Cyril Bourgois (Casino) : "D'ici 2021, nous avons l'ambition de doubler les ventes du e-commerce"
Publié par Dalila Bouaziz le | Mis à jour le
Paiement, e-commerce, innovations au sein du Groupe, logistique, commerce conversationnel... le directeur de la stratégie, de la transformation digitale et de l'innovation du Groupe Casino, Cyril Bourgois, revient sur les grands chantiers du distributeur.
Le paiement devient un nouvel axe stratégique des retailers, quelles sont vos dernières actualités sur ce sujet ?
Nous avons accéléré les travaux sur le paiement fin 2017-début 2018, notamment en intégrant dans notre application "Casino Max" un moyen de paiement, c'est-à-dire que le client a la possibilité d'enregistrer une carte bancaire et de la coupler à sa carte de fidélité. Lors de son passage en caisse, le client n'a plus qu'à présenter un code-barres, qui fait aussi bien office de carte de paiement -avec ses différentes modalités : différé, en quatre fois, etc.- que de carte de fidélité (et tout ce qui est lié comme les coupons de réduction personnalisés, par exemple).
Le client gagne ainsi entre 30 secondes et 1 min 30 par passage en caisse, ce qui permet également de le fluidifier. À ce jour, nous recensons près de 3 millions de téléchargements. 15 à 20% du chiffre d'affaires de nos enseignes Casino est réalisé par les clients détenteurs de l'application. Nous avons également pris une participation dans la fintech Lyf Pay pour consolider notre relation privilégiée et nous déployons actuellement ce moyen de paiement au sein de l'ensemble de nos enseignes françaises.
Quel rôle a le paiement aujourd'hui ?
Le paiement est essentiel car c'est la dernière interaction avec le client : aussi il est indispensable que le paiement soit à la fois rapide et enrichi (paiement en quatre fois, en différé, la visualisation on line de ses dépenses, etc.). Nous devons offrir plus qu'une une simple transaction et, en même temps, nous devons faire oublier l'acte lui-même : le client veut payer mais presque sans s'en rendre compte. Des expériences comme celles des VTC ont changé la donne, en proposant une nouvelle façon de consommer et de payer. Pour le distributeur, le paiement est également un moyen de recueillir des informations précieuses sur le client, dans le respect du cadre juridique en vigueur.
Que représente l'e-commerce pour le groupe Casino ?
En France, le commerce en ligne représente près de 20% de notre chiffre d'affaires, essentiellement sur les produits non-alimentaires à ce stade. D'ici 2021, nous avons l'ambition de doubler les ventes du e-commerce et tripler l'activité du e-commerce alimentaire, d'où nos différents partenariats avec Ocado, Amazon... Nous estimons que nous sommes l'acteur le mieux préparé à cette transformation.
Vous avez annoncé fin mai une alliance entre Franprix et Cdiscount, qu'est-il prévu ?
Ce partenariat comporte trois volets. Le premier est une alliance pour assurer la livraison de courses alimentaires en 30 minutes dans Paris. L'interface est celle de Cdiscount et la livraison est assurée depuis les magasins Franprix via le partenaire Stuart. Franprix s'appuie le trafic et la technologie de Cdiscount qui s'appuie lui-même sur le maillage et l'offre alimentaire de Franprix. Le deuxième axe est une alliance sur l'offre. Cdiscount va piloter l'offre vin de Franprix (Cdiscount a une grande expertise dans le domaine du vin) et implanter des corners de produits non alimentaires dans certains Franprix. Enfin, Franprix va s'appuyer sur l'expertise digitale de Cdiscount.
Comment s'effectue le partage de connaissances dans les innovations entre les différentes enseignes du groupe Casino ?
Nous avons différentes enseignes car nous privilégions un modèle stratégique multi-formats et multi-enseignes, aussi bien sur du on line que du off line. Les différents canaux sont de plus en plus hybrides et les frontières de plus en plus floues, comme le démontrent les corners Cdiscount, lancés fin 2017 (55 aujourd'hui). Inversement, les enseignes alimentaires ne peuvent plus se contenter de proposer une expérience purement off line, l'acte de consommation est en train de se fragmenter et le client n'est plus seulement sur un canal. Les besoins de consommation sont de plus en plus divers. Avec internet, le client s'est habitué à obtenir de nombreuses solutions de livraison. Les retailers doivent s'adapter, c'est pourquoi nous parlons de façon si fréquente de l'omnicanal. Nous estimons au sein du groupe Casino que nous sommes bien positionnés pour répondre à ces nouveaux défis car nous avons toujours eu un pied "dans les deux mondes". C'est pourquoi, nous développons de plus en plus de relations entre nos enseignes on line, Cdiscount et Sarenza, et off line que sont Géant, Monoprix, Franprix, Leader Price... avec des modèles de partenariat aussi bien internes qu'externes -comme Monoprix avec Amazon.
Nous avons la chance d'avoir des enseignes relativement petites et agiles qui peuvent s'adapter d'un point de vue marketing à chaque besoin client, ce qui nous permet de tester des choses à l'échelle d'une enseigne avant de le déployer, quand c'est pertinent, aux autres enseignes. Nous bénéficions ainsi du meilleur des deux mondes : l'agilité des enseignes pour tester rapidement et la force d'un grand groupe pour financer et déployer massivement. Par exemple, nous avons lancé l'application Casino Max chez Géant et Casino Supermarchés. Compte tenu du succès, nous avons ensuite lancé son équivalent chez " Leader Price" et chez Vindemia (La Réunion). Et nous allons l'étendre à d'autres enseignes. Sur le plan digital, nous avons créé une plateforme de couponing et un moteur de personnalisation présents chez Casino, Franprix, Leader Price (et bientôt au sein d'autres enseignes). Nous sommes en train de mutualiser progressivement un certain nombre de fonctions, de tâches, de technologies dans une plateforme commune pour l'ensemble des enseignes du Groupe, sans pour autant que l'enseigne perde son ADN marketing.
Et concernant la logistique ?
Là aussi, la diversité de nos enseignes nous permet d'apporter des réponses adaptées au grand défi du moment : la livraison à domicile. Dans l'alimentaire, deux marchés émergent : celui de la livraison à J+1 depuis un entrepôt très automatisé -d'où le partenariat exclusif entre le britannique Ocado et Monoprix pour desservir le territoire français (une commande de 60 produits est préparée en 6 minutes avec un taux de service proche de 100%, sans rupture de stock) - et celui de la livraison de l'urgence, en 30 minutes à 1 heure, qui n'est pas possible que depuis un magasin -d'où le partenariat entre Cdiscount et Franprix et celui entre Amazon et Monoprix. Ce sont donc deux schémas logistiques distincts.
Entre la logistique alimentaire et la logistique non alimentaire, les partages sont également riches, même si la logistique dans l'alimentaire et dans le non alimentaire sont très différentes par certains aspects. Un panier moyen dans le non alimentaire compte un à deux produits tandis que les courses alimentaires à domicile peuvent représenter plusieurs dizaines de produits. Dans l'alimentaire, il faut savoir gérer plusieurs températures. Dans le non alimentaire, il faut pouvoir gérer des produits très volumineux. Bref, les problématiques rencontrées et les technologies déployées ne sont donc pas nécessairement les mêmes. Cela n'empêche de développer des synergies.
Par exemple, la robotisation est une problématique commune, pour être en mesure de réduire les coûts de préparation des commandes. Quand Cdiscount déploie des robots avec des sociétés telles qu'Exotec ou No Magic, nous regardons de près ces solutions afin de voir comment cela peut contribuer à l'automatisation du picking dans les entrepôts alimentaires.
Comment répondre à cette équation paradoxale des consommateurs d'une livraison de plus en plus rapide tout en répondant à l'enjeu environnemental ?
Nous avons de plus en plus recours à des solutions de livraison dites "vertes". Dans les zones urbaines, cela est plus facile car vous avez de nombreuses entreprises de transport positionnées sur le dernier kilomètre, avec des livraisons à vélo ou à pied. Cette livraison est plus adaptée à la logistique urbaine et d'un point environnemental, cela répond aux nouveaux enjeux. Concernant les zones péri-urbaines, nous travaillons également sur des livraisons propres. Nous testons par exemple la livraison à domicile de nos clients d'hypermarchés par des scooters électriques. L'enjeu est double : réduire les émissions de CO2 et optimiser les trajets de livraison. Et s'agissant de la logistique amont (la livraison de nos magasins), nous utilisons de plus en plus de camions électriques.
En octobre dernier, vous avez inauguré " Le 4 Casino ", un nouveau concept de point de vente digitalisé, en collaboration avec une quinzaine de sociétés, ouvert 24H sur 24 et sept jours sur 7, quels sont les premiers enseignements ?
Ils sont nombreux. D'une part, le pari de l'hybridation du "4 Casino", soit d'en faire également un lieu de vie avec des espaces de restauration, de coworking, d'exposition de meubles et de décoration, remporte un vrai succès. Les clients attendent de plus en plus des lieux expérientiels. Ils demeurent également très attachés au contact humain et aux services proposés. Si nous avons fait le choix de ne plus positionner de collaborateurs aux caisses, nous avons renforcé la présence d'employés dans les différents espaces (cave à vin, bar, corner Cdiscount), pour conseiller les clients.
D'autre part, le "scan and go" est un usage qui va se développer fortement d'où le déploiement à grande échelle de cette solution (proposée via l'application Casino Max) sur plus de 200 magasins, (la totalité des hypermarchés et un tiers de nos supermarchés). Dans les magasins où l'usage est le plus développé, cela peut représenter jusqu'à 10% du chiffre d'affaires réalisé (plus de 2 000 passages en caisse par semaine). Enfin, nous observons qu'il faut continuer à faire évoluer le magasin en permanence pour car il doit s'adapter de façon constante aux nouveaux besoins des consommateurs. Pendant longtemps, l'expérience des courses a peu évolué avec le modèle traditionnel de l'hypermarché, aujourd'hui cela change très vite car le client est plus exigeant et changeant. Les distributeurs doivent s'adapter de manière constante aux nouvelles habitudes, poussées par le web. C'est pourquoi, nous construisons de plus en plus de magasins modulaires avec les "shop in shop", l'expérience développée depuis quelques semaines dans les hypermarchés Géant.
Où en êtes-vous dans le commerce conversationnel ?
Fin 2017-2018, nous avons lancé de nombreux tests dans le vocal avec des bots pour nos enseignes Monoprix -concernant la liste de courses- et Cdiscount -avec le suivi de commande. Nous travaillons également sur un des projets de bots dans les applications de messaging (WhatsApp et Messenger) pour aiguiller le client et pour le SAV. Cdiscount teste également des bots destinés à l'accompagnement commercial.
Quels sont vos projets actuels ?
Le champ est très vaste car les distributeurs deviennent progressivement des acteurs technologiques B to B.
La logistique devient de plus en plus centrale dans le dispositif et le métier se plateformise.
Nous devons à la fois être capables de développer notre plateforme, comme Cdiscount et sa marketplace, et de s'interfacer facilement avec des plateformes tierces, exemple avec Monoprix et Amazon. Nos projets sont donc de plus en plus technologiques. Des géants comme Amazon, Alibaba ont ouvert la voie.
Nous nous appuyons sur nos actifs pour prendre ce virage technologique. D'abord nos magasins physiques en les convertissant : nos réserves se transforment en mini-hub logistiques péri-urbains, dans les zones à fort trafic ; nos réserves entrepôts accueillent des centres de calcul dans le cadre de la JV "Scale Max", en partenariat avec la start-up Qarnot Computing (la BNP est notre premier client). Ensuite le trafic important de nos points de vente (60 millions de transactions chaque mois) qui nous permet par exemple de bien connaître nos clients et de valoriser à bon escient cette information via la filiale data "3W-RelevanC" créée en 2017.
Note : L'interview a été réalisée lors du salon Deliver à Lisbonne, consacré à la logistique dans le secteur de l'e-commerce, en juin 2019.