[Tribune] Le texte interdisant le blocage géographique dans l'UE entre en vigueur
Publié par Marc-Antoine Picquier et Alexandra Berg-Moussa, avocats le - mis à jour à
Le 3 décembre prochain, entre en vigueur le Règlement 2018/302 du Parlement européen et du Conseil, visant à contrer le blocage géographique injustifié. Le point sur cette nouvelle obligation avec Marc-Antoine Picquier et Alexandra Berg-Moussa, avocats au cabinet August Debouzy.
Le règlement (UE) 2018/302 du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique(1) (le "règlement") est applicable dès le 3 décembre prochain. Il vise à interdire aux professionnels le blocage géographique injustifié dans le marché intérieur et ainsi à lutter contre les restrictions aux transactions transfrontalières en ligne. Rappel des grandes lignes du règlement à quelques semaines de son application.
Qu'est-ce que le blocage géographique?
Le blocage géographique est une pratique qui consiste pour un professionnel exerçant ses activités dans un État membre, à bloquer ou limiter l'accès à leurs interfaces en ligne (sites internet ou applications mobiles) aux clients originaires d'autres États membres, ou à appliquer à ces derniers des conditions différentes d'accès aux biens ou services qui y sont proposés (prix, conditions générales etc.), sans que cela ne puisse être objectivement justifié.
Ces restrictions fondées sur la nationalité ou le lieu de résidence ou d'établissement du client, sont traditionnellement mises en oeuvre grâce à des mesures technologiques ou autres moyens permettant au professionnel de localiser physiquement le client via par exemple son adresse IP, son adresse de livraison ou de facturation ou le pays d'émission de sa méthode de paiement, et ainsi de bloquer l'accès du client à certaines interfaces en ligne ou de le rediriger vers d'autres versions (locales) desdites interfaces.
Qui est concerné par ce règlement?
Le règlement concerne d'abord tout professionnel, c'est-à-dire "toute personne physique ou morale qu'elle soit publique ou privée qui agit, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant au nom ou pour le compte du professionnel, aux fins qui entrent dans le cadre de l'activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale du professionnel"(2) (un "professionnel").
En outre, le règlement ne se cantonne pas à la seule relation entre un professionnel et un consommateur (B to C) mais s'applique aussi à la relation entre deux professionnels (B to B). En effet, ce règlement est applicable à tout client défini comme un "consommateur qui possède la nationalité d'un État membre ou y a son lieu de résidence, ou une entreprise qui a son lieu d'établissement dans un État membre, et qui reçoit un service ou achète un bien, ou tente de le faire, dans l'Union, dans le but unique de son utilisation finale"(3) (un "client").
Ainsi, les ventes B to C et B to B sont concernées pour autant que le vendeur soit un professionnel et l'acheteur soit l'utilisateur final du bien ou service acheté. Les relations B to B d'achat pour revente, transformation, traitement, location ou sous-traitance ultérieurs ne sont pas concernées.
Enfin, certaines ventes de biens et services sont exclues du champ d'application du règlement, tels que les contenus protégés par le droit d'auteur, les services financiers, les services audiovisuels (encadrés par le règlement sur la portabilité transfrontalière, en vigueur depuis le 1er avril 2018), les services de transport, les services de soins de santé et les services sociaux.
Que prévoit le règlement?
S'agissant de l'accès aux interfaces en ligne, l'article 3 du règlement interdit au professionnel de:
- bloquer ou limiter l'accès à son interface en ligne pour des motifs liés à la nationalité ou au lieu de résidence ou d'établissement du client et ce, par l'utilisation de mesures technologiques ou autres;
- rediriger le client vers une version de l'interface en ligne du professionnel qui est différente de celle à laquelle le client a voulu initialement accéder, pour des motifs liés à la nationalité ou au lieu de résidence ou d'établissement du client, et notamment en raison du choix de langue du client ou d'autres caractéristiques.
Dès le 3 décembre, donc, un professionnel exploitant un site (internet ou mobile) marchand dans un État membre devra permettre à tout client, y compris d'un autre État membre, d'accéder à la version du site marchand qu'il a initialement souhaité voir. Tout blocage d'accès par le professionnel à son site marchand pour un client d'un autre État membre et toute redirection d'un client vers une autre version du site marchand du professionnel sera en principe interdite.
Il existe néanmoins deux exceptions aux interdictions ci-dessus:
- s'agissant de la redirection, le professionnel peut rediriger le client vers une version différente de celle à laquelle il a voulu accéder si le client a expressément accepté une telle redirection. Ainsi, seule la redirection automatique est interdite. Le règlement précise néanmoins que, si le client a expressément accepté une telle redirection, le client doit pouvoir continuer à accéder facilement à la version de l'interface en ligne du professionnel à laquelle il a initialement voulu accéder;
- s'agissant du blocage ou limitation d'accès et de la redirection automatique, ces actions seront possibles si elles sont nécessaires en vue de satisfaire une exigence légale applicable aux activités du professionnel prévue dans le droit de l'Union ou dans la législation d'un État membre. On peut par exemple penser aux cas où la vente ou publicité de certains produits seraient interdits ou réglementés dans certains États membres. Dans un tel cas, le professionnel est tenu de fournir au client une explication claire et spécifique des raisons pour lesquelles le blocage ou la limitation d'accès ou la redirection automatique sont nécessaires, et ce dans la langue de l'interface en ligne à laquelle le client a initialement cherché à accéder.
S'agissant de l'accès aux biens et services, l'article 4 du règlement interdit au professionnel de pratiquer des conditions générales (c'est-à-dire notamment des prix, conditions de livraison, conditions de paiement etc.) qui diffèrent en fonction de la nationalité ou du lieu de résidence ou d'établissement du client. Cette interdiction est applicable aux cas suivant:
- l'achat de biens dont la livraison est proposée dans un État membre ou pour lesquels le professionnel propose un lieu de collecte dans un État membre. À noter, le règlement n'impose pas aux professionnels exploitant un site marchand dans un État membre de livrer dans tous les autres États membres. Les professionnels sont et resteront libres de choisir les pays dans lesquels ils proposent la livraison. Néanmoins, si par exemple un professionnel français livre ou propose une option de point de collecte en France uniquement, un client d'un autre État membre doit pouvoir acheter le bien en question sur le site du professionnel dans les mêmes conditions que les clients résidant en France et se faire livrer à une adresse France ou venir récupérer son bien au point de collecte français qu'il aura sélectionné;
- l'obtention de services fournis par voie électronique (autres que l'accès à des oeuvres protégées par le droit d'auteur ou autres objets protégés);
- l'obtention de services (autres que ceux fournis par voie électronique) dans un État membre dans lequel le professionnel exerce son activité. Sont ici visés par exemple les services hôteliers, location de voiture et loisirs (manifestations sportives et culturelles notamment).
Comme pour l'interdiction concernant les restrictions d'accès aux interfaces en ligne ci-dessus, cette interdiction ne s'applique pas si une disposition spécifique du droit de l'Union ou d'une législation d'un État membre empêche le Professionnel de vendre les biens ou de fournir les services à certains clients ou aux clients situés sur certains territoires.
En outre, selon le règlement, cette interdiction n'a pas pour effet:
- d'imposer au Professionnel de se conformer aux prescriptions légales nationales non contractuelles (par exemple règles d'étiquetage) applicables aux biens et services dans l'État membre du client, ou d'informer les clients quant à ces exigences;
- ou d'interdire au professionnel de proposer des conditions générales d'accès (y compris prix) ou offres qui diffèrent d'un État membre à un autre ou au sein d'un État membre, si elles sont proposées de façon non discriminatoire à des clients situés sur un territoire spécifique ou à certains groupes de clients. Dans de telles situations, les professionnels doivent toujours traiter les clients de manière non discriminatoire lorsque ces derniers souhaitent profiter de ces offres et de ces conditions générales d'accès, quels que soient leur nationalité, leur lieu de résidence ou leur lieu d'établissement.
S'agissant des moyens de paiement, l'article 5 du règlement interdit là encore la discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou d'établissement du client, la localisation du compte de paiement, le lieu d'établissement du prestataire de services de paiement ou le lieu d'émission de l'instrument de paiement dans l'Union quand le paiement est réalisé par virement, prélèvement ou cartes bancaires d'une même marque, que son authentification est conforme au droit européen et que le paiement intervient dans une devise acceptée par le professionnel. Le professionnel est donc libre de décider quels moyens de paiement il accepte sur son interface en ligne mais les moyens de paiement qu'il acceptera doivent être disponibles et proposés à des conditions non discriminatoires pour tous les clients accédant à l'interface en ligne concernée.
Quelle transposition, quels contrôles, quelles sanctions?
S'agissant d'un règlement européen, ses dispositions seront directement applicables sans qu'aucune mesure de transposition nationale ne soit nécessaire. Enfin, l'article 7 du règlement laissait à chaque État membre la charge de désigner un ou plusieurs organismes chargés du contrôle effectif de l'application du règlement mais également de déterminer les règles établissant les mesures (sanctions) effectives, proportionnées et dissuasives applicables aux violations du règlement. À ce jour, à notre connaissance, la France n'a pas encore désigné l'organisme qui sera compétent (il s'agira probablement de la DGCCRF) ni déterminé un corpus de sanctions applicable en cas de violation des termes du règlement. À suivre, donc...
Les professionnels doivent néanmoins ne pas différer l'adaptation de leurs sites marchands (internet et mobiles) et se mettre d'ores et déjà en ordre de marche pour être en mesure de se conformer au règlement dès le 3 décembre prochain, en pleine période des achats de Noël!
(1) Règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d'autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d'établissement des clients dans le marché intérieur, et modifiant les règlements (CE) no 2006/2004 et (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE.
(2) Article 2, paragraphe 18
(3) Article 2, paragraphe 13
Marc-Antoine Picquier a rejoint l'équipe Concurrence Consommation Distribution du cabinet August Debouzy en septembre 2018. Il intervient dans tous les domaines du droit de la concurrence, du droit de la distribution et du droit de la consommation. Avant de rejoindre August Debouzy, Marc-Antoine a effectué plusieurs stages au sein de cabinets d'affaires. Il a aussi été juriste en entreprise au sein de la direction juridique d'un grand magasin parisien. Il est titulaire d'un master II Droit de la concurrence et des contrats (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), et d'un LLM International Commercial Law (University of Nottingham).
Après avoir passé quelques années à Montréal, Alexandra Berg-Moussa a rejoint August Debouzy en 2000. Elle est associé au sein des départements Technologies Média Propriété Intellectuelle et Concurrence Distribution Consommation, où elle exerce essentiellement une activité de conseil auprès d'entreprises françaises et étrangères en matière de droit informatique et des nouvelles technologies et de droit commercial général, de la distribution et de la consommation. Elle est titulaire d'un LLM en Droit international des affaires (Université McG ill, Montréal, Canada) et d'un DEA Droit des affaires été droit économique (Université Paris I).