Retail : des profils recherchés et rares
Publié par Christine Monfort le | Mis à jour le
Le retail est plus que jamais en quête des compétences qui lui permettront d'accélérer et de monter en puissance vers un commerce omnicanal. Le secteur est aussi à l'affût de profils agiles et inventifs qui inventeront les business models de demain.
Pour le retail, qui a dû recruter à la hâte il y a deux ans les compétences manquantes pour faire face aux bouleversements des modes de consommation et accélérer sur l'e-commerce, l'heure est désormais à la montée en compétences et à une plus grande précision. « Les retailers sont dans une phase de réorganisation et de rationalisation omnicanale, d'accélération digitale et d'acquisition. Ils sont aussi davantage en veille sur le marché et axés sur le marketing produit », témoigne Sabine Mota, manager chez FED Business, cabinet de recrutement en fonctions commerciales, marketing et communication. Les enseignes renforcent par exemple leurs équipes en category managers, chargés de développer le chiffre d'affaires et la rentabilité de gammes de produits, travaillent les parcours clients avec des UX designers, se dotent plus communément de data analysts, data managers ou heads of data pour mieux connaître leur marché et leurs clients en intégrant une dimension analytique, de conversion rate optimizer (CRO) managers afin d'augmenter le taux de conversion tout au long du cycle de ventes...
« Depuis 2021, le secteur est entré dans une forte tension sur le marketing digital car les grands retailers descendent dans la finesse des postes et sont de plus en plus exigeants sur les compétences recherchées... L'an dernier, les salaires ont monté de 10 % sur le marketing e-commerce, soit une hausse plus forte que ce que l'on constatait auparavant. Les positions sont de plus en plus difficiles à trouver », constate Jacques Froissant, directeur général du cabinet Altaïde. Surtout quand les candidats sont très sollicités et ne regardent presque plus les annonces sur un marché du digital convoité par l'ensemble des secteurs d'activité. « Les experts d'un micro-sujet qui demande une valeur de dirigeant sont rares, de même que les candidats capables de donner de la puissance à une verticale dans une organisation matricielle », note Christelle Herbelin, directrice générale du cabinet Keyman.
Des postes jusqu'à présent « relativement simples » à fournir, par exemple autour du CRM, de la segmentation de base ou de la personnalisation, sont devenus compliqués à trouver sur les volumes demandés... Les responsables e-commerce et responsables CRM sont les compétences les plus chassées, avec des niveaux d'expérience qui se sont renforcées pour le top comme pour le middle management. La tension reste assez forte sur les traffic managers et les responsables acquisition, mais se relâche un peu du côté des chargés de référencement (SEO ou SEA). L'offre et la demande tendent à s'équilibrer sur les postes de "community managers"... « Les postes en supply chain, très recherchés l'an dernier, le sont moins aujourd'hui même s'il reste beaucoup de besoins en management logistique, ajoute-t-elle. Le retail omnicanal a besoin de s'appuyer sur des profils capables de vivre dans une vision très holistique du flux » incluant le drive, le dernier kilomètre, voire le quick commerce. Dans la grande consommation, les marketplaces sont devenues prioritaires et ce canal doit aussi être professionnalisé.
L'attention à la RSE et à l'économie circulaire est de plus en plus grande comme en témoigne par exemple le poste de "directrice seconde vie" crée chez Fnac Darty.
Dans le commerce physique, les enseignes cherchent à mieux staffer leurs magasins. Les emplois de directeurs de magasins et directeurs régionaux - des postes difficiles où il faut souvent travailler le week-end - étaient déjà en tension avant la crise. « Ils le sont encore davantage car les enseignes sont de plus en plus attentives à la rentabilité et à la performance économique des points de vente, comme à l'expérience qu'ils sont chargés de faire vivre au client dans la continuité de celle qui est proposée sur le digital », explique Sabine Mota. Dans ce segment du retail, le middle management a été assez chahuté par les démissions de collaborateurs qui ont quitté les grandes agglomérations pour trouver une meilleure qualité de vie. Si les tensions se sont un peu réduites en région, elles restent fortes en région parisienne. D'autres se sont réorientés vers d'autres secteurs et manquent donc à l'appel. Sur les fonctions terrain, les commerciaux se sentent plus libres de négocier leur rémunération. « Après les périodes de fermeture et de couvre-feu, certaines entreprises qui prônaient beaucoup le variable ont dû procéder à des réajustements et augmenter la part du fixe », poursuit-elle.
Les directeurs marketing, futurs DG du retail
Des postes identifiés de longue date ont pris une dimension plus transverse et connaissent une vraie évolution. « Dans le retail, la fonction de directeur marketing n'a plus du tout la même tonalité. Le chief marketing officer (CMO) est devenu un chief digital officier (CDO) en version élargie, avec cette dimension d'analyse des directeurs marketing qui écrivaient les plateformes de marque. Les CMO qui changent les modèles ont explosé la valeur du métier et du marché. Ce sont les directeurs généraux de demain », estime Christelle Herbelin. Plus possible, selon elle, d'aller comme par le passé chasser ces directeurs marketing d'un nouveau genre dans n'importe quel écosystème : « Très peu disposent des compétences dont ont besoin les retailers, avec cette dimension créative du cerveau droit pour valoriser l'offre et un cerveau gauche très quanti pour analyser les données et mettre en place des stratégies. » Dans les grands groupes, ces professionnels d'une quarantaine d'années peuvent prétendre, selon leur parcours, à des rémunérations d'au moins 200 ou 250 K€, indique-t-elle.
Des fonctions devenues stratégiques sont progressivement internalisées, autour du CRM, sur le service client mais aussi sur l'influence marketing. En 2021, 57 % des marques géraient en interne leurs campagnes d'influence marketing, selon l'étude annuelle de Reech, entreprise experte de ce secteur (1). « Les recrutements d'influence managers sont encore récents, surtout depuis 2021 pour les entreprises qui intègrent ces compétences. Pour le moment, on ne constate pas vraiment de turnover. Beaucoup de directions restent dubitatives sur l'influence marketing. Quand les recrutés rejoignent une entreprise qui a mesuré l'importance de ces leviers, ils n'ont pas forcément envie de bouger », souligne son CEO Guillaume Doki-Thonon. À eux d'initier et de gérer les relations entre une enseigne et les influenceurs, mais aussi de monter les partenariats pour des sessions de live shopping, un canal e-commerce en plein développement (voir encadré).
Les influenceurs, plus que jamais sollicités par le retail
Les liens entre influenceurs et retail sont plus nombreux que jamais et en pleine évolution. « Les marques ont compris que ces personnalités ont un rôle clé comme délégués des consommateurs, qui réunissent un public avec les mêmes intentions d'achats ou un profil identique », détaille Guillaume Doki-Thonon, CEO et cofondateur de Reech. Chaque industrie du retail a ses tops influenceurs : Enjoy Phenix dans la beauté, Lena Situation dans la mode, qui a créé des collections capsules avec Don't Call Me Jennyfer, Robert Longechal alias "Bricolage avec Robert" pour la rénovation et les travaux... Pour une session de live shopping, la taille de sa communauté n'est pas le premier critère de choix de l'influenceur. « Les plus puissants ne sont pas forcément ceux qui engagent le plus, donnent envie d'acheter ou font venir en magasin, observe-t-il. Il vaut souvent mieux faire appel à plusieurs influenceurs plus petits que la star que tout le monde s'arrache et qui travaille avec tous vos concurrents. L'opération drive to store d'un retailer sera plus pertinente en activant 10 ou 20 influenceurs bien formés sur le produit et très implantés dans la région qu'en s'appuyant sur une personne avec 2 millions d'abonnés mais qui en comptera assez peu dans votre zone géographique. » Si de rares collaborations se monnaient à plusieurs dizaines de milliers d'euros, la majorité des partenariats se situe sous les 500 euros, voire entre 50 et 100 € pour une simple prise de parole. L'association marque-influenceur peut être reprise en PLV dans une version renouvelée de l'ancien « Vu à la télé ».
Dans cette grande mutation encore en cours, le retail peut désormais compter sur les diplômés des écoles de marketing digital : ITIC, masters de Léonard de Vinci, Ecole supérieure du digital... « Leurs étudiants commencent à arriver sur le marché avec un niveau de savoir-faire impressionnant, souvent avec une formation initiale très solide et deux ans d'alternance », se félicite Jacques Froissant. L'alternance est d'ailleurs de plus en plus valorisée pour se rapprocher des cinq ans d'expérience que tout le monde cherche. Sur le top management, les méthodes de recrutement ont évolué : « Le commerce n'est plus monolithique, mais les parcours ne le sont plus non plus. On traque chez les candidats des moments de vie qui révèlent une posture au monde de l'entreprise et une dynamique de parcours qui montre une capacité à générer de la puissance. Plus le socle de sa structure mentale sera puissant, plus le candidat aura l'agilité pour coconstruire les modèles de demain », affirme Christelle Herbelin. Au moment où la guerre en Ukraine voit certaines enseignes revenir à des positions plus défensives, les retailers devront plus que jamais recruter des talents capables d'explorer des voies nouvelles, d'anticiper les besoins et d'aider leur entreprise à poursuivre sa mue omnicanale.
(1) Reech, étude Le marketing d'influence, édition 2022, menée en octobre 2021 auprès de 600 répondants.
Quelles fourchettes de rémunérations ?
Les rémunérations des différentes compétences recherchées par les retailers varient en fonction de la tension sur le marché, de la taille et de l'organisation de l'entreprise, et bien sûr du profil du candidat. Voici quelques fourchettes constatées par FED Business sur certaines des compétences les plus prisées du moment :
Responsable e-commerce : entre 45 et 80 K€
UX Designer : entre 35 et 60 K€
Data Analyst : entre 35 et 50 K€
Chargé de CRM/ Responsable CRM : entre 35 et 60 K€
Responsable acquisition : entre 40 et 60 K€
Social Media Manager : entre 35 et 60 K€