19.
À l'échelle européenne, ce sont près de 27 milliards d'euros qui pourraient être relocalisés au cours des 12 prochains mois, soit environ 3,6% du total des importations actuelles du secteur de la distribution dans les 6 pays étudiés (Royaume-Uni, Italie, Espagne, France, Allemagne et Suisse).
Réexamen de la chaîne d'approvisionnement
La crise sanitaire a considérablement accentué la pression qui pesait déjà sur les distributeurs en révélant au grand jour les faiblesses de leurs chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale (dépendance à l'égard d'un pays d'origine, nombre insuffisant de fournisseurs voire fournisseur exclusif, recours au " juste-à-temps "). Confrontés à un bouleversement brutal et massif de l'offre et de la demande, près des trois quarts (70%) des 30 plus grands détaillants européens affirment donc avoir procédé à un réexamen de leur chaîne d'approvisionnement en raison de la pandémie qui a agi comme un véritable catalyseur.
En réponse à la crise, plus de la moitié des distributeurs interrogés (55%) ont déjà commencé à diversifier leur sourcing et 29% prévoient de le faire au cours des 12 prochains mois. Nous assistons à une montée en puissance de l'"on-shoring" : 46% des distributeurs disent déjà s'approvisionner sur leurs marchés nationaux et 39% prévoient de le faire encore davantage à l'avenir.
Parmi les autres mesures d'adaptation choisies par les distributeurs pour faire face à la crise figurent la réduction de leurs gammes de produits (30%), le passage au " nearshoring " (23%), la diversification des pays d'approvisionnement (15%) et l'augmentation des stocks (5%).
Leur objectif est bien de concevoir des chaînes d'approvisionnement plus courtes, plus simples, plus flexibles et plus résilientes, capables de faire face à une nouvelle crise de la demande et plus adaptées aux nouveaux besoins des consommateurs. On note un écart entre les secteurs agroalimentaires non-alimentaire, le premier ayant révélé une plus grande flexibilité dans le changement de ses fournisseurs ou de pays d'approvisionnement.
Les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) pour des chaînes logistiques plus durables
La prise en compte de la dimension sociale et environnementale dans la refonte ou la reconstruction de pans entiers de l'économie post-Covid-19 est désormais une exigence et les chaînes logistiques n'échappent pas à ce changement structurel.
Les chaînes d'approvisionnement vont donc être repensées à l'aune de ces critères en raison :
- des incitations gouvernementales : les plans de sauvetage européens et des différents gouvernements encourageront les investissements dans les technologies vertes (cf. Green New Deal européen) ;
- Des comportements des consommateurs qui exigent de plus en plus des produits fabriqués de manière éco-responsable ;
- De la demande croissante de transparence, en particulier de la part des investisseurs, notamment en ce qui concerne les émissions de CO2.
À ce titre, " l'on-shoring ", moins émetteur de CO2 liées au transport, devrait sortir gagnant d'autant que les consommateurs sont prêts à consommer plus local. Les distributeurs étudient donc en ce moment même la manière dont ils pourraient s'approvisionner tout en satisfaisant mieux aux objectifs ESG. Ils sont ainsi 70% à avoir déjà changé leur façon de s'approvisionner dans le but de se conformer aux objectifs ESG et les 30% restants ont prévu de le faire.
Les nouvelles technologies
Dans ce domaine encore, la crisa sanitaire a joué un rôle de révélateur. Les nouvelles technologies ont démontré leur efficacité dans la mise en place de chaînes d'approvisionnement plus résilientes.
Trois principaux éléments vont avoir un rôle déterminant et constituent aujourd'hui des priorités pour l'ensemble des distributeurs :
- Numérisation et fin des processus " papier " => simplification de la relation acheteur-fournisseur en facilitant l'identification, la sélection et le changement de fournisseurs et amélioration de la performance des chaînes logistiques
- Automatisation => amélioration de la rentabilité de la production au niveau local
- Intelligence artificielle => anticipation d'éventuelles perturbations sur la chaîne d'approvisionnement, exploitation des données et identification de nouvelles opportunités, réduction des déchets, cyber-sécurisation des chaînes d'approvisionnement
Parmi les distributeurs européens interrogés, la majorité considère qu'il est essentiel de continuer d'investir dans les nouvelles technologies : 80% veulent d'abord investir dans leur cybersécurité, faisant de ce poste leur priorité numérique, 77% veulent investir dans la numérisation de leur processus, 63% dans leur automatisation et 23% dans l'intelligence artificielle.
Bien qu'elle ait le vent en poupe, la relocalisation reste très dépendante de plusieurs facteurs essentiels. La réalité économique des pays européens où les coûts de production et de main-d'oeuvre sont plus élevés constitue le premier obstacle à l'implantation de chaînes d'approvisionnement locales auquel viennent s'ajouter des capacités de stockage plus limitées, une moindre diversité de fournisseurs et un manque de spécialisation.
Cette relocalisation accrue sera donc plus facile pour certains secteurs de la distribution comme le prêt-à-porter de luxe, l'habitat ou l'agroalimentaire où les marges sont plus importantes. Par ailleurs, certains distributeurs sont toujours en "mode survie" et cherchent avant tout à réduire leurs coûts et à préserver leur position de trésorerie fortement exposée depuis plusieurs mois et encore plus touchée par le deuxième confinement. Pour ces entreprises, la priorité immédiate ne sera pas d'investir pour transformer leurs chaînes d'approvisionnement, les retours sur investissement pouvant parfois être assez longs.
Enfin, le contexte géopolitique mondial impacte la transformation des chaînes d'approvisionnement. Les tensions entre les États-Unis, la Chine et l'Union européenne et la mise en place éventuelle de nouvelles mesures protectionnistes et de nouveaux droits de douanes ont également un impact sur les choix stratégiques des distributeurs. 15% des distributeurs interrogés affirment ainsi avoir déjà été impactés par des mesures commerciales protectionnistes et 69% s'attendent à devoir réaliser des changements sur leur chaîne d'approvisionnement en raison de la montée des tensions sur la scène internationale.
Méthodologie :
Entre le 28 septembre et le 7 octobre 2020, Retail Economics a mené une enquête en ligne et des entretiens téléphoniques auprès de 30 des plus grands distributeurs européens qui lui ont permis de conduire cette étude sur l'avenir des chaînes d'approvisionnement du commerce de détail en Europe. En complément, une enquête par panel de consommateurs a été menée entre le 30 septembre et le 4 octobre 2020 au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en France et en Suisse, auprès de plus de 3 000 ménages.