"Le Covid-19 est un accélérateur de tendances", Sébastien Badault
Publié par Propos recueillis par Martine Fuxa le - mis à jour à
Mobilisation au plus fort de la crise, transformation accélérée du retail, Sébastien Badault, le CEO d'Alibaba France partage sa vision et les ambitions d'Alibaba sur le marché français.
Ce confinement a été une situation absolument inédite, comment l'avez-vous vécue?
Totalement inédite en effet. Ce qui est intéressant, c'est qu'au sein d'Alibaba France, nous avons commencé à vivre les effets de la pandémie avec nos collègues en Chine. Je devais y faire une conférence, début janvier, au début des événements. Et la situation nous a vite rappelé l'épidémie de SRAS en 2003, même si à l'époque l'entreprise travaillait avec des serveurs en dur et ne bénéficiait pas de toute l'infrastructure en cloud. L'entreprise Alibaba est dans la résilience et est déjà parvenue à résister à plusieurs autres crises. Avec l'arrivée du Covid-19, l'objectif a immédiatement été de sécuriser les employés face au virus. L'autre action a consisté à imaginer la façon d'aider à combattre le virus, en utilisant notre plateforme, leader en Chine et à travers le monde. Nous avons réfléchi à la manière de mettre en relation les fabricants de masques, les fabricants de gels hydroalcooliques, avec les régions, les hôpitaux, les écoles qui avaient le plus besoin de ces marchandises. Nous avons par la suite cherché à faire bénéficier les scientifiques de nos outils technologiques mis à disposition gratuitement pour les hôpitaux en Chine. L'intelligence artificielle d'Alibaba a été utilisée pour la réalisation de diagnostics dans les hôpitaux, par des scans thoraciques pour faire des diagnostics via cette technologie de pointe. Le groupe a agi avec rapidité pour protéger ses employés et proposer ses services aux partenaires. En France, nous avons aussi été la première entreprise à faire un don d'une centaine de respirateurs, de masques, de combinaisons au gouvernement français avant le confinement, via la fondation Jack Ma.
Quelle sera, selon vous, la nouvelle ère qui s'ouvre en Chine "post-Covid"?
Le Covid-19 est une sorte d'accélérateur des tendances présentes. Sur certains sujets, la Chine était déjà en avance. Par exemple, le développement d'Alipay et du paiement sans contact sont des développements en phase dans un monde post Covid. Cette pandémie a permis de développer cela. Ce qui va se passer en Occident ressemblera selon moi à ce qu'a vécu la Chine. On peut citer la Fashion Week de Shanghai qui s'est déroulée en livestream sur Internet, et qui pourrait inspirer la France ou l'Italie, ou le social shopping, qui va à l'avenir modifier les habitudes de consommation. Cela ne signifie pas la fin du retail physique au profit du "online", mais une nécessaire réinvention. À l'image de ce qu'a fait la Chine ces dernières années. Toute la stratégie d'Alibaba depuis toujours n'a jamais été de dire que le online allait remplacer le retail traditionnel, qui reste prédominant. Mais nous pensons que ce dernier doit se réinventer, et ce phénomène va s'accélérer en Europe...
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Y aura-t-il des nouvelles tendances de consommation, plus durables et responsables en Chine?
Je pense qu'il est encore trop tôt pour le dire, mais le développement durable est une tendance de fond, notamment dans la mode. Ce qui est intéressant avec la Chine, c'est que les phénomènes y sont vécus en accéléré. La Chine partait avec un gros retard. La société de consommation existe depuis un demi-siècle en Occident, et seulement depuis quinze ans en Chine. Le pays a rattrapé son retard très rapidement en suivant différentes étapes. Cela a commencé par une surconsommation à outrance, avec une appétence effrénée pour les nouveautés produits. Puis les Chinois ont rapidement pris conscience de la valeur des marques et ont eu à coeur d'adopter leurs univers et d'être en phase avec les valeurs revendiquées par ces derniers. Le durable pourrait être la tendance suivante, dans le secteur de la mode et des cosmétiques notamment.
Comment se porte Alibaba en France dans la période actuelle et quelles sont vos ambitions sur le marché français?
Nous avons trois grandes activités. Nous aidons les marques françaises à se développer en Chine, et avec la plateforme Ali Express, nous aidons les Chinois à pénétrer le marché français. Par ailleurs, nous avons une autre activité autour de nos technologies d'innovation et du cloud. Cela donne aux acteurs un accès à notre savoir-faire en la matière. Enfin, notre troisième métier tourne autour du développement du tourisme chinois en France. Cette activité est bien sûr au point mort actuellement, et nous n'avons aucune idée concernant le redémarrage effectif des voyages touristiques. Il n'y a plus de touristes chinois en France, peu de consommation, et nous n'avons pas de visibilité concernant un retour à la normale. Ceci étant, nous poursuivons notre effort marketing sur la destination France, en continuant les partenariats avec les régions et les musées. Quant à nos autres secteurs d'activité, ils fonctionnent assez bien. Des entreprises qui songeaient à s'installer en Chine après un certain retour à la normale au sein du pays, où la demande de consommation reste forte, ont accéléré leur déménagement. Les entreprises déjà présentes en Chine ont accéléré leur marketing, pour compenser la baisse de vente de produits en France. Sur le site Ali-Express, nous avons enregistré une augmentation de la fréquentation significative, et une explosion des ventes de matériel de protection et d'hygiène. Les ventes de vélos, de produits de sport ou de jeux vidéo ont, elles aussi, fortement augmenté.
Un mot de vos investissements sur le cloud...
Nous avons fait récemment l'annonce d'un investissement massif de 26 milliards de dollars sur ce sujet, soit près de trois fois le revenu que nous avons généré l'année dernière. Sur le cloud, nous faisons beaucoup de "Go China", c'est-à-dire que l'on aide les entreprises à développer leur infrastructure cloud en Chine. Un programme de 30 millions de dollars a également été débloqué jusqu'au 22 juin pour aider les PME et TPE impactées par le Covid. Pour les former, les accompagner à utiliser nos infrastructures, leur offrir des capacités de stockages, etc. Je ressens une réelle fierté concernant les réalisations de l'entreprise, elle prend sa responsabilité à coeur, en tant que plateforme leader dans le monde. Elle aide les PME en Chine, mais également à l'international...
Ne craignez-vous pas que la mise en avant du made in France et la crise sanitaire fassent apparaître une sorte de protectionnisme?
Au contraire, une entreprise qui fait du made in France devrait privilégier les exportations à l'étranger. On trouve de grandes marques chinoises en termes de cosmétiques, qui ont parfois du mal à rivaliser avec les produits français, étant donné leur qualité et la reconnaissance de ces marques dans le monde de la mode et du luxe. Cela offre de réelles opportunités pour la France, même en ces moments de crise.
Son parcours
2000: Sébastien Badault devient directeur marketing France d'Amazon.
2004: Il prend la tête de la stratégie et des opérations pour Google France, avant de devenir directeur des ventes.
2015: Sébastien Badault est nommé à la tête d'Alibaba Group pour la France.