[Dossier] La relation client à distance accompagne les mutations du retail
Publié par Christine Monfort le | Mis à jour le
Plus les ventes se digitalisent, plus le retail transpose à distance ce qui fait la force de son réseau physique sur le conseil et le service rendus au client. Plusieurs outsourceurs partagent les bonnes pratiques pour accompagner le client de manière optimisée sur tout son cycle de vie.
Avec l'explosion de l'e-commerce et la montée en puissance du multicanal, notamment avec le drive pour les enseignes alimentaires, le service client et la relation client à distance prennent une nouvelle dimension dans le retail. «Ce secteur avait longtemps concentré ses efforts sur la qualité du service rendu en magasin ou sur site web. La relation client s'impose de plus en plus comme un canal de vente en tant que tel ou en complément à l'e-commerce. En passant d'un centre de coût à un centre de profit, elle n'est plus perçue de la même manière dans l'organisation», observe Mélanie Hentgès, Dg France de Gobeyond Partners, qui regroupe l'activité conseil en transformation relationnelle et digitale des marques du groupe Webhelp.
Ce nouvel horizon, qui s'est révélé assez clairement au printemps 2020 lors des fermetures de magasins, a incité les marques et enseignes à transformer l'essai. Au plus fort de la crise, SEB avait vu ses ventes direct to consumer monter en puissance sur ses marques Moulinex, Tefal, Rowenta... Webhelp, qui l'avait accompagné sur ce canal de vente digital, expérimentera, cette année, un showroom reprenant l'univers des marques du groupe. Le conseiller à distance assistera le client comme s'il était en boutique et démultipliera sur le périmètre du test les possibilités de vente sur des horaires élargis. Un acteur du bricolage a, de son côté, pérennisé la hotline mise en place par Teleperformance au début de la pandémie afin de gérer les demandes d'information, rappeler les "abandonnistes panier", proposer des rendez-vous téléphoniques pour prodiguer les conseils jusqu'alors apportés en magasin... Les ventes en ligne avaient progressé de 40% et le site est depuis devenu un relais de croissance au long cours.
Allier volume et qualité
Longtemps concentrée sur les retours de colis, la relation client à distance dans le retail couvre désormais l'intégralité du parcours d'achat : avant la vente pour accompagner les clients sur des paniers e-commerce de plus en plus importants (jusqu'à plusieurs centaines d'euros sur le multimédia, l'équipement de loisirs ou l'ameublement), en assistance pendant l'achat, en post-achat quand la transaction est finalisée, sur l'après-vente qui s'élargit désormais à l'aide au client pour bien utiliser le produit...
Le calendrier du retail pèse sur les besoins des services clients internes ou externalisés. L'ouverture du Black Friday a eu un fort impact pour les vendeurs présents en ligne : «Les volumes d'appels ont souvent été multipliés par deux ou trois en novembre-décembre. Sur ces périodes de très forte activité, il arrive que des codes promo ne fonctionnent pas, que les produits vendus ne soient pas en stock, que la restitution de points de fidélité ne se fasse pas correctement, que des colis soient perdus, des délais de livraison rallongés... Les sollicitations durent jusqu'en janvier-février sur la partie SAV», témoigne Alexandre Jacque, directeur commercial nouveaux clients chez Comdata.
Au-delà de l'effet volume, le retail est de plus en plus attentif à la qualité de sa relation client.
«Le bout en bout évite de transférer l'appel vers des niveaux supérieurs, de recourir à différents services qui additionnent des temps de réponse, voire que la demande soit traitée plus tard en back-office. C'est plus coûteux à organiser mais c'est ce qu'attend le client», constate Hugues Beaujouan, directeur de la BU retail, e-commerce et media de Webhelp.
À consommateur omnicanal, relation omnicanale
Face à des consommateurs qui utilisent successivement ou simultanément les différents canaux mis à leur disposition (site web, application, réseaux sociaux, points de vente physiques...), la relation client se doit aussi d'être omnicanale. Si la voix et le mail restent les plus utilisés, les chatbots, voicebots et autres callbots soulagent les services clients. Les réseaux sociaux et le messaging montent en puissance, poussés par les jeunes générations. «Dans le retail, on voit beaucoup de tentatives d'ouverture de canaux, sans que cela ne fasse toujours sens. Au lieu de prévoir un parcours unique pour la génération Z ou pour les personnes frappées d'illectronisme, il vaut mieux proposer des parcours qui tiennent compte de l'aisance avec les outils, de la capacité d'acceptation de l'IA, du besoin d'écoute et de réassurance...», avance David Gillaux, Dg France de Teleperformance.
Avec leurs questions et réponses courtes, les canaux de messaging sont utiles pour piloter la productivité - un conseiller peut traiter plusieurs demandes en parallèle - et la satisfaction. «Quand le client envoie un message sur WhatsApp, il accepte plus facilement d'attendre 3 ou 4 minutes avant d'avoir une réponse car, contrairement à ce qui se passe au téléphone, il est occupé par ailleurs. Sur le site de la Fnac, la visibilité du contact par mail a été réduite au profit du chat et de WhatsApp pour les détenteurs de la carte One. Sur la période de test en 2020, les sollicitations mail ont été réduites d'environ 80 % et se sont transférées sur le chat et WhatsApp. Le NPS a augmenté de 15%», relate Alexandre Jacque. En permettant d'envoyer au client des liens sur des produits qui répondraient aussi à ses besoins, le chat restitue un peu l'expérience en magasin avec un vendeur et permet souvent de finaliser la vente.
La vidéo est de plus en plus sollicitée.
Le live shopping implique de passer du temps avec le client mais se révèle utile pour que le conseiller constate de visu les dysfonctionnements chez le client, apporte une aide plus concrète ou expose les différentes fonctionnalités d'un produit. Webhelp généralise pour un grand acteur de la distribution spécialisée une solution de live shopping one to one qui ouvre de nouvelles formes de vente à distance. Lors d'un achat complexe sur le site de l'enseigne, un pop-up propose au client d'être mis en contact avec un vendeur en magasin. Cette solution nécessite de planifier les flux pour que les vendeurs se rendent disponibles pour répondre aux sollicitations du web et qu'ils ne soient pas isolés de la surface de vente à des moments où ils ne seraient pas mobilisés en ligne. Expérimentée à partir de 2020, cette proposition a eu un impact «très positif» sur le taux de conversion du site et sur la satisfaction client. Certains achats impliquant ou portant sur des paniers importants peuvent angoisser le client. «Ces demandes complexes sont l'occasion pour les enseignes de proposer du conseil et de l'accompagnement, de répondre à des demandes qui vont générer des ventes supplémentaires. Plus les clients attendent une expérience personnalisée, plus la relation client devient intéressante pour la marque qui recueille davantage de données sur son client», fait valoir Hadia Izzi, directrice grands comptes de la verticale retail et e-commerce de Majorel France-Afrique-Benelux.
La relation client à distance permet aussi de travailler l'attachement à la marque. Pour redynamiser le programme de fidélité qui était la pierre angulaire du modèle économique d'une enseigne de retail, Majorel a développé une solution avec un parcours multicanal et personnalisé, avec un seul niveau de récompense pour gagner en simplicité. Le taux de conquête du programme a augmenté de 13% sur le site internet et de 10% en boutique entre septembre 2019 et février 2020, de sorte que 95% des clientes sont devenues membres. La consommation multicanale a de son côté progressé de 8%. La fidélisation est également au coeur des rendez-vous beauté mis en place par Comdata pour les meilleures clientes d'Yves Rocher. Des conseillères esthéticiennes chez l'outsourceur proposent des diagnostics de peau personnalisés et des préconisations produits à travers des listes envoyées aux clientes, sans obligation d'achat.
Le parcours client, socle d'amélioration de la relation
Au-delà d'un renfort lors des pics d'activité, les retailers attendent des outsourceurs une expertise métier et une connaissance des bonnes pratiques de leur secteur. «Nous les accompagnons dans une démarche d'amélioration de l'expérience client et d'enchantement du consommateur. Décortiquer les parcours clients permet de montrer ce qui fonctionne, les irritants, les freins qui peuvent décourager certains clients, les points bloquants..., de mettre au point un POC pour tester une solution et l'ajuster », poursuit Hadia Izzi. Aujourd'hui, les projets de transformation plongent assez profondément dans la data client. «Pour faire face à cette nouvelle donne, les retailers sont plus enclins à partager leurs données de satisfaction client, de réitération... Nos data scientists ciblent ainsi les points à corriger suffisamment volumineux pour avoir un impact. Face au volume de remontées d'information des clients, nous avons un vrai rôle à jouer pour aider les retailers dans cet univers data pour les comparer et les prioriser», indiquent Hugues Beaujouan et Mélanie Hentgès. Webhelp et Gobeyond Partners montent des cellules d'innovation pour résoudre ponctuellement des cas complexes, faire évoluer un KPI ou innover sur des périodes plus longues. Sur une année, des équipes pluridisciplinaires peuvent tester successivement une technologie (vidéo, speech analytics...), un process de traitement des clients VIP, le modèle de bout en bout..., de façon à roder les process et affiner les business models pour valider ce qui sera rentable, ce qui pourrait l'être et ce qui restera finalement au niveau du laboratoire...
Dans le retail, beaucoup d'irritants se concentrent autour de la livraison. «Lorsque la logistique est internalisée ou que les systèmes du retailer sont interfacés avec ceux du logisticien, on peut récupérer l'information, voire pousser un sms pour prévenir qu'il y aura un petit retard, ce qui évite un contact et rassure le client. Nous compensons souvent des sujets d'intégration de systèmes qui génèrent énormément de complexité, dont la DSI du retailer a souvent conscience mais sur lesquels elle n'a pas toujours de latitude», note David Gillaux. Les solutions techniques proposées par les outsourceurs pallient certains de ces désagréments. Majorel a développé pour un retailer une solution de Robotic Process Automation (RPA) portant sur la traçabilité des colis clients. La durée moyenne de traitement s'est améliorée, les erreurs de traitement ont été réduites de 80 % et le score de satisfaction client a gagné deux points.
Un nouvel horizon avec les marketplaces
Le développement des marketplaces, qui permet aux retailers d'élargir, de compléter ou de faire évoluer la profondeur de leur offre, a créé de nouveaux besoins en matière de relation client. «Cette intermédiation entre acheteur et vendeur a toujours existé chez les e-commerçants. Les retailers traditionnels qui développent ce type d'offre ont besoin d'accompagnement pour gérer l'image de marque de leur plateforme. Les processus de livraison et de gestion client des vendeurs ne sont pas au niveau de ceux de la marque qui porte la marketplace, ce qui crée de la confusion et de l'insatisfaction», relève Hadia Izzi. Certaines plateformes proposent à leurs vendeurs un service d'assistance en relation client, de sorte que l'outsourceur devient le seul interlocuteur du client final.
L'exercice reste parfois contraint: «Il n'est pas toujours possible d'offrir toutes nos options car certaines marketplaces ne proposent que la relation par mail», pointe Alexandre Jacque. Il permet aussi de valoriser les ressources internes. Grâce à sa filiale Payment,Services, qui est établissement de paiement, Webhelp peut se positionner comme partenaire sur toute la chaîne, de la prise de commande du client jusqu'au paiement reversé au vendeur. Quand le volume se conjugue à la complexité de la langue, il faut parfois faire évoluer le modèle. Teleperformance, qui gère sur un hub multilingue au Portugal la relation client de la place de marché Wish pour l'Europe et le Moyen-Orient, a dû déployer sa solution cloud de travail à domicile pour élargir son bassin d'emploi et satisfaire les besoins en conseillers capables de répondre aux sollicitations en 40 langues. Toujours en recherche de performance et de nouvelles solutions, la relation client à distance ne manque définitivement pas de ressources pour accompagner toutes les attentes des clients et les développements du retail.
Selfcare : jusqu'où pousser l'automatisation ?
Les retailers, qui évoluent dans des modèles économiques très contraints, avancent souvent à marche forcée sur l'automatisation : «La satisfaction des consommateurs sur le selfcare montre une énorme dichotomie entre les consommateurs qui ont trouvé une solution à leur question - et y trouvent une satisfaction élevée - et ceux qui ont été confrontés à des problèmes de process, d'outils ou de complexité de leur demande, qui sont de loin les personnes les plus insatisfaites dans leur rapport à la marque ! Bien plus que lorsqu'elles ont eu un contact téléphonique, par mail ou par chat, sans que cela ne débouche sur une solution car l'interaction humaine temporise la frustration», remarque David Gillaux. Le Dg France de Teleperformance appelle à la prudence sur ce qu'un retailer ou une marque peut pousser en selfcare : «Si on choisit d'automatiser un process, il faut le monitorer très fortement en termes de satisfaction car cela peut être très contre-productif sur une partie de la population.»