« Agilité et omnicanalité s'imposent aux marques en 2023»
Publié par Propos recueillis par Marie-Juliette Levin. le - mis à jour à
Dans un contexte d'hybridation du commerce, l'omnicanalité n'est plus une option. La course à l'innovation bat son plein pour offrir des expériences d'achat renouvelées à des consommateurs devenus versatiles et exigeants. Sur le web, l'accès aux places de marché se densifie avec une concurrence sévère sur les services. Etat des lieux avec Vincent Druguet, CEO de Wunderman Thompson France et Jérémy Hoy, Managing Director GroupM Commerce chez GroupM France.
Quelles sont les principales conclusions du Baromètre Future Shopper Wunderman Thompson x WPP 2022 ?
Vincent Druguet : Nous avons été surpris par certains chiffres de cette quatrième édition française. Déjà, en 2021, nous avions observé la démultiplication des canaux, mais cette année de nouveaux points de contact sont apparus et notamment les sites de seconde main. En effet, 12 % des interviewés disent utiliser Back Market ou Vinted dans la phase d'inspiration pour faire du lèche-vitrines avant de s'orienter sur un site de distributeur, un site de marque ou sur les réseaux sociaux.
Autre phénomène marquant, les marketplaces, et notamment Amazon, se positionnent comme les leaders incontestés de l'e-commerce sur l'ensemble du parcours shopper, combinant inspiration et recherche. D'autant que près de 70 % des clients veulent passer de l'inspiration à l'achat le plus rapidement possible. En France, pas moins de 35 % des dépenses en ligne sont réalisées sur les plateformes dont 25 % sur Amazon. On constate que le client est extrêmement changeant et les marques doivent avoir la capacité de proposer la bonne offre au bon moment.
Dernière surprise, entre le choix du service rapide et le choix écologique, les consommateurs privilégient la rapidité du service, au détriment d'une réduction de l'empreinte carbone liée aux livraisons. Des réflexes conditionnés par Amazon puisque le phénomène est mondial. Malgré tout, le Green IT est une donnée étudiée par nos clients.
Jérémy Hoy : Les Français se montrent très vigilants quant à la protection de leurs données, mais consentent à les communiquer pour profiter d'offres et de promotions. Là encore, décrypter leurs intentions n'est pas simple.
Comment les marques doivent-elles gérer « le poids des idéaux et les contraintes dans les comportements des consommateurs », phénomène décrit dans le dernier ouvrage de Philippe Moati ?
VD : L'enjeu principal pour les marques, c'est de connaître leurs clients pour les suivre dans leur parcours de navigation au sein d'un écosystème digital en constante évolution. Pour délivrer le bon message à la bonne cible, il faut s'équiper technologiquement et être organisé en interne avec des data scientists. Il est essentiel d'anticiper et d'innover dans ce contexte. L'exemple de Fnac-Darty est intéressant avec l'usage du live shopping, des réseaux sociaux, du lancement de l'offre de seconde main pour répondre aux attentes des consommateurs.
JH : Connaître le client, c'est aussi intégrer sa versatilité. Analyser, ajuster en permanence les données, la communication, la politique de prix, l'offre catalogue... C'est très contraignant pour les marques et les marchands. Les projections se font aujourd'hui à trois mois et non plus à un an.
Quelles innovations sont attendues, selon vous, dans le secteur de l'e-commerce français ?
VD : Nous voyons se développer le rôle de l'intelligence artificielle dans l'e-commerce à des fins de personnalisation des sites marchands. Le live commerce et le social commerce vont s'imposer, mais aussi la capacité à prédire les stocks pour rendre les produits et les services disponibles sur tous les canaux. Enfin, les consommateurs veulent avoir un lien direct entre inspiration et conversion, ce qui pousse les sites à une course à l'innovation. Que ce soit sur les sites des distributeurs, les bannières, les réseaux sociaux, il faut pouvoir assurer la conversion dans le panier.
Elon Musk qui rachète Twitter, qu'est-ce que cela vous inspire ?
VD : Plus que Twitter lui-même, c'est le sujet lié à la monétisation de l'influence qui est sur la table. Tout le monde cherche un business model à Twitter. Pas sûr que les gens payent une somme chaque mois pour être certifiés.
JH : Seuls 6 % des Français sont sur Twitter, donc cela ne concerne qu'une certaine population. La plupart n'iront pas.
Quels sont, selon vous, les grands enjeux en termes de logistique ?
VD : La logistique est au coeur de l'expérience client avec, en toile de fond, l'engagement RSE des acteurs. En effet, même si 47 % des consommateurs plébiscitent des marques respectueuses de l'environnement, le choix entre durabilité et confort reste un dilemme : 37 % des internautes aimeraient des livraisons plus rapides et 21 % les préféreraient plus respectueuses de l'environnement. À court terme, les consommateurs retiennent le prix, la livraison rapide et le choix proposé dans les différentes typologies de livraisons.
JH : Pour l'e-marchand, l'enjeu est de préserver les marges dans un contexte économique difficile. Pour y arriver, l'automatisation de la supply chain permet de mieux piloter sa capacité à écouler et à livrer pour rationaliser les coûts de fonctionnement d'une stratégie multicanale.
« En France, pas moins de 35 % des dépenses en ligne sont réalisées sur les plateformes, dont 25 % sur Amazon. »
Comment les marques doivent-elles s'emparer du social commerce ? Quelle stratégie doivent-elles privilégier ?
VD : Premier point, elles doivent le considérer. Ensuite, elles ont pour priorité d'investir pour être capables de distribuer leurs catalogues et leur contenu sur les réseaux sociaux. Et ne pas hésiter à mettre le lien sur leur site marchand car les internautes cliquent dans leur phase d'achat. Demain, le funnel sera intégré dans le réseau social.
JH : Je pense qu'il faut avoir une approche des portfolios spécifiques aux plateformes sociales : pousser des nouveautés, des gammes instantanées ou exclusives...
Quel rôle jouent les marketplaces dans le parcours d'achat des internautes ? Voyez-vous des évolutions majeures sur cette diversification de l'e-commerce ?
VD : Notre étude indique que 55 % des sondés en France sont motivés par la perspective de pouvoir tout acheter sur une seule plateforme (versus 64 % global) et 56 % considèrent qu'Amazon est « good value for Money ». Il est donc évident que les sites en DtoC vont investir les places de marché, être là où se trouvent les clients. Les consommateurs y font du lèche-vitrines, mais c'est aussi le premier moteur de recherche avant tout achat, tant les catalogues sont riches.
Les marketplaces sont présentes à toutes les étapes du parcours d'achat y compris dans le magasin lui-même où les consommateurs recherchent le prix d'un article en ligne. On voit que les DNVB, qui ont connu leur heure de gloire pendant le confinement, sont en difficulté aujourd'hui.
JH : Du côté des vendeurs, les places de marché permettent de réunir en un même endroit des gros faiseurs, mais aussi des petites marques qui sont présentes à de gros carrefours d'audience et qui écoulent de la marchandise à moindres frais.
On annonçait un retour en grâce du point de vente physique post-Covid, le phénomène a-t-il eu lieu ?
VD : Premier point, les consommateurs demandent aux marques d'être omnicanales. Près de la moitié des sondés souhaitent que les enseignes communiquent de la même manière sur tous les canaux et 54 % des 16-24 ans préfèrent faire du shopping chez une marque possédant des points de vente physiques. Enfin, 51 % souhaiteraient que les marques et les distributeurs innovent dans l'usage des nouvelles technologies pour améliorer l'expérience d'achat.
Donc, oui le magasin a un rôle à jouer, mais il doit être davantage connecté à l'écosystème global. L'union entre digital et retail est en train de s'opérer grâce à la connectivité des points de vente physiques.
L'ère du service a guidé le commerce ces dernières années, quels sont les prochains défis ?
VD : L'ère de la souscription sans doute. Nous voyons apparaître de nouveaux business models dans le commerce comme l'abonnement mensuel à 34,99 euros lancé par Pizza del Arte pour manger dans les restaurants une fois par jour. Autre retour en force, les programmes de fidélisation et les stratégies des marques pour garder leurs clients. Celles pour lesquelles nous travaillons capitalisent sur leur CRM et redonnent de la valeur à leur base client.
Les distributeurs réinvestissent les programmes de fidélité à l'instar de Prime d'Amazon, IKEA Family, Monoprix, Lidl, Action, Darty Max pour prolonger la durée de vie des produits. Les modèles de fidélisation sont très innovants.
Quels sont, selon vous, les exemples les plus réussis d'appropriation du metaverse par les marques ?
VD : Pour l'instant, c'est un sujet d'image et de modernité pour les enseignes. Le sujet du business arrivera plus tard, même si concernant le "Direct to avatar", il y a une appétence évidente pour les gamers. Certaines industries, comme le luxe, ont déjà des retours sur investissements.
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Un an après de nombreuses annonces de structuration du marché, quel bilan tirez-vous du retail media en France ? Quelles tendances pour 2023 ?
JH : L'e-retail media est devenu le troisième pilier de la publicité digitale derrière le social et le search. Pour autant, la progression va se poursuivre avec des prévisions autour de 20 à 25 % de part d'investissement digital dans les trois prochaines années (contre 10 % aujourd'hui). Portés par les acteurs de la grande distribution, d'autres secteurs (cosmétiques, bricolage, mode...) ont compris l'intérêt de ce media en termes de connaissance marketing, de revenus additionnels pour les marchands. En 2023, l'écosystème du retail media va s'agrandir avec l'usage de la data dans les plans marketing intégrant la TV segmentée, le DOOH, la vidéo...
Jérémy Hoy dirige GroupM Commerce depuis 2019 (WPP). Il travaille sur les enjeux liés au commerce digital et à la transformation des points de vente physiques. Ancien directeur des stratégies digitales chez OMD, il est passionné par les problématiques de transformation digitale.
Vincent Druguet a rejoint Wunderman Paris (WPP) en 2015 en tant que P-dg. Il a accompagné des marques mondiales dans leur transformation marketing (Lipton, Michelin, Nissan, IKEA, Dassault Systèmes) au sein de trois grandes agences. Il est co-auteur, avec Jean-Baptiste Vallet, de « Le commerce connecté : comment le digital révolutionne le point de vente ».