[Tribune] Distribution automatique : une transformation à l'épreuve du modèle social
Publié par Caroline Luche-Rocchia, avocate associée du cabinet Grant Thornton. le - mis à jour à
L'ouverture à Angers, tous les dimanches après-midi, d'un hypermarché Géant Casino sans aucun caissier, au moyen de caisses automatiques, suscite des interrogations légitimes quant à l'application du droit du travail et les enjeux de gestion des ressources humaines de la grande distribution.
Le développement du e-commerce et la forte concurrence que celui-ci impose aux magasins traditionnels contraint ces derniers à s'adapter afin d'éviter de perdre des parts de marché. À la recherche de solutions en vue de répondre aux besoins d'un consommateur en quête d'une disponibilité permanente des produits, le commerce traditionnel se heurte toutefois de plein fouet à une législation sociale qui peine encore à intégrer ces nouveaux modes de consommation.
Le Code du travail édicte en effet un ensemble de règles qui, pour certains commerçants, ne sont plus de nature à permettre de répondre aux attentes de clients de plus en plus tournés vers les solutions offertes par le commerce électronique. En matière de durée du travail, les textes imposent ainsi un repos hebdomadaire de 24 heures aux salariés des établissements de droit privé qui doit, en principe, être donné le dimanche aux termes de l'article L. 3132-3 du même code.
Certaines dérogations sont prévues par le Code du travail. Il est notamment prévu pour les établissements de vente de denrées alimentaires au détail une dérogation le dimanche matin jusqu'à 13 heures. La loi dite " Macron " du 8 août 2015 a permis à certains établissements de poursuivre leur activité au-delà de 13 heures, mais seulement ceux situés dans des zones géographiques spécifiques (ZT, ZTI).
Le choix opéré par Géant Casino interpelle donc dans la mesure où il permet un contournement de la loi en ayant exclusivement recours à des caisses automatiques et pour seul personnel des prestataires de service. Pour autant, ce système ne fait que s'inscrire dans un contexte concurrentiel de plus en plus intense qui contraint le secteur de la grande distribution à innover mais plus vite que ne le permet le Code du travail. C'est ainsi que les plus audacieux peuvent être tout aussi rapidement rattrapés par notre droit positif par nature inflexible.
L'Inspection du travail du Maine et Loire n'a pas attendu pour effectuer un contrôle à l'hypermarché Casino d'Angers et constater les infractions à l'interdiction d'emploi de salariés le dimanche après-midi concernant le personnel présent (en l'espèce prestataires) donnant suite à une injonction de cesser ces agissements dans les plus brefs délais.
L'évolution des emplois implique une gestion RH renforcée
L'automatisation invite également à s'interroger sur ses conséquences RH en matière de transformation des emplois. En effet, l'automatisation fait émerger de nouvelles compétences et des nouvelles façons de travailler en caisse. La tendance montre une forte complexification des rôles (hôtesse de caisse, administrateur, superviseur), un renforcement des interactions avec le client et une intensification du travail en caisse avec l'utilisation de nouveaux outils technologiques ce qui implique une gestion RH renforcée à plusieurs niveaux. Dans ce contexte, la revalorisation salariale, le recrutement de profils spécifiques pour l'activité visée, la formation ou encore la prévention des risques professionnels, peuvent être des leviers d'évolution pertinents.
L'automatisation n'est pas une innovation purement à des fins de destruction des emplois, elle permet de rendre certains métiers tels que celui de caissier(-ière), connus pour leur pénibilité et leur manque d'attraction, plus riches et valorisants à condition qu'elle soit anticipée et bien organisée. Entre les contraintes légales fortes et le défi lié à la mutation des emplois face à l'automatisation, le DRH est un maillon crucial pour accompagner cette transformation du travail en souplesse et agilité.
Caroline Luche-Rocchia avocate associée du cabinet Grant Thornton Société d'Avocats. Elle est une spécialiste des aspects individuels et collectifs du droit du travail et en conseil RH, en particulier sur les sujets de conduite du changement. Auparavant, elle a exercé au sein des cabinets Bersay & Associés, STC Partners, Dupiré & Associés et Herald (anciennement Granrut).